Aujourd’hui c’est Nastasia qui écrit l’e-mail. En dehors d’être ma partenaire, Nastasia a un avantage énorme sur moi : elle a lu LE livre qui parle de l’argent dans les relations de couple, et principalement avec un angle féministe. Il faut que je le lise, c’est sur ma liste, mais en attendant je lui ai demandé de te faire un résumé de ce livre. Résumé qui va résonner avec la question qu’on s’est posé hier. C’est parti.
Je sais pas si t’as déjà lu ce bouquin de Titiou Lecoq ?
Dans le livre, on suit Gwendoline.
Gwendoline c’est une fille-type.
Chaque chapitre raconte une étape de sa vie.
Et -guess what ? -de la petite enfance à la retraite : Gwendoline gagne moins d’argent qu’un homme.
L’argent de poche
Oui, ça commence avec l’argent de poche.
Parce que , sans le savoir, et sans même que ses parents ne le conscientisent Gwendoline touche 4 euros de moins que son frère avant 16 ans et jusqu’à 10 euros de moins après 16 ans.
(Études à l’appui dans le livre, évidemment.)
Il y a trois raisons à cet écart.
Raison #1 : les filles négocient moins
D’abord, les filles se satisfont plus facilement du montant donné par les parents. Alors que les garçons viennent négocier l’argent de poche.
Raison #2 : cadeaux vs argent
Mais en plus, les parents achètent plus souvent de choses à leur fille qu’à leur garçon.
Ils peuvent ainsi s’exclamer : « oui tu as moins que ton frère mais toi je te fais des cadeaux ».
Ce qui part d’un bon sentiment est pourtant dangereux.
Car cela crée un rapport genré à l’argent.
Les filles sont habituées à devenir des demandeuses alors que les garçons apprennent à gérer leur budget.
Garçons à qui d’ailleurs on autorise un plafond plus grand de découvert sur le compte en banque adolescent, probablement car le mythe de la fille dépensière a la vie dure et qu’on estime aussi les garçons plus responsables face à l’argent, ce truc de mecs.
Raison #3 : l’absence du sujet à l’école
Et comme tout n’est pas de la faute des parents : la société joue aussi son rôle.
L’éducation financière n’a pas sa place à l’école et laisse donc filles et garçons dans l’ignorance.
Et encore une fois, ce sont les femmes les premières victimes de ce manque.
Comme personne ne nous explique rien à l’école, il ne nous reste que les médias.
Or les magasines féminins ou les contenus dits « féminins » s’adressent aux femmes en parlant presque uniquement de leurs dépenses :
Comment réussir les soldes ?
Comment payer ses courses moins chères ?
Quel produit cosmétique vaut plus le coup qu’un autre ?
On ne parle jamais aux femmes d’investissement, d’actions ou de comment faire de l’argent.
Ou du moins pas assez.
C’est là que l’autrice cite des noms à suivre sur les réseaux comme Mon Budget Bento ou Oseille et compagnie.
(Je connais pas, mais ça a l’air cool quand Titiou Lecoq en parle.)
Le couple et l’argent
Après ça on suit Gwendoline se faisant arnaquer avec la taxe rose , Gwendoline qui choisit un métier du care donc moins bien payé que son mec , Gwendoline qui subit de la discrimination salariale et puis Gwendoline qui emménage avec son amoureux Richard.
Parce que oui, le couple hétéro est un facteur d’aggravation des inégalités financières entre les hommes et les femmes.
A la naissance du couple
La majorité des couples commencent par une gestion sous forme de « dons réciproques ». En gros, celui qui propose l’activité paye.
Puis, quand la vie en commun devient plus appuyée (cohabitation, enfants…), le couple choisit un système (séparation totale des comptes, comptes communs ou comptes proportionnels et autres compromis).
Les études montrent que ce choix est très peu discuté.
