La structure d'une année de mon école
Avant de commencer, vous avez été plusieurs à m’envoyer des mots sympathiques. Merci pour ça. Mais du coup ça me fait penser à mettre un bémol :
Je n’ai pas tant de mérite que ça. Demandez à n’importe quel prof qui aime son métier et je suis sûr qu’iel proposerait quelque chose de similaire.
Je le dis parce que mon enquête sur les systèmes scolaires m’a amené inlassablement à la même conclusion : le problème de l’école française est très simple. Il y a deux leviers : le budget et la liberté.
Les classes sont surpeuplées, il n’y a pas assez de profs qui sont, en plus, sous-payé·es.
Donnez aux profs le même budget et la même liberté que ce que j’ai eu et l’éducation nationale aurait une autre tête.
Autre différence : j’avais un programme en alternance donc avec des personnes majeures. Çæ laisse également plus de marges.
Ceci étant dit venons au sujet d’aujourd’hui : la structure de l’année.
La semaine d’intégration
Si y’a bien quelque chose que j’avais trouvé fort en école de commerce c’était l’intégration. En peu de temps on développe des liens très forts avec des camarades. C’est bluffant.
Je me faisais la réflexion avec un ami qui disait mais si on avait pas été voisins à l’école est-ce qu’on aurait eu cette relation ?
C’est une excellente question. Chaque année les élèves me disent on a trop de chance, notre promo est géniale on a l’impression de se connaître depuis des années.
Je réponds toujours la même chose :
- Ah, et tu penses qu’on a fait quelque chose spécial dans le recrutement ?
- Non. Mais ça doit être la chance ?
- Ahah alors comment tu expliques que la promo d’avant m’a dit exactement la même chose ?
- Je sais pas…
- Bah c’est pas que vous êtes un groupe de gens spéciaux, c’est que je vous “force” la cohésion
Evidemment que ce n’est pas comme par hasard la personne de qui j’étais voisin pendant l’intégration qui me correspondait le mieux. C’est juste que ça nous a forcé à nous intéresser mutuellement à l’autre.
Or, j’avais une chance : j’avais refusé catégoriquement le bizutage. Que ça soit en prépa, ou en école de commerce. J’avais donc pu voir de mes yeux que l’intégration fonctionnait sans le bizutage.
Alors que beaucoup de mes camarades de l’époque sont convaincus, encore aujourd’hui que c’est grâce au bizutage que les liens se sont créés si fortement.
Et je comprends pourquoi. En réalité ils n’ont pas tort : le bizutage amène à cette cohésion. MAIS c’est un effet indirect : le bizutage amène à de très fortes émotions dans des contextes de vulnérabilité et c’est ça qui soude.
Conclusion : on doit pouvoir y arriver sans l’humiliation. Il suffit de créer une émotion forte et un espace de vulnérabilité.
Heureusement, je connaissais la personne parfaite pour ça. Elle s’appelle Elsa de Bellilovsky et j’ai suivi ses cours d’improvisation. C’est une comédienne qui a aussi la sensibilité développement personnel. Je lui ai donc demandé de préparer deux demi-journées de teambuilding.
Et donc dès la première semaine, ils se retrouvent à faire de l’impro, des exercices de découvertes des autres. Y’a des rires, des pleurs, les gens se mettent à nu.
Le tout dans une bienveillance constante : personne n’est obligé de faire un exercice. Même quand il a l’air simple. Certains exercices ont l’air si facile quand on les décrit. Par exemple : se tenir debout face à la classe, sans parler, pendant quelques minutes, en regardant chaque personne une par une dans les yeux.
Ça a l’air simple, mais ça peut submerger et dans ce cas la personne passe son tour.
Le travail d’Elsa est précisément de trouver l’équilibre entre les bousculer suffisamment pour qu’ils se livrent mais également respecter les limites.
D’ailleurs, j’étais dans la salle (et je participais à quelques exercices) la première année, pour accompagner et respecter le principe : le prof est l’égale des élèves.
Mais j’ai décidé dès la seconde année d’arrêter et de vraiment les laisser face à Elsa. Car ça leur permet de vraiment se souder entre eux, sans se soucier du regard d’un prof. Ils savent qu’ils ne reverront pas Elsa dans l’année. Du coup ça permet encore plus de détente.
Les trois premières semaines
En plus de l’intégration de la première semaine, on enchaîne les 3 premières semaines. Donc les élèves viennent 3 semaines d’affilées avant d’aller en entreprise. Alors que le reste de l’année c’est l’inverse : ils sont 3 semaines en entreprise et 1 semaine en cours.
Là c’est plutôt l’école 42 qui m’a inspiré avec l’idée de la “piscine”. Un moment intense où on reste ensemble. D’ailleurs un de mes grands regrets c’est de ne pas avoir eu le budget pour leur proposer un campus. Quand je te disais que j’avais un voisin en école de commerce, c’était littéral : nous habitions dans deux chambres voisines, sur le campus.
Pourquoi faire 3 semaines d’affilées au début ? Aussi pour leur donner les bases des bases du métier de recruteur/recruteuse avant de les envoyer au feu.
Les résumés d’oeuvres
Autre temps structurant de l’année : les résumés d’oeuvres. Au début c’était des résumés de livre. Au sein d’une liste que j’avais choisie. Puis, durant une session de vie de l’école, une élève a demandé si elle pouvait résumer un film.
