La structure d'une semaine dans mon école
Hier je te racontais comment j’avais mis en place un système de maisons dans mon école. Aujourd’hui rentrons dans la structuration même de l’école.
Les grands principes
On a déjà vu les 12 lois de la pédagogie que je suivais. Mais commençons par un petit condensé.
La théorie c’est cool
J’ai regardé des dizaines de conférences avec des gens qui expliquent que l’école c’est tout pourri parce qu’on met un prof qui fait de la théorie. J’ai même entendu que l’école était une variation de l’usine.
Sauf que… dans l’Antiquité les écoles avaient déjà cette forme. Et, je ne suis pas pour faire quelque chose parce qu’on l’a toujours fait ainsi. En revanche je pense qu’il faut vaut mieux comprendre pourquoi on fait une chose d’une telle manière avant de remettre en question.
Donc je me suis posé la question : pourquoi dans tant de société l’école a pris cette forme avec un·e prof qui parle devant des élèves ?
Je pense que la réponse est simplement : parce que ça marche.
Pour autant, les gens qui critiquent cette configuration ne sont pas fous. C’est une configuration qui marche uniquement avec un·e prof qui maîtrise à la perfection certaines compétences. Notamment celle de faire rire une salle, de la fasciner, etc.
La théorie, correctement faite c’est mieux qu’une place de cinéma.
Il n’y a qu’un seul animateur des cours
J’ai fait ce choix car ça aurait été trop compliqué de recruter d’autres profs et que je n’avais pas le budget.
Mais à refaire, je le referai.
Ça permet de développer avec les élèves un rapport plus riche et d’avoir une vision claire de leur enseignement.
Bien entendu, ça va à l’encontre d’un autre conseil que je vois souvent en vidéo de gens qui veulent révolutionner l’éducation : faites venir des experts de leur domaine pour qu’ils fassent cours par la pratique.
C’est selon moi une erreur pour deux raisons. La première c’est que pour donner un cours de cuisine ou un cours de mécanique, la compétence la plus importante est la même : celle de savoir comment donner cours.
Il faut donc un prof professionnel.
La seconde c’est qu’en école de commerce, chaque fois qu’on faisait venir quelqu’un du métier ça donnait un cours bâclé. Pour une raison simple : la personne a un métier ! Donc elle n’a pas le temps de créer un cours.
On sous-estime très souvent le temps qu’il faut pour préparer un cours satisfaisant. Mais pour te donner un ordre de grandeur, pour une création ex nihilo j’ai besoin d’environ 2 à 3 heures de préparation pour 1 heure de cours. Alors que pour donner un cours que j’ai déjà donné il me faut plutôt 1h30 à 30 minutes de préparation.
En d’autres termes, pour préparer un cours de 2 heures il me faut entre 4 heures et 6 heures, la première fois. Entre 1 et 3 heures les fois suivantes.
La plupart des gens qui font leur métier n’ont pas ce temps.
L’espace d’apprentissage doit être démocratique
Bien sûr, je suis chargé du programme et de faire respecter le timing. Pour autant, les élèves doivent pouvoir donner leur avis.
Il m’est déjà arrivé de changer totalement le cours d’une semaine parce que, le mardi, les élèves me disent on comprend rien.
D’ailleurs, les élèves n’oseront dire ça que si et seulement si ils/elles savent que ça peut changer quelque chose. Et qu’il n’y aura pas de conséquence négative.
Un élève n’est pas un enfant
Puisque l’espace est démocratique ça veut dire que les élèves ne peuvent pas se contenter de venir au spectacle. Chacun doit donner du sien. Par exemple comprendre l’importance de la ponctualité dans un groupe.
Dans ma vie personnelle, je ne suis pas à cheval du tout sur la ponctualité. En revanche dans ce cadre où des élèves ont parfois jusqu’à 1h30 de trajet aller pour venir… il faut que les autres puissent respecter ça.
De même, ça ne peut pas toujours être les mêmes qui rangent la salle après le déjeuner. Etc.
L’espace physique doit être optimisé pour l’apprentissage
C’est le seul principe qui n’est pas vraiment dans mes 12 lois. J’ai passé énormément de temps à me demander quelle était la configuration idéale d’un espace d’apprentissage.
J’en suis venu à la conclusion que ça dépendait du nombre d’élèves, mais que jusqu’à 10 élèves il faut faire un cercle, puis jusqu’à environ 25 il faut faire un U.
Au-dessus, je n’ai jamais eu à gérer… je pense que je ferais des îlots. Mais sans certitude.
De plus, puisque les élèves passaient 7 heures par jour dans la même salle, il était crucial qu’elle soit confortable. J’ai donc banni l’idée d’avoir des chaises. Je ne connais aucune chaise qui soit confortable aussi longtemps.