Cela se fait de manière “naturelle” sans réelle réflexion sur le sujet et 90% des couples ne changeront jamais de système de fonctionnement après l’avoir mis en place.
Ces mêmes études montrent que parler d’argent dans un couple est délicat. Alors que c’est souvent le nerf de la guerre et un des facteurs qui conduit à la séparation.
Mais il est très difficile de traiter ce sujet puisque parler d’argent dans un couple revient à sous-entendre que la relation ne sera peut-être pas éternelle (sinon, autant tout partager) et à faire passer son intérêt personnel avant celui du couple.
C’est égoïste et donc pas entendable.
On préfère se dire qu’on s’aimera toute la vie et peu importe si nos investissements ne nous profitent pas en cas de séparation.
Au coeur de la relation
Evidemment, Titiou Lecoq aborde aussi la question de l’argent et de la classe sociale.
Par exemple, que les femmes soient en charge du budget du couple dans les milieux les plus pauvres est souvent vu comme une preuve de leur domination.
Elles porteraient la culotte puisque c’est elles qui décident des courses à faire, qui planifient les vacances, qui choisissent le cadeau pour la grand-mère…
…mais « ce que les femmes gèrent en réalité, ce n’est pas l’argent, mais son manque ».
Ce sont elles qui s’inquiètent et qui se réveillent la nuit.
Etre les cheffes du budget c’est aussi devenir les coupables de la pauvreté et devoir trouver des solutions...
Tout cela pendant que leur mari gèrent la partie dite « masculine » du budget comme l’investissement (immobilier ou autre) …
Evidemment, Titiou Lecoq aborde aussi la question de la maternité et ses injonctions qui entraînent des inégalités financières à cause du temps partiel par exemple.
Elle évoque également la question du travail domestique (je prends bien soin d’utiliser l’expression « travail domestique » et non pas « tâches ménagères » pour insister sur le fait qu’il s’agit d’un travail justement) .
À la maison, Gwendoline effectue des tâches comme :
garder les enfants le mercredi et le soir,
faire le ménage
faire la cuisine.
Toutes ces actions qui profitent à Richard, seraient rémunérées si elles n’étaient pas effectuées par sa femme.
Gwendoline travaille donc gratuitement pour son mari qui pendant ce temps peut profiter de travailler et donc gagner de l’argent et de 3h30 de plus de temps libre (c’est les études qui le disent).
Le don des femmes leur coûte cher puisque leur vie consiste à travailler en permanence (au bureau puis à la maison) et donc à perdre du temps mais aussi de l’argent pour privilégier un travail non rémunéré.
Soit dit en passant, Titiou Lecoq a écrit un précédent livre sur le travail domestique «Libérées : le combat féministe se gagne devant le panier de linge sale » et donne donc de supers conseils sur comment mieux répartir les tâches
(en gros, il faut en parler, les circonscrire et les monétiser pour bien prendre conscience du problème).
À la mort du couple
C’est lors de la rupture du couple que le bât blesse et que les femmes se reprennent toutes les inégalités financières à la figure.
C’est la terrible réalité de la stratégie financière du « pot de yaourt ».
Comme l’écart de salaire entre Richard et Gwendoline va croissant, ils optent pour une répartition qui leur paraît juste : il payera davantage les crédits et les gros achats comme une voiture par exemple et elle payera les courses au supermarché et les dépenses quotidiennes qui semblent - de fait- bien moins onéreuses.
On retrouve une répartition genrée du budget.
Sauf que lorsque le divorce est prononcé, il arrive souvent (pas toujours mais souvent) que les hommes repartent avec le patrimoine pour lequel ils ont payé et que les femmes restent avec leurs « pots de yaourts vides » .
Le conseil contre-intuitif de Titiou Lecoq est donc que la personne la plus vulnérable investisse dans le plus grosses dépenses du couple pour se créer une sécurité financière.
La séparation est aussi souvent le moment où les femmes deviennent mères-célibataires (plus souvent que les pères) .