Je me suis rendu compte que ça n’avait pas de sens de restreindre. Tant que l’oeuvre est suffisamment longue pour véhiculer un message.
À l’origine mon but était de leur donner le goût d’apprendre dans des livres, comme on me l’a transmis en école de commerce.
Mais je voulais éviter de les dégoûter de la lecture en leur choisissant uniquement des livres dont je sais qu’ils sont des claques intellectuelles.
L’intention était bonne mais c’était trop restrictif.
Du coup j’ai changé le système : désormais il y a la liste des oeuvres validées mais n’importe quelle personne peut venir me “pitcher” une autre oeuvre pour que je la valider. Et si je la valide ça devient un résumé possible.
Les résumés sont récompensés par des points pour la coupe des 4 maisons (200 points pour un résumé qui vaut 20/20, 190 points pour un résumé qui vaut 19/20, etc).
Chaque élève doit avoir fait au moins 3 résumés dans l’année (au début j’avais dit 10 mais c’est beaucoup trop) et le reste c’est en bonus pour la coupe des 4 maisons.
Extrait de la liste :
La formation en ligne
En plus des cours, les élèves devaient visionner l’intégralité des vidéos de notre formation en ligne. En effet, l’activité principale de L’Ecole du Recrutement ce n’est pas l’école en alternance mais bien la formation continue. Nous formons des personnes déjà en poste, la plupart à distance.
Pour ce faire on a une formation d’une trentaine d’heures avec un certificat reconnu par l’État.
C’était important pour deux raisons : la première c’est que notre école en alternance ne délivrait pas de diplôme donc ça faisait quand même un petit quelque chose de reconnu. La seconde c’est que ça permet d’ancrer les connaissances. Puisque ça veut dire que chaque élève aura vu au moins deux fois chaque notion. Une fois en cours, une fois en vidéo.
Pour les inciter à le faire, il y avait 500 points pour l’élève qui finit en premier, 450 pour le second, et ainsi de suite jusqu’à 0.
Les projets
Je ne reviens pas dessus car on en a parlé hier, mais plus l’année avance, plus les élèves ont du temps alloué à leur projet. Sur la fin ça peut même occuper la moitié de la semaine.
Le mémoire
Au début j’ai proposé un mémoire collectif. Avec l’idée que la promo réussit ou échoue ensemble. Ça a été extrêmement douloureux pour les élèves, ça a créé des tensions inutiles. Même si le résultat était cool : un mini-livre créé à 12 mains.
Alors l’année d’après j’ai proposé un mémoire individuel, mais toujours sur un temps alloué. Comme je te disais hier, je déteste le principe d’avoir un mémoire à faire sur son temps libre.
Ils avaient donc une semaine pour écrire le mémoire. Ce que j’appelais mémoire était en réalité un long article. Je leur donnais un ordre de grandeur de 5000 mots (sans que ça soit une contrainte obligatoire car c’est absurde de forcer une longueur).
Et surtout, pour que ça puisse durer une semaine, je les déchargeais partiellement du travail d’organisation.
C’est à dire que le lundi matin je présentais les sujets et chaque élève en choisissait un. Puis ensuite le temps de la recherche, puis le temps de la structure et ainsi de suite. Mais le tout cadré par une structure :
Cette semaine est la seule qui a lieu impérativement à distance : pour que chaque personne puisse être dans l’environnement d’écriture optimal.
Les élèves font cours
Je crois que c’est mon format préféré. Je ne m’y attendais pas quand je l’ai conçu, mais à vivre c’est incroyable.
C’est une semaine où les élèves choisissent un sujet qui leur tient à coeur, n’importe lequel et donne aux autres un cours de 45 minutes.
On a eu des cours d’espagnol, d’arabe, de créole, de danses (dont danse classique), de rangement, de photographie, de rap, de fitness, de détection de métaux et encore plein d’autres.
J’ai découvert des élèves sous un autre jour et j’ai appris des choses qui me servent parfois encore aujourd’hui (coucou Léna qui m’a montré la méthode pour plier un tshirt correctement).
Mais au-delà de ça, c’est la semaine qui véhicule le mieux la philosophie de ma pédagogie.
On applique à fond le prof est l’égal des élèves. On sort de la posture Nicolas va tout nous apprendre.
On découvre qu’enseigner est la meilleure manière d’apprendre et on rentre un peu en compassion avec le prof. C’est une sorte de vis ma vie.
Le fait de sortir du thème du recrutement permet de les ouvrir au simple kiff d’apprendre. En plus ils écoutent beaucoup plus que quand c’est un prof car ils savent que l’élève stresse et qu’ils devront le faire juste après.
On renforce encore plus les liens entre les élèves qui peuvent se découvrir des facettes inattendues.
On leur montre qu’on a confiance en eux, en leur capacité. L’institution dit : toi aussi tu es légitimé à donner cours. Et ça développe leur compétence de prise de parole en public.
La désintégration
Là encore un principe que j’ai pris à l’école de commerce. L’année se terminait fin juin-début juillet. Mais on leur faisait bloquer deux jours mi septembre. L’occasion de revenir faire un grand débrief de l’année mais aussi de partir en excursion.
Par exemple aller au Parc Astérix ou Disney. L’idée c’est de passer une journée full détente pour clôturer en beauté.
Les semaines en entreprise
C’est évidemment la partie que je ne pouvais pas contrôler. Ça se passait plus ou moins bien.
Petit aperçu dans cette (seconde) vidéo de propagande !