Et donc… j’ai préféré mettre des canapés :
En version avec plus de 10 élèves ça donne ça :
L’essentiel du temps de travail doit pouvoir être fait en classe
On ne sait pas quelle est la vie des élèves. Je détestais le concept d’avoir un mémoire à faire chez moi, en école de commerce. Aussi, je me suis arrangé pour que le gros du travail ait un temps dédié. Donc dans ce qui va suivre quand par exemple tu vas voir qu’ils ont un projet à faire sur l’année, je bloquais 70 heures dans l’agenda, sur le temps de classe, pour que ça soit faisable dans ce temps. Idem pour le mémoire, il était fait sur le temps de classe (mais on en reparlera).
Les briques de la semaine
Les principes étant posés, il ne reste plus qu’à créer la structure des semaines. Si tu as déjà suivi une de mes formations tu sais que je ne jure que par ça. Si tu veux écrire un bon article je te conseille de commencer par la structure, si tu veux faire une bonne vidéo je te conseille de commencer par la structure… et bah là c’est pareil.
Le tour des attentes
La première brique du dispositif pédagogique de la semaine : le tour des attentes. Tous les lundis je présente le programme de la journée puis chaque élève dit ce qu’il attend de cette semaine.
Puis, tous les soirs, je demande à chaque élève comment il a vécu sa journée et ce qu’il retient.
Quand le groupe est suffisamment petit je fais un tour des attentes chaque matin et pas uniquement chaque lundi.
Ça permet de s’adapter en temps réel aux besoins des élèves, de les inciter à s’impliquer dans la construction du cours et de donner leur avis.
Et surtout : je prends en compte les retours.
Le cours théorique
C’est le format le plus classique. Ça ressemble exactement à ce que tu imagines.
Le cours/débat ouvert au public
Une fois par semaine (souvent le mercredi) on organisait un cours ou un débat ouvert au public. Ça permettait de confronter les élèves avec des recruteurs et recruteuses déjà en poste qui vont forcément poser d’autres questions.
Ça servait aussi de cours des essentiels qu’on enregistrait. Donc les élèves pouvaient réviser en regardant la vidéo.
Les interviews
Comme je disais plus haut, j’ai été frustré en école d’avoir vu autant d’intervenant·es qui semblaient avoir des choses à partager mais qui faisaient des cours ennuyeux.
J’ai donc décidé qu’on ferait venir des intervenant·es une à trois fois par semaine MAIS que cette personne n’aurait rien à préparer. Tout repose sur le prof animateur. Je choisissais donc l’expertise pour laquelle je voulais que cette personne parle.
Par exemple je faisais venir un commercial pour leur parler de vente.
Mais ce sujet était secondaire. Le vrai sujet c’était : le parcours de vie.
Je voulais que les élèves voient à quel point les gens ont tous des parcours différents. Donc je posais des questions type podcast comme tu étais dans quel état d’esprit juste après ton bac ?
Ou alors pourquoi tu as choisi tel type d’études ?
Là encore, la disposition compte. Donc j’étais en face à face avec la personne invitée, les élèves autour et on discutait librement.
Le Ask Anything
Tous les mercredis matins on prenait 45 minutes pour un format de questions anonymes sur n’importe quel sujet. La boîte à questions était en permanence au milieu de la salle, tout au long de la semaine, et les élèves y déposaient des papiers avec leurs questions.
Puis, le mercredi, je la renversais et je dépouillais les papiers.
C’est lors de ces moments qu’on a par exemple discuté de racisme anti blanc ou de gestion financière. Mais c’est aussi là que parfois une question me faisait dire wow mais attends ça c’est carrément un cours que j’ai oublié de mettre dans le programme, on le fera la semaine prochaine.
Le Show and Tell
Tous les lundis je prenais 2 ou 3 personnes au hasard qui devait raconter une histoire, n’importe quoi, debout devant les autres. Pendant 3 minutes chacune.
J’ai vite arrêté car ça stressait énormément certaines personnes et elles arrivaient avec la boule au ventre. Pire manière d’entamer une semaine.
L’idée c’était de travailler la compétence prise de parole en public. Mais du coup j’ai trouvé une autre solution. On en parlera quand on abordera la structure de l’année.
Les khôlles
Tous les vendredis les élèves devaient accomplir un exercice au tableau. Sur le modèle des khôlles en prépa. Donc : 30 minutes de préparation, puis 30 minutes de passage. Chaque élève est seul·e devant son bout de tableau et résout l’exercice.
L’avantage de ce format c’est que ça permet d’évaluer très rapidement le niveau de compréhension individuel. Et ça les oblige à réviser et ancrer les savoirs de la semaine.