Et le monde du travail n’est alors plus du tout fait pour elle.
Ce qui les fait s’appauvrir car elles doivent abandonner certains emplois pour en trouver des plus précaires qui s’accordent mieux (ou moins mal) avec leur nouvelle situation.
« Le monde du travail est organisé pour des hommes dont les femmes s’occupent des enfants ».
Pour remédier à cela Pauline Rochart (spécialiste des évolutions du monde du travail) propose une liste d’aménagements qu’on pourrait mettre en place pour faciliter la vie des parents seuls et donc leur situation financière :
veiller à ce que la charge de travail soit conciliable avec une vie de famille
Permettre le télétravail
interdire les réunions après 17h30
un délai de prévenance suffisamment long avant les déplacements ou les séminaires
garantir un accès aux crèches d’entreprises pour les parents solos
doubler le nombre annuel de jours « enfant malade »
Ensuite, si tu poursuis la lecture tu pourras constater que Gwendoline se fait arnaquer par les impôts car c’est une femme, qu’elle va s’occuper de ses vieux parents gratuitement, qu’elle n’héritera pas et que avec tout ça sa retraite sera bien dérisoire.
Vos questions
Pendant que j’écrivais ce mail, Nicolas m’a envoyé un message :
J’ai paniqué, parce que moi je faisais tranquillement les devoirs qu’il m’avait demandés : faire une fiche de lecture sur Titiou Lecoq. Je savais pas que fallait en plus répondre à vos questions moi !
Je viens d’aller voir vos réactions sur le mail d’hier et -grand bien vous fasse- vous n’avez pas de questions à proprement parler.
Non pas que la discussion avec vous ne soit pas passionnante mais c’est que c’est long d’écrire un mail …
En fait, vous êtes beaucoup à avoir déjà lu le livre dont je viens de parler (hésitez pas à corriger d’ailleurs si besoin car je l’ai lu y’a longtemps) et en plus vous avez plutôt exposé vos organisations financières sans poser de questions.
Faisons quand même un bilan :
Pour la plupart d’entre vous, vous semblez avoir opté dans votre couple pour un régime 50/50 car l’écart avec votre conjoint.e ne vous semble pas assez conséquent pour envisager un régime proportionnel.
À ce sujet Titiou Lecoq conseille :
« Je conseille néanmoins aux femmes de toujours conserver un compte bancaire individuel, mais nous en reparlerons au sujet des violences économiques » .
Par violences économiques elle entend par exemple :
des demandes de justificatifs intempestives du conjoint,
la confiscation des identifiants du compte,
des crédits à la consommation souscrits illégalement au nom de la conjointe…
Autant de violences majoritairement commises par des hommes.
On conseille d’ailleurs aux femmes victimes de violences conjugales d’avoir un compte personnel avant de quitter le foyer.
L’indépendance financière est importante pour tout le monde et en particulier pour les femmes.
Dans tous les cas, il est important de garder à l’esprit que cette organisation ne sera pas éternelle. À chaque changement (chômage, promotion, temps partiel, congé parental, maladie…) , il faudra remettre les choses à plat, réajuster le modèle et rediscuter la répartition.
L’épilogue du livre est une invitation faite aux femmes :
« Commencez par parler d’argent.
Avec vos amies d’abord, pour vous entraîner. Et puis avec vos collègues, histoire de situer votre salaire par rapport aux autres salaires. Et avec la famille (…).
On a construit la féminité sur l’idée de don, ou de dû.
Mais ce n’est qu’une construction.
Défendre vos intérêts ne fera pas de vous une mauvaise personne ou une méchante femme.
Voyez cela comme une sorte d’hommage, ou de femmage, envers les femmes qui, avant nous, se sont battues pour obtenir des droits économiques »
Ok donc moi qui parle sans cesse d’argent (j’en ai pas beaucoup), je suis beaucoup rassuré par cet article... merci
Merci à Nastasia pour cette synthèse instructive !