#15 – L’autorité n’est pas toujours importante
Sur ce point, il est important de rappeler que je n’ai jamais géré un public avec des gens de moins de 21 ans. J’imagine que c’est différent avec une classe plus jeune.
En tout cas, avec des adultes, il faut apprendre à concéder de la liberté à la salle. Même si elle dévie du sujet que vous vouliez aborder, même si elle aborde un sujet la matinée alors que vous vouliez l’aborder l’après-midi, etc.
Parce qu’en laissant la salle discuter, vous favorisez la partie = du modèle +=-. Vous permettez aux gens de commencer à confronter le savoir qu’ils viennent de recevoir. Mieux encore, certains sceptiques vont être convaincus par leurs camarades qui vont dire « ah bah si, moi j’ai déjà essayé et ça marche carrément ».
#16 – Désapprendre est plus difficile qu’apprendre
C’est un des plus grands obstacles. Quelqu’un qui pense savoir est encore plus dur à gérer que quelqu’un qui ne sait pas. Quand les gens ont une croyance, ils ne la lâchent pas si facilement. Essayez d’expliquer à quelqu’un que l’hiver ne commence pas le 21 décembre, contrairement au mythe journalistique. La première réaction sera une opposition au changement.
La première fois qu’un médecin a découvert qu’en se lavant les mains avant un accouchement, on divisait par 6 le taux de mortalité maternelle, il a été conspué par toute la communauté médicale. Il a fini sa vie interné dans un asile psychiatrique. C’était il y a seulement 156 ans. La femme la plus vieille du monde a 157 ans. Pourtant aujourd’hui ça ne viendrait à l’idée de personne de manipuler des cadavres en autopsie puis de faire accoucher une femme dans la foulée, sans se laver les mains.
Pourquoi est-ce si difficile d’apprendre ce genre d’idée nouvelle ? Parce qu’elle rentre violemment en contradiction avec ce que les médecins avaient appris toute leur vie. Parce qu’il est plus facile de continuer à faire comme tout le monde fait et comme on a toujours fait. Parce que ça veut dire qu’il faut accepter de s’être trompé toute sa vie.
C’est pour ça qu’on dit qu’une découverte scientifique n’est acceptée que le jour où tous les contemporains sont morts.
#17 – Les slides ne sont pas un prompteur
La fameuse mort par Powerpoint arrive parce que les enseignants confondent les diapositives avec des prompteurs géants. Le problème c’est que les gens lisent plus vite qu’ils n’entendent. Si vous écrivez tout sur les slides, ils ne vous écoutent plus et vous ne servez à rien.
L’enseignement est un divertissement. Les slides sont une partie du show. Des éléments visuels qui permettent d’ancrer des concepts. Quand vous allez au théâtre vous ne voyez pas le texte des acteurs écrit en grand. Ce serait insupportable.
Une fois pour toutes : un slide c’est, AU MAXIMUM, une phrase. Il vaut mieux faire dix slides de dix phrases qu’un slide de dix phrases. Ne serait-ce que pour une question de digestion de la connaissance.
#18 – La partie que les élèves ne comprennent pas c’est la partie que VOUS comprenez le moins
J’ai mis énormément de temps à l’admettre. Mais si on vous pose régulièrement des questions sur le même passage de votre cours c’est que vous le maîtrisez moins que le reste. Ne vous accordez aucune excuse. Imposez-vous l’hygiène mentale de toujours vous dire que si les gens ne comprennent pas c’est VOUS le problème.
Obligez-vous à arrêter de vous dire que les gens sont bêtes. Non, c’est vous qui expliquez mal. Point final. Il n’y a pas de mauvais élèves, il n’y a que des mauvais profs. Imposez-vous strictement cet état d’esprit.
Déjà parce que ça vous obligera à vous améliorer en permanence pour devenir de plus en plus clair. Ensuite parce que ça vous donne le bon état d’esprit pour vous connecter émotionnellement avec votre audience. Comment vous voulez que les gens vous écoutent s’ils sentent que vous les méprisez ?
D’ailleurs, le savoir dans ma vie professionnelle, ne m’empêche pas de tomber en permanence dans le piège dans ma vie personnelle. De m’énerver parce que quelqu’un ne comprend pas quelque chose ou d’adopter un ton méprisant qui fait qu’on ne m’écoute plus. La bonne nouvelle c’est que ça veut dire que même si ce n’est pas naturel vous pouvez travailler dessus de manière à y arriver quand vous enseignez (même si vous n’y arrivez pas dans la vie courante).
