La souffrance est utile
"Des centaines de personnes m'ont dit ne rien vouloir ressentir. Elles disent des choses comme : je ne veux pas essayer car je ne veux pas être déçu. Ou : je veux juste que ce sentiment disparaisse. Je dis que je comprends mais que ce sont des objectifs de gens morts. Seuls les morts n'ont jamais de sentiments indésirables ou incommodes.
Seuls les morts ne sont jamais stressés, n'ont jamais le cœur brisé, ne connaissent jamais la déception qui accompagne un échec. Les émotions difficiles font partie de notre contrat avec la vie. Vous n'aurez pas de véritable carrière, n'élèverez pas de famille ou ne laisserez pas derrière vous un monde meilleur sans stress et inconfort. L'inconfort est le prix d'entrée dans une vie qui a du sens."
À force d'être bombardé de positivisme on finit par oublier quelque chose de simple : aller mal est normal. Je le répète : aller mal est normal. Non mais sérieusement juste pour être sûr : aller mal est normal ! Cette tyrannie du positivisme nous détruit. Elle nous fait croire que la tristesse, la colère, la peur, le deuil, le chagrin d'amour sont des émotions qu'il ne faut pas avoir.
Énormément de gens se jugent eux-même négativement à chaque fois qu'ils ont ce type d'émotions. Ce qui les enferme dans un cercle vicieux où ils finissent par être en colère d'être en colère, tristes d'être tristes, etc.
Alors que les émotions sont un signal, un signal vital même. Il n'y a pas de mauvaises émotions en soi. Les émotions peuvent être le signal que quelque chose de négatif vous arrive mais elles ne sont pas négatives en soi. De la même manière qu'un thermomètre n'est pas responsable de la température.
Une fois qu'on comprend que les émotions sont un signal, on comprend aussi pourquoi on devrait faire très attention à nommer précisément ce que l'on ressent. Car on peut confondre des émotions positives avec des émotions négatives quand on n'y fait pas attention.
Par exemple l'adrénaline positive et l'anxiété. Plus vous serez précis·e, plus vous allez apprendre à différencier les nuances. Vous obtiendrez alors un signal plus précis et vous comprendrez d'où vient l'émotion en question. N'oubliez pas qu'on ne peut pas concevoir ce qu'on ne peut nommer.
Les émotions ont un vrai rôle. Il ne s'agit pas d'un vestige inutile. Les émotions négatives ont le même rôle que la souffrance physique. D'ailleurs, on dit que le cerveau active exactement les mêmes zones dans les deux cas.
Or, à quoi sert la douleur physique ? Si vous avez, comme moi, grandi dans les années 90 vous avez eu des manuels de biologie avec des photos d'enfants qui sont nés sans la capacité à ressentir la douleur. Ces enfants étaient dans un sale état : on voyait des traces de brûlures, de chocs, des cicatrices, etc. Pourquoi ? Parce qu'un enfant qui met sa main dans le feu pour la première fois ne sait pas que le feu brûle. Il le découvre la première fois qu'il ressent la douleur. Mais s'il n'est pas capable de ressentir la douleur, il doit l'apprendre d'une autre manière, par la théorie. Entre temps il a eu le temps de se brûler des dizaines de fois.
La souffrance mentale joue le même rôle : la tristesse se déclenche quand vous perdez quelque chose ou quelqu'un, elle permet de vous rappeler qu'il ne faut pas perdre les choses. Elle permet également d'attirer d'autres êtres humains qui vont venir vous réconforter en vous voyant triste. La colère se déclenche quand quelque chose se met physiquement ou métaphoriquement en travers de votre chemin, elle permet de vous donner la force nécessaire pour pulvériser cet obstacle. La peur se déclenche quand quelque chose de dangereux s'approche de vous, elle permet de vous rappeler de vous figer, vous battre ou courir. Quant au dégoût, il vous permet d'éviter de manger des choses avariées et de vous intoxiquer.
Le point commun de toutes les émotions est de vous sortir de l'indifférence. Quelque chose qui génère chez vous une émotion est quelque chose d'important. Si vous ressentez de la colère sur un sujet alors ce sujet est probablement important pour vous.
Vous comprenez mieux pourquoi on dit qu'il faut suivre la peur ? La peur, comme les autres émotions, vous indique les choses importantes pour vous. Vous fermer aux émotions supposément négatives est donc une folie. Car les émotions sont un signal vital. Plus vous allez vous y ouvrir et plus vous allez apprendre à tirer des leçons de ce signal.
J'aime la souffrance. Oui, oui, je sais : à chaque fois que je dis ça on me regarde avec des yeux ronds. Mais j'aime la souffrance. Je ne dis pas ça pour faire le malin : j'aime la souffrance. Ou plutôt je devrais dire que je ne la déteste pas et que je suis capable de l'apprécier.
Déjà parce que la souffrance permet de se comprendre soi-même mais aussi parce qu'il s'agit d'une expérience de vie en soi à vivre pour augmenter ses connaissances. Le chagrin d'amour fait partie de l'expérience d'amour. La souffrance permet également de comprendre les autres.
Comment pouvez-vous comprendre le comportement d'un chercheur d'emploi si vous n'avez jamais connu le désespoir du chômage ? D'ailleurs, les gens qui disent des choses aussi stupides que "Les chômeurs sont des assistés" n'ont clairement jamais vécu cette souffrance.
Il n'existe pas de chemin sans souffrance. Par conséquent, plutôt que vous demander ce que vous voulez, vous devriez vous demander ce pour quoi vous êtes prêt·e à souffrir. Une fois que vous avez une idée claire de la raison pour laquelle vous souffrez, il est plus facile de supporter cette souffrance.
Par exemple, j'ai choisi de travailler majoritairement de chez moi. Les avantages sont évidents. Mais il y a aussi des inconvénients : parfois je me sens seul car je n'ai vu personne de la journée. Avant quand ça m'arrivait je me sentais vide et triste.
Maintenant quand ça m'arrive... je me sens toujours vide et triste. Il n'y a pas de formule magique ! Mais je repense à cette perspective. Je me dis "Je me sens vide et ceci est le prix à payer de la vie que j'ai choisie". D'un coup, la souffrance devient bien plus facile à supporter.
Voilà pourquoi fuir les émotions négatives est un suicide individuel. On ne peut pas fuir la souffrance sans fuir le bonheur. La seule manière d'arrêter de souffrir est d'arrêter de vivre. Nous devons donc arrêter de vouloir une vie avec moins de souffrances. La souffrance est le prix d'admission d'une vie heureuse. En revanche, nous pouvons essayer de choisir les souffrances qui vont avec les chemins que l'on prend.
Tu viens de lire un extrait de mon livre : Tu vas mourir et tant mieux.
Il s’agit du début du dixième chapitre : je comprends que la souffrance est utile.
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