Le chamboule-tout autistique
L’autisme est une expérience interne. Voilà pourquoi essayer de le décrire avec des traits externes est périlleux. Pas impossible, mais périlleux.
Mais ça demande de s’en rappeler et de sortir de la logique je dois cocher un nombre minimal de case.
Pour refaire l’analogie avec la culture française… quelqu’un qui me dirait qu’il ne se reconnaît pas beaucoup dans la socialisation française mais qui se mettrait à faire “RRRRRROOOOO” avec sa bouche sous le coup de l’agacement… bah je saurai immédiatement que cette personne est de culture française.
De la même manière que je ne suis pas devenu moins français parce que j’ai arrêté de manger de la charcuterie.
Aujourd’hui je voulais revenir sur les facteurs qui font que la manifestation externe de l’autisme peut sembler si différente d’une personne à l’autre.
Le camouflage social
Le camouflage, dans le contexte de l'autisme, englobe diverses stratégies que les personnes mettent en œuvre pour masquer leurs traits autistiques. Cela peut inclure des choses comme imiter les expressions faciales, maintenir un contact visuel même si c'est inconfortable, ou encore réprimer des comportements autistiques comme l’autostimulation (stimming). Sachez que le camouflage n'est pas spécifique à l'autisme (on le retrouve aussi chez des personnes avec d'autres conditions, comme l'anxiété sociale).
(…)
Les différences de genre dans le camouflage sont bien documentées. Les femmes autistes ont tendance à camoufler leurs traits autistiques plus fréquemment que les hommes. Cela s'explique en partie par les attentes sociales : les femmes sont souvent socialisées pour être plus attentives aux besoins des autres et pour s'intégrer socialement, ce qui peut expliquer pourquoi elles camouflent davantage.
Cette tendance à camoufler est souvent citée comme une raison pour laquelle les femmes autistes sont sous-diagnostiquées ou diagnostiquées plus tardivement que les hommes.
Les études montrent que non seulement les femmes sont plus susceptibles de camoufler, mais qu'elles le font de manière plus élaborée. Elles peuvent, par exemple, imiter les comportements sociaux des autres ou réprimer les caractéristiques autistiques les plus visibles. Cela peut entraîner une grande fatigue et un sentiment d'inauthenticité, car elles se sentent souvent obligées de prétendre être quelqu'un d'autre.
Le camouflage (masking) n’est pas une décision de plaisir. C’est un mécanisme de survie.
D’ailleurs quand quelqu’un dit tu as pas l’air autiste. C’est probablement parce que la personne est très douée dans le camouflage.
Mais le souci, on l’a vu, c’est que les allistes (les non-autistes) savent qu’on est autistes même sans le camouflage. Au contraire, le camouflage aggrave leur jugement négatifs car ils sentent que y’a un truc qui va pas sans pouvoir dire quoi.
L’autre souci c’est que le camouflage n’est pas gratuit : il est directement corrélé avec une dégradation de la santé mentale. Il est notamment le plus grand facteur de risque menant au burnout autistique et donc à la dépression (souvent chronique).
En essayant d’échapper au stigma social, on s’inflige une punition.
Mais ce n’est pas notre faute : c’est la faute des gens qui nous stigmatisent.
Devoir gérer une autre oppression
Les personnes autistes qui ne sont pas des hommes blancs hétéro cis ont des enjeux qui leur sont propres et qui vont parfois interagir directement sur l’expression de l’autisme.
Parfois les deux dimensions résonnent : on observe qu’il y a beaucoup plus de personnes trans et/ou non-binaire chez les autistes. La théorie c’est que les autistes étant moins sensibles à la pression du groupe, ont moins de mal à accepter qu’iels n'ont pas le bon genre.
Parfois les deux dimensions s’opposent. On a déjà cité la situation des autistes socialisées femmes qui peuvent pas se permettre de se comporter comme Sheldon. Ou des autistes racisé·es qui doivent se camoufler face à la police.
On a aussi des phénomènes de mélange de l’oppression. Par exemple, les personnes noires pratiquent ce qu’on appelle le code-switching, c’est-à-dire changer de manière de parler de se tenir quand on est avec des blancs. Je le fais sans le vouloir.
Mais du coup j’avais du mal à différencier le code-switching du camouflage autistique.
À l’inverse, les cultures noires ont tendance à être plus franches et moins fragiles verbalement. Ce qui fait qu’en Guadeloupe je vais moins souvent être frontalement resté parce que j’ai une communication directe.
