L'autisme féminin : 5 différences clés
Quelles sont les particularités des femmes autistes ? On l’a vu, une des raisons du sous-diagnostic des femmes autistes c’est les barrières qu’on leur met. Mais on a pas creusé le fait que l’autisme se présente différemment chez les femmes.
Disclaimer : ici je dis “femme” mais c’est la réalité de toute personne qui n’est pas un homme cis. C’est d’autant plus important de le rappeler que y’a 6 à 8 fois plus de personnes transgenres ou non-binaires chez les autistes, par rapport aux allistes.
Le fait est qu’on commence à avoir une idée de ce qui différencie l’expérience d’une femme autiste moyenne de celle d’un homme autiste moyen.
On identifie 5 clés :
Une plus grande motivation à sociabiliser
La tendance au masking, au camouflage
Une internalisation des difficultés qui déclenche les troubles psychiques associés à l’internalisation : l’anxiété et/ou troubles du comportement alimentaires
Des intérêts “spécifiques” socialement acceptés (loin du cliché de l’autiste fan de train)
De plus grandes difficultés reliées aux anomalies sensorielle
Une plus grande motivation à sociabiliser
La première fois que j’ai entendu parler d’une présentation différente de l’autisme chez les femmes c’était dans le livre Unmasking Autism. Y’avait une trentaine de traits et l’un d’eux était :
Is a social chameleon; adopts the mannerisms and interests of the groups they’re in.
Un caméléon social ? Ça m’avait marqué parce que ça ressemble pas du tout à l’idée qu’on se fait de l’autisme. D’ailleurs, le mot même d’autisme vient de cette idée reçue. C’est le auto d’autarcie. Le mot grec.
Mais ça ne se limite pas aux langues européennes :
En Chine, on dit zì bì zhèng (« la maladie de la solitude »), en Corée chapae (« repli sur soi »), en japonais jheisyo (« se fermer volontairement »), en maori takiwātanga (« dans son propre temps et son propre espace »). La version taïwanaise, Xīngxīng-de háizi, est plus énigmatique et, d’une certaine beauté, se traduit par « les enfants des étoiles », insouciants du monde extérieur.
Alors forcément, si les femmes autistes sont, au contraire, des caméléons sociaux ça les rend dur à identifier. J’ai moi-même commencé par dire que des proches à moi n’étaient pas autistes car je les voyais motivées à faire des événements sociaux. Ce n’est que face à tous les autres traits que j’ai creusé et réalisé qu’un truc clochait dans ma vision.
Pourtant, l’image de l’autiste forcément asocial, a la vie dure.
Le cerveau autiste, un cerveau hyposociable ? On sait maintenant que non
On a mesuré que les cerveaux autistes étaient moins sensibles au système de récompense sociale. Notamment à cause de ce qu’on appelle le striatum.
Les conclusions de cette synthèse étaient claires : les participant·e·s autistes montraient systématiquement une sous-activation du striatum, une région clé du cerveau impliquée dans le système de récompense sociale.
Bon… tu me diras que si on mesure ça alors c’est bien en phase avec l’autiste asocial. Sauf que, tu me vois venir : ces mesures ont été faites sur des hommes.
Aïe.
Et quand quelqu’un a pointé ça et qu’on a enfin fait la même chose avec un groupe paritaire on obtient un truc qui n’a rien à voir :
Par exemple, une étude biaisée de 2010 (portant sur seize garçons) avait rapporté des réponses neuronales diminuées face aux récompenses sociales, en particulier dans le striatum — ce qui correspondait au phénotype autistique classique de motivation sociale réduite.
Une version GENDAAR de cette étude a ensuite recruté trente-neuf filles et quarante-trois garçons.
Les chercheur·euse·s ont constaté que les filles autistes présentaient une activité accrue dans les réseaux associés aux récompenses sociales, comparativement aux garçons autistes.
GENDAAR c’est un groupe précisément dédié à la recherche sur l’impact du genre sur l’autisme. Et on semble bien aller vers une conclusion surprenant : les hommes autistes sont hyposensibles au social, mais les femmes autistes sont au contraire hypersensibles au social.
La tendance au masking, au camouflage
De manière assez logique, si les femmes autistes sont plus sensibles au rejet social il est logique qu’elles pratiquent davantage le masking et le camouflage.
Le camouflage c’est quand on se fond dans un mur pour que personne ne nous remarque, le masking c’est quand on fait activement des efforts pour avoir l’air alliste.
D’ailleurs, l’existence même du masking contredit l’idée que les autistes seraient indifférents au rejet social. Et ça va évidemment au-delà des femmes autistes : les hommes autistes aussi pratiquent le masking. Mais le ressenti en le faisant est différent :
Il a été rapporté que 70 % des adultes autistes font du masking de manière constante, donc pour la majorité, ce n’est clairement pas un comportement occasionnel, ponctuel ou spécifique à une situation.Les hommes autistes ne font-ils donc pas de masking ? Si ce chiffre de 70 % est exact, alors la réponse est évidemment oui. Mais leur masking est-il différent ?
Il existe un consensus clair dans les résultats de recherche : les femmes autistes pratiquent plus souvent le masking que les hommes autistes, que ce soit mesuré par auto-questionnaires, questionnaires structurés ou semi-structurés.
Des études ont rapporté que les hommes autistes sont plus susceptibles de décrire leur masking de manière positive, le présentant comme facile et estimant qu’il avait atteint son but — s’intégrer.
(…)
Les hommes sont aussi plus susceptibles d’indiquer que le but de leur masking était de se faire des amis et de créer des liens (ce qui, là encore, contredit quelque peu l’image traditionnelle de l’autisme), tandis que les femmes étaient plus nombreuses à expliquer qu’elles cherchaient à éviter l’ostracisme ou le harcèlement, ainsi qu’à s’en sortir dans les contextes scolaires ou professionnels.
Il y a beaucoup plus d’anxiété sociale associée au masking chez les femmes autistes, ce qui pourrait refléter la pression plus forte des attentes genrées dans le milieu professionnel.
Ainsi, le masking n’est pas unique à l’autisme ni aux femmes autistes, mais il apparaît beaucoup plus souvent dans le profil comportemental féminin, et semble bien plus lié au fait de se conformer aux attentes sociales (s’intégrer) et d’éviter les expériences sociales négatives (rejet, ostracisme, solitude)
Une internalisation de leurs difficultés
La première fois que j’ai découvert ce concept c’était dans Is this autism ? et ça m’avait frappé : les femmes internalisent leur autisme et les hommes l’externalisent.
Mais le concept d’internalisation ne s’arrête pas à l’autisme. C’est un concept global de la santé mentale.
Les symptômes psychopathologiques (pas seulement dans l’autisme) sont fréquemment classés en comportements « internalisés » et « externalisés ».
L’internalisation renvoie à une réponse tournée vers l’intérieur face à la détresse. Les individus présentent des niveaux élevés de culpabilité et d’autocritique, se blâmant eux-mêmes pour des insuffisances et des échecs perçus, et ils montrent fréquemment des schémas de retrait social ou d’automutilation.
L’internalisation est associée à des types spécifiques de troubles de la santé mentale tels que la dépression et l’anxiété sociale.
L’externalisation renvoie à des comportements de type « passage à l’acte », tels que la colère, l’agressivité et l’hyperactivité, et est associée aux troubles des conduites, au trouble oppositionnel avec provocation, au trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), et aux troubles liés à l’usage de substances.
Les rapports sont constants : les preuves d’internalisation sont beaucoup plus fréquentes dans les problèmes de santé mentale féminins, et celles d’externalisation plus fréquentes dans les problèmes masculins.
On pourrait assurément décrire la manière dont l’autisme semble se présenter chez les femmes comme la manifestation d’un processus d’internalisation à l’œuvre.
Ou, pour le dire autrement, l’internalisation consiste à évacuer sa détresse mentale en la transformant en attaque contre soi-même. Ça conduit également à minimiser ce que l’on vit.
Des intérêts “spécifiques” socialement acceptés
C’est vrai pour tous les autistes : ça n’a aucun sens que les intérêts autistiques soient vus comme devant être spécifiques.
Ce truc des intérêts spécifiques c’est la vision alliste qui ne remarque l’intérêt que quand il est inhabituel.
On devrait plutôt parler d’intérêts intenses.
Mais, les femmes autistes comprennent qu’elles ne doivent pas avoir des intérêts intenses sur des sujets étranges. Alors elles vont être passionnées d’Hello Kitty ou de Britney Spears.
Mais Nicolas, toutes les petites filles peuvent avoir une phase Hello Kitty.
Bah oui et quasiment tous les petits garçons ont des phases train et dinosaures, et ça n’a pourtant pas empêché d’en faire un critère du diagnostic autistique. Parce qu’on comprend que ce qui compte c’est la différence d’intensité.
Les petites filles comprennent qu’elles ont le droit d’avoir une fixette sur la couleur rose ou sur une chanteuse. Mais que si elles font une fixettes sur les fusils ou les voitures on va les dissuader.
Des difficultés sensorielles plus prononcées
Les femmes autistes rapportent des difficultés sensorielles plus grandes que leurs homologues masculins. Ça ne veut pas dire que les hommes autistes n’ont pas de particularité sensorielle (entre 90 et 95 % des autistes ont des particularités sensorielles), mais en revanche ça veut dire que si ce critère ne compte pas alors on va exclure des femmes du diagnostic autistique.
Car oui, depuis 2013, le critère de la sensorialité est rentré dans la définition officielle (le DSM) mais ça reste relativement récent. La plupart des tests de screening de l’autisme sont plus vieux que ça.
Il devient de plus en plus clair que les femmes autistes rapportent une sensibilité sensorielle significativement plus élevée que les hommes autistes, et ce dans toutes les modalités sensorielles (c.-à-d. auditive, visuelle, tactile, olfactive et gustative).
Du coup, ça nous a fait passer à côté de plusieurs femmes autistes puisqu’on ne regardait pas ce critère :
Fait intéressant, une étude de 2021 portant sur les caractéristiques des personnes autistes diagnostiquées tardivement, et cherchant à savoir s’il existait des différences clés dans la manière dont leur autisme s’était initialement manifesté, a révélé une incidence beaucoup plus élevée de différences sensorielles chez les femmes diagnostiquées tardivement que chez les hommes.
Ce n’est pas binaire
Élargir la définition de l’autisme pour inclure les présentations les plus couramment retrouvées chez les femmes profite à tout le monde. En effet, toutes les femmes autistes n’ont pas la présentation de leur genre et vice-versa.
Il y a des hommes autistes qui font énormément de masking et des femmes autistes qui en font peu. Et ainsi de suite. Là on a parlé des grandes tendances, des moyennes, mais à l’échelle individuelle ça va différer.
La source
Comme toute cette semaine, toutes les citations viennent du livre de Gina Rippon : the lost girls of autism.