#19 – Le contenu est secondaire
Ou plutôt : ce n’est qu’un élément parmi d’autres. C’est un corollaire de tous les points précédents. Si les gens n’ont pas envie d’apprendre, que la forme est médiocre, que vous n’êtes pas la bonne personne, que leur mémoire n’est pas stimulée… votre contenu est inutile.
Et ça va au-delà de ça : une formation ne se limite pas au contenu.Pour plein de raisons, j’ai fait un Master 2 où le contenu laissait à désirer (on a eu notamment deux professeurs absents). Pourtant j’en ai retiré énormément. Pourquoi ? Parce qu’on y a créé un réseau. Des amitiés profondes se sont nouées. Certains professeurs ont eu un impact décisif sur ma vie. Notamment sur le choix de m’intéresser aux petites entreprises. Notamment sur l’envie d’aller aller lire des livres pour aller plus loin.
Un cours, une formation ce n’est pas uniquement le contenu. Très loin de là. Par exemple, dans les formations d’entreprise on a souvent des gens qui ne se voient pas souvent dans l’année. Du coup, j’ai appris à ménager des temps pour que les gens échangent. Et ce qui est marrant c’est qu’un des retours positifs que j’ai le plus souvent c’est « j’ai beaucoup aimé cette journée car j’ai pu discuter avec mes homologues ». Je n’y suis évidemment pour rien : il suffit de les réunir dans la même salle et de les laisser parler pour avoir cet effet.
Si jamais je voulais m’arcbouter sur le contenu (ce que je faisais quand j’étais débutant) je louperais une grosse partie du coche. Il vaut mieux que je ne délivre que 70% de mon contenu parce que la salle se sera mise à discuter plus que prévu. Encore une fois c’est la partie = du modèle +=-.
#20 – La connaissance doit se cimenter
Non seulement on oublie très vite ce qu’on écoute mais il y a une différence entre comprendre, savoir et savoir-faire. C’est là qu’intervient l’expérience. D’ailleurs c’est de ce phénomène que découlent les critiques sur la théorie. Il faut évidemment pratiquer pour apprendre réellement.
Sans compter l’effet Médicis : c’est-à-dire que plus vous apprenez de choses et plus vous faites des liens entre des choses qui n’ont a priori rien à voir mais qui éclaire la discipline avec une lumière différente.
#21 – Vous n’avez pas les bases
Si vous voulez enseigner, il va falloir accepter l’idée que vous n’avez pas les bases. Vous ne les aurez jamais. Il faut faire, refaire et défaire en permanence les bases de votre discipline. D’ailleurs, est-ce qu’un footballeur professionnel arrête de s’entraîner à faire des passes ? Est-ce qu’un boxeur professionnel arrête de s’entraîner à faire un crochet ? Est-ce qu’un sprinteur arrête de s’entraîner à bouger correctement ses bras ?
Le secret de la maîtrise d’une discipline ce sont les bases et non pas le reste. D’ailleurs, travailler les bases vous oblige à travailler le reste. On l’a vu : pour être capable de transmettre un message simple et basique il faut maîtriser la discipline. Plus vous maîtrisez la discipline (et l’art de l’enseignement) et plus ça devient simple d’expliquer le simple.
Conclusion : ce que je n’ai pas découvert
Il me reste encore énormément de choses à apprendre dans l’art de l’enseignement. Mais en ce moment le mystère qui me pèse le plus, celui auquel je n’arrive pas encore à trouver la solution c’est : comment on choisit un bon professeur ? Comment on le reconnaît facilement ? Autrement qu’en essuyant les plâtres avec des élèves ? Si quelqu’un a des pistes, je suis preneur !
L’autre question sur laquelle j’essaie d’avancer c’est de comprendre le rôle de l’espace, de l’environnement physique sur l’apprentissage. J’ai appris récemment qu’on apprenait plus facilement en marchant. Dans ce cas, pourquoi n’enseigne-t-on jamais en marchant ?
J’ai encore d’autres interrogations mais je crois que je vous ai suffisamment retenu et que c’est le moment de s’arrêter. Le compteur de mots de mon logiciel d’écriture vient d’apparaître et je suis en train de réaliser avec stupeur que c’est l’article le plus long que j’ai jamais écrit donc félicitations si vous êtes encore là. J’espère que tout ceci vous a éclairé sur le sujet. Dans tous les cas, n’hésitez pas à me remonter vos propres découvertes, désaccords, sur le sujet !
Vraiment passionnante cette série de mails ! J'ai appris et dépoussiéré plein de choses 😁 Maintenant je veux une formation sur comment faire une formation en ligne 🤭