Vous avez voté pour le sujet méritocratie. De justesse :
Mise à jour : le vote est tellement serré que désormais c’est l’inverse. La vie d’adulte est à 34% et la méritocratie à 32%. Mais j’ai déjà écrit cet email. Alors on fera la vie d’adulte semaine prochaine ou après prochaine !
Alors on va commencer avec le secret que j’ai découvert en préparant ce thème. Je ne pensais pas apprendre des choses car c’est un sujet que j’ai énormément étudié. Et pourtant… je viens d’avoir une révélation dans une conférence.
Je pensais que les dés étaient pipés. C’est vrai. Mais c’est pire que ça. En réalité le jeu lui-même a été construit pour que les mêmes personnes gagnent.
Un peu comme si les hommes de grande taille se réunissait pour dire que la réussite dans la vie se décide au basket-ball. Autant dire que l’élite serait constituée quasiment que d’hommes de grande taille.
Mais avant de voir ça il faut revenir à la définition de la méritocratie.
Le récit méritocratique
Quand on veut on peut.
C’est probablement la phrase la plus représentative de la méritocratie. L’idée selon laquelle la position dans la société est déterminée par le mérite.
Qu’est-ce que le mérite ? Alors là on commence à avoir des réponses divergentes. Certains vont parler de talent, d’autres de travail. Mais en tout cas c’est l’idée qu’on récompense des personnes qui apportent le plus à la société.
En cela, c’est un récit qui s’oppose frontalement à celui qu’il a remplacé : l’aristocratie de l’Ancien Régime. Dans cette société, la position était simplement déterminée par la naissance.
Alors, pour la renverser il a fallu promettre (voire espérer sincèrement) que le nouveau système permettrait de s’élever sur la base de quelque chose d’autre que la naissance.
On verra qu’au final le changement est relatif et non absolu. C’est-à-dire que la naissance continue à déterminer très largement la position dans notre société.
Mais, au moins sur le papier, nous sommes dans une société où le mérite fonde les différences.
L’escroquerie : comment on a inversé les choses
On critiquera l’idée même de méritocratie. Avec le lien entre naissance et position dans la société. Mais pour le moment voici la révélation que je t’ai promise : le système capitaliste appelle mérite ce qui lui profite sur le plan capitalistique.
En d’autres termes, on ne dit pas : cette personne a 10 unités de talent (ou 10 unités de travail) et donc elle aura 10 unités de revenu.
On dit : cette activité me rapporte 100 unités de revenu donc les personnes qui savent faire cette activité, je les rémunérerais 10 unités de revenus, les autres 0.
Prenons un exemple concret : si tu as un talent dans les tâches ménagères, on ne dira pas de toi que tu es une personne méritante. Si tu travailles toute ta vie dans le ménage au point de devenir une des personnes les plus efficaces on ne dira pas de toi que tu es une personne méritante.
On ne t’accordera pas un salaire élevé.
Car ce n’est pas la quantité de talent ou de travail qui fonde le mérite mais bien la nature de ce talent ou de ce travail.
Si à l’inverse tu as un talent dans la vente de produits complexes, tu gagneras bien ta vie. Idem si tu travailles pour avoir un bon niveau dedans.
Prenons Mbappé. Oublions le débat entre talent et travail. Ce qui est sûr c’est qu’on a des vidéos de lui où, à 10 ans, il est déjà un génie du foot.
Mais, que serait-il advenu s’il était un génie du Hockey sur Gazon ?
Ou un génie du Ping-Pong ?
En 2018, l’équipe féminine des pongistes françaises gagnait environ un smic par mois, pour des heures et des heures d’entrainement (évidemment les hommes gagnent un peu plus que les femmes, même si les sommes ne sont pas folles pour eux non plus). Audrey Zarif, une des pongistes de l’équipe de France, expliquait qu’elle devait payer ses déplacements elle-même, ainsi que son logement et la nourriture.
ll ne serait pas millionnaire.
Alors… est-ce que Mbappé mérite davantage que le génie français du Ping Pong dont je ne connais même pas le nom car il n’est pas mis en avant ?
Le foot rapporte énormément d’argent (car c’est un des sports les mieux taillés pour la télévision, un de ceux qui procurent le plus d’émotions) donc la société récompense énormément les joueurs de foot.
D’ailleurs… est-ce que Wendy Renard, une des meilleures joueuse française de foot, mérite moins que Mbappé ?
Dernier exemple : la capacité à être une personne amicale. Ça ne rapporte rien au capital. Alors personne n’est méritant parce qu’il est un bon ami.
On pourrait multiplier les exemples. C’est pareil avec les talents manuels versus les talents intellectuels.
Ce que le capitalisme appelle mérite, c’est uniquement ce sur quoi il peut capitaliser.
Ce n’est pas : y’a des personnes méritantes donc il faut les récompenser.
C’est : y’a des choses que je veux récompenser donc je vais appeler “méritantes” les personnes sachant faire ces choses.
L’école valorise avant tout la capacité à se comporter comme un enfant de riche
Là encore, on y reviendra, mais on observe que l’école va survaloriser les enfants de riche.
Car ce sont eux qui comprennent le mieux le “métier d’élève”.
D’ailleurs, y’a une exception : les enfants de prof. Mais ça se comprend : qui comprend mieux le métier d’élève qu’un prof ?
C’était mon cas. On dit que 50% des résultats d’un élève sont liés à sa capacité à assimiler les codes scolaires. Je l’avais compris. J’arrivais à avoir de bonnes notes même quand je ne connaissais pas les bonnes réponses, par exemple. Ne serait-ce que parce que je maîtrisais très bien le langage.
Les enfants de riche redoublent moins que les autres. Parce que les parents vont davantage s’opposer au redoublement de leur enfant. Ce sont aussi les parents les plus riches qui vont entamer les procédures d’appel du redoublement.
Idem pour l’orientation, les parents comprennent mieux quelles sont les voies de garage et les voies royales :
À note égale, un élève issu de milieux défavorisés a deux fois moins de probabilité d'accéder à une seconde générale ou technologique qu'un élève issu d'un environnement favorisé.
Cette inversion nous apaise
À qui profite le crime ?
Au capitalisme.
Ok c’était simple.
Mais en vrai… ça nous profite aussi à nous.
Ça permet d’apaiser à la fois notre colère et notre culpabilité.
Le mot creux de mérite, répété comme un concept religieux permet de justifier que certaines personnes meurent de faim parce qu’elles ont pas assez bien travaillé à l’école.
Accessoirement ça peut aussi m’apaiser à titre individuel : si je considère que je suis dans ma position sociale parce que je ne mérite pas. Paradoxalement ça apaise (en désespérant, certes) : ce n’est pas totalement de ma faute. Je suis comme ça.
Mais ce que ça apaise surtout c’est bien la colère face à l’injustice. Car dire que les personnes qui réussissent le mieux sont les plus méritantes c’est aussi dire que les personnes les plus pauvres ne méritaient pas autre chose.
C’est triste, mais c’est comme ça, c’est limite la loi de la nature.
De la même manière que nous ne sommes pas en colère de voir des loups manger des agneaux, on ne peut pas être en colère de voir des pauvres.
Les sources
Pour la première partie de mon argumentation et notamment la réflexion sur Mbappé, j’ai paraphrasé cette conférence :
Pour la citation sur le parcours des enfants riches, j’a repris de cette vidéo :
Aux USA la phrase clé que te lancent à la figure les partisans du mérite c'est "Pull yourself by your own boostraps"
Et le meilleur debunkage de ce truc physiquement impossible a été fait par nul autre que Martin Luther Kinng
"I believe we ought to do what we can, and seek to lift ourselves by our own boostraps, but it’s a cruel jest to say to a bootless man that he ought to lift himself by his own bootstraps"
https://www.youtube.com/watch?v=3xD8vWQJEok