Donc quand, à Paris, je voyais des gens me dire que je suis arrogant (expérience commune à plein d’autistes), je me disais que c’était parce que je suis Noir, et non pas parce que je suis autiste.
En réalité c’est les deux mais aujourd’hui si je devais jauger je dirais que c’est facilement 70% qui vient de l’autisme.
La dégradation des fonctions exécutives
Y’a une caractéristique de l’autisme qu’on n’a pas encore abordé : la dégradation des fonctions exécutives.
On en avait parlé quand on parlait du TDAH. En résumé ce sont les compétences de la vie pratique “d’adulte”. On peut les décomposer en 8 petits managers de nos têtes :
La mémoire de travail (la mémoire de court terme)
L’auto-suivi, le recul sur soi
Le contrôle des impulsions
La régulation émotionnelle
La flexibilité
Planification et priorisation
La capacité à se mettre en mouvement
L’organisation
Et bien l’autisme va affecter les fonctions exécutives mais, comme pour le TDAH, ça ne va pas affecter toutes les fonctions en même temps.
Des études indiquent que les TDAH ont un retard d'environ 30 % dans le développement de leurs fonctions exécutives et que les adultes TDAH ont tendance à ne développer qu'environ 75 à 80 % de la capacité de fonctionnement exécutif de leurs pairs (qui est généralement pleinement développée à l'âge de trente ans)
C’est à peu près pareil avec l’autisme. Et du coup ça va donner des profils différents selon les lacunes de la personne. Moi par exemple c’est surtout la planification et l’organisation qui sont énormément affectés. Quand j’étais plus jeune je vivais dans une porcherie.
En revanche je suis très flexible (et c’est sans doute parce que j’ai été élevé dans la culture guadeloupéenne où on muscle en permanence cette compétence).
Du coup ça fait de moi un profil parfois diamétralement opposé à une personne autiste qui va être plutôt inflexible mais très organisée. J’en connais : ça donne des autistes qui mettent toute leur vie dans un calendrier, etc.
Alors que moi ça serait un cauchemar de faire ça.
Idem… tous les autistes n’ont pas de problème de régulation émotionnelle. Même si une grande partie souffrent d’alexithymie (l’incapacité à mettre les mots sur l’émotion qu’on vit) bah y’a aussi une grande partie qui n’a pas ce problème (c’est mon cas).
Du coup c’est un peu comme si chaque autiste tirait au sort 6 bonnes fonctions exécutives et 2 mauvaises. Ça fait, mine de rien, 28 combinaisons possibles !
Pas étonnant qu’on ait l’impression de voir plein d’autismes différents.
Le vrai TDAH
On vient de voir que les autistes partagent avec les TDAH le déficit dans les fonctions exécutives.
Mais il y a aussi beaucoup d’autistes qui sont carrément TDAH (les chiffres varient selon les études mais la dernière que j’ai vue parlait de 28% des autistes, parfois j’entends 50%).
Or… y’a des traits du TDAH qui vont compenser des traits de l’autisme. D’autres qui vont se cumuler.
Par conséquent ça peut être dur de voir qu’une personne autiste TDAH est les deux à la fois.
Parce que sur les traits où ça se cumule on va se dire c’est juste son TDAH. Sur les traits où ça se compense on va dire ah bah elle peut pas être autiste puisqu’on la voit pas faire ceci.
Si c’est un sujet qui t’intéresse sache que les anglo-saxons ont inventé un mot valise que je trouve trop cool : AuDHD (la contraction d’autism et ADHD).
En français ça marche pas : TD-autist-H ? Auti-DAH ?
Le syndrome de la surcharge autistique
Une personne autiste peut vivre sans jamais vivre de meltdown, de shutdown ou de burnout autistique. Ça ne veut pas dire qu’elle n’est pas autiste, ça veut juste dire qu’elle vit dans des environnements où ses limites sont respectées ou alors qu’elle a une personnalité très résiliente qui lui permet d’encaisser sans que ça se voit.
Le besoin de support
Je n’ai pas abordé les manifestations autistiques qui demandent le plus de support. Que ça soit les personnes autistes non-verbales et les personnes autistes avec un déficit intellectuel.
Mais on ne peut pas nier que ça pose des problématiques spécifiques.
C’est pour ça que ce sont les autistes les plus souvent “diagnostiqué·es” et aussi ceux et celles qui ont marqué l’imagerie populaire.