Le gros inconvénient c’est qu’en important un format d’une pédagogie aussi stressante que la prépa, j’ai ramené une partie du stress avec. J’ai eu beau essayer de les rassurer le plus possible, ça restait le moment le plus stressant de leur semaine.
Je l’ai quand même conservé car les bénéfices me semblaient surpasser les inconvénients.
Les projets de maison
Un autre concept que j’ai beaucoup aimé en école de commerce c’est les junior entreprises. La junior entreprise c’est une mini-entreprise constituée d’étudiant·es de l’école. Elle a un vrai statut et rapporte de l’argent sur des missions confiées par d’autres entreprises.
Mais comme je n’avais pas accès à ce statut juridique, j’ai transformé ça en projets bénévoles mais professionnalisant. À réaliser sur un an.
Par exemple pour la première promo les 4 projets étaient :
Organiser un événement de recrutement (éventuellement payant)
Créer (et éventuellement animer) une formation au recrutement
Mener un audit au sein de l’équipe de recrutement d’une entreprise
Aider à recruter les élèves de la promo suivante
Note : chaque année les Lovelace (Serdaigle) se battent pour obtenir le projet organisation d’événement. Parce que c’est le puit à procrastination parfait. La première année ils m’ont expliqué qu’ils allaient organiser un truc énorme aux Buttes Chaumont et qu’ils allaient que je les aide à avoir l’autorisation de la mairie de Paris, pour… à la fin de l’année… remettre feuille blanche.
Les office hours
J’ai ici copié le modèle anglo-saxon. En l’adaptant à ma sauce. Là où la version américaine sert à discuter des cours, ici on avait 3 sujets : les cours, la vie en entreprise et la vie personnelle.
Chaque élève avait donc 30 minutes d’Office Hour toutes les deux semaines environ.
Je commençais toujours de la même manière :
Ce temps t’appartient. On a trois grands sujets : la vie à l’école, la vie dans ton entreprise et ta vie perso. Aucun des sujets n’est obligatoire. L’ensemble de la discussion est facultatif. Certaines personnes vont vouloir parler de certains sujets et pas d’autres. C’est toi qui voit.
Et c’était vrai.
En promo 4, un élève est venu super stressé à sa première Office Hour, je lui ai demandé si ça allait à l’école. Il m’a répondu “Oui”. J’ai creusé un peu mais il ne rebondissait pas. J’ai enchaîné sur sa vie en entreprise. Pareil. Même pire puisqu’il a dit “Oui” en faisant non de la tête. Je me doutais bien qu’il ne me disait pas tout. Puis j’ai posé la question que je pose toujours pour tendre la perche sur les sujets persos : es-tu satisfait de l’endroit où tu vis ?
Il a encore répondu “Oui”.
J’ai demandé si y’avait un sujet qu’on avait pas abordé et qu’il voulait aborder. Tu te doutes de sa réaction… il a fait “Non”.
Alors j’ai dit et bien c’est tout, tu peux appeler le suivant.
Et là il s’est exclamé ah mais c’est tout ? Hey c’était facile en fait !
J’étais mort de rire intérieurement. Et il a été plus détendu à l’Office Hour suivante quelques semaines après.
À l’inverse, des élèves vont me confier des choses parfois très intimes dès le début. C’est ce qui m’a motivé à suivre une formation de premiers secours à la santé mentale.
C’est aussi pendant ce temps que je fais volontairement éclater des conflits dans les maisons où règnent des non-dits. Comme j’ai le son de cloche de chaque membre je les encourage fortement à parler aux autres. Parfois je vais même au-delà je dis arrêtez de me dire que votre maison va bien, je sais que c’est pas vrai. Parlez vous une bonne fois s’il vous plaît.
Et, je touche du bois, ça n’a pour l’instant jamais échoué. Une bonne dispute empêche que la situation pourrisse sur une année.
Quand je dis que ça n’a jamais échoué je veux dire qu’aucune dispute n’est devenue une guerre. En revanche j’ai échoué à faire crever l’abcès dans certains cas et la situation a malheureusement pourri.
La vie de l’école
C’est le dernier format. Juste avant le grand tout de débrief de la semaine, on procédait à un temps de discussion sur la “vie de l’école”. C’était un temps libre où élèves comme prof pouvaient amener des sujets sur la table : la ponctualité, le rangement, l’organisation d’une soirée d’anniversaire ou d’un weekend entre élèves, etc.
Bonus : le Loup Garou
Evidemment ça ne faisait pas partie du temps officiel de cours, mais très souvent une partie de la classe restait une petite heure pour jouer au loup garou après les cours.
Ce qui a donné lieu à des moments légendaires et des grandes soirées.
Voilà qui fait le tour. Demain on parlera de la structure de l’année. Et en attendant, pour patienter tu peux regarder une vidéo qui parle de l’école :