La psychologie du Cadeau : 3 secrets pour y prendre plaisir
Comprendre la (psycho)logique profonde des cadeaux évite de les vivre comme une corvée
Aujourd’hui on finit notre semaine sur les cadeaux.
On va parler de 3 phénomènes psychologiques qui peuvent changer notre manière de voir les cadeaux.
Le rapport rationnel entre amitié et cadeau
La raison pour laquelle il vaut mieux qu’une seule personne paie au restaurant
Comment une garderie a fait exploser le nombre de retards des parents en voulant les faire diminuer
J’avais été marqué par une réplique dans The Big Bang Theory. En gros, le personnage disait qu’il ne comprenait pas pourquoi on s’offrait des cadeaux d’anniversaire. En effet, puisqu’on s’offre des cadeaux de valeurs équivalentes, alors à quoi bon ? Ça veut dire que toute notre vie on fait un cadeau/un contre-cadeau pour équilibrer, jusqu’à notre mort où quelqu’un aura eu un cadeau de plus.
C’était pensé comme une blague, mais je me suis immédiatement reconnu dans l’interrogation du personnage. Je pense que la plupart d’entre nous ne sont pas si extrêmes dans l’interrogation mais que, quand même, nous avons une incompréhension profonde des mécanismes en jeu.
On l’accepte comme un truc normal, mais on ne se dit pas c’est rationnel.
Or, je pense qu’une fois qu’on comprend que c’est profondément rationnel, au sens où il y a des raisons factuelles de procéder comme ça, on prend davantage de plaisir à se plier au rituel du cadeau.
Les trucs chelous mais reposant sur notre psychologie
Quand on y pense, c’est bizarre de ne pas pouvoir payer ses ami·es. Alors que ça pourrait résoudre tellