L'autodéfense empêche un bain de sang
On est en juin 1961, en Caroline du Nord (dans une petite ville qui s’appelle Monroe). Il y a une seule piscine dans la ville et elle est interdite aux Noir·es.
Ça fait des années que la population noire réclame un jour par semaine où la piscine serait réservée aux enfants noir·es.
On est donc pas sur une demande radicale. La population ne demande pas à abolir la ségrégation, elle demande juste un jour pour elle.
Deux enfants noirs finissent par se noyer en nageant dans des ruisseaux sauvages, sans surveillance.
Alors Robert Williams organise un piquet : c’est-à-dire une manifestation immobile où des gens vont rester en permanence devant la piscine. La ville décide alors de fermer la piscine.
Les tensions montent. Un groupe de Blancs finit par tirer au fusil en leur direction, dans les arbres à côté pour les intimider.
Robert Williams interpelle le chef de la police qui était sur place. Ce dernier lui répond je n’entends rien du tout.
Alors le groupe redouble les tirs, toute la journée. Devant le chef de la police qui continue à faire semblant de ne rien entendre.
Le risque est si présent que Robert appelle les autorités nationales et le FBI. On lui répond que le chef de la police avait assuré qu’il protégerait les manifestants noirs.
Donc le même chef de la police qui dit qu’il n’entend pas les tirs. Et qui, précédemment, quand le Klan avait attaqué la communauté noire, avait protégé les membres du Klan au lieu de protéger les populations noires.
Les manifestants noirs se font insulter par des blancs qui se massent devant l’entrée de la piscine, s’énervent, tirent…
Robert décide d’aller chercher de l’aide auprès du ministère de la justice. Il prend sa voiture.
Une voiture essaie d’écraser la sienne
Robert est à bord d’une petite voiture, quand une grosse berline arrive et essaie de le précipiter du haut d’une falaise de 25 mètres de haut. Par miracle il arrive à manoeuvrer pour l’éviter. Sauf que les deux voitures s’encastrent.
C’est le début de plusieurs centaines de mètres où la voiture de Robert se fait traîner par l’autre, à 110 km/h. Le tout en passant devant des policiers qui rigolent.
Robert finit par réussir à se dégager et se jette dans le fossé du bas côté.
Il va chercher le chef de la police pour lui montrer l’état de la voiture et… tu commences à avoir l’habitude :
Je ne vois rien, je ne vois rien du tout
Rebelote
Deux jours après, au même endroit, sur la même route, une autre voiture essaie de nouveau de pousser la voiture de Robert du haut de la falaise.
Sauf que cette fois il y a une foule de plus de 2000 blancs sur place. Quelqu’un crie qu’un Nègre a percuté a la voiture d’un blanc. Puis la foule surenchérit :
Tuez les nègres ! Tuez les nègres ! Arrosez les Nègres d’essence ! Brûlez les Nègres !
Encouragé par cette foule, l’homme qui avait percuté Robert descend de sa voiture avec une batte de base-ball et s’avance vers la voiture en les interpellant.
Il s’est approché de la voiture, à portée de bras avec sa batte de base-ball, mais je ne disais toujours rien et nous ne faisions pas un geste dans la voiture. Ce qu’ils ne savaient pas c’est que nous étions armés. Selon la loi de l’État de Caroline du Nord, il est légal d’emporter des armes dans son automobile, à condition que ces armes ne soient pas dissimulées.
J’avais deux pistolets et un fusil dans la voiture. Quand ce type a levé sa batte de basse-ball, j’ai mis un calibre 45 à la fenêtre de la voiture et je l’ai pointé directement sur son visage, sans dire un mot. Il a regardé le pistolet et n’a rien dit. Il s’est éloigné de la voiture en reculant
Le reste de la foule n’ayant pas vu les armes, ne comprend pas ce qui se passe. Alors les cris surenchérissent, toujours l’appel à tuer les nègres. Les gens commencent à jeter des pierres sur la voiture.
Alors j’ai ouvert la portière, j’ai mis un pied à terre et me suis mis debout, une carabine italienne à la main.
C’est seulement là que les trois policiers sur place réagissent. Alors qu’ils regardaient sans rien dire Robert et les autres passagers de la voiture se faire attaquer, ils se réveillent en voyant l’arme.
Deux policiers se mettent à courir vers Robert.
L’un d’entre eux m’a attrapé par l’épaule et a dit “Donne ton arme ! Donne ton Arme !”. Je l’ai frappé au visage et écarté de la voiture. Puis j’ai pointé ma carabine sur son visage et je lui ai dit qu’on ne se rendrait pas à la foule. Nous n’avions pas l’intention d’être lynchés.
L’autre policier avait réussi à passer par l’autre côté de la voiture. Il est donc derrière Robert et met la main à l’étui de son revolver.
Il espérait me tirer dans le dos. ils ne savaient pas que nous avions plusieurs armes. L’un des étudiants qui étaient avec moi a pointé un calibre 45 sur le visage du policier et lui a dit que s’il sortait son pistolet il le tuerait. Le policier a remis son arme dans son étui, s'est éloigné de la voiture à reculons, avant de trébucher et tomber en arrière.
C’est le choc psychologique dans la foule de lyncheurs. Un vieil homme blanc s’effondre en larmes : Nom de Dieu, où va ce pays ? Les Nègres ont des flingues, les Nègres sont armés et la police ne peut même pas les arrêter.
Sortir du piège
Le chef de la police finit par arriver en criant rends ton arme.
Robert lui réponds que les armes à feu sont légales en Caroline du Nord et que la foule était dangereuse. En revanche, il se tiendra à disposition pour rendre les armes quand il sera chez lui, hors d’affaire.
La confusion et le chaos continuent.
Le conseiller municipal finit par arriver. Il reconnaît que Robert est dans son droit et qu’il ferait en sorte de l’escorter. Robert demande par qui.
Le conseiller répond : la police.
Réponse de Robert : ce serait plus rapide de me faire escorter par le Ku Lux Klan.
La situation empire, la foule de lyncheurs devient de plus en plus incontrôlable. Les autorités proposent des “solutions” que Robert refuse. Ils finissent finalement par lui demander ce qu’il proposait.
Appelez la police de l’État.
Rappel : il y a une différence entre la police locale, la police de l’État et la police fédérale (celle des États-Unis) ce sont trois niveaux de hiérarchies différents.
Deux policiers d’État finissent par arriver et dispersent la foule simplement en menaçant avec des matraques.
Comme quoi c’était possible…
Deux voitures de polices escortent l’ensemble des manifestants Noirs chez eux. Pour la première fois dans l’histoire de la ville. Des blancs dans la foule crient :
Regardez ils protègent les Nègres ! Regardez comment ils font sortir les Nègres d’ici
L’autodéfense a forcé l’État à agir
La conclusion qu’en tire Robert c’est qu’habituellement ces scènes de lynchages débouchent sur la mort d’une partie des Noirs. Ici, personne n’a été blessé. Car, l’État a beau être raciste, il n’accepte pas qu’on tue des Noirs si ça met en danger des citoyens blancs.
Car… ne nous trompons pas… à une dizaine, même armés, contre 3000 lyncheurs, les lyncheurs auraient gagné. Mais ils auraient probablement eu des centaines de morts dans leurs rangs.
L’autodéfense force l’État raciste à nous protéger.
Source
Tout ce que tu viens de lire est une paraphrase du livre Des Noirs avec des flingues par Robert F Williams. Et en particulier du premier chapitre : l’autodéfense empêche un bain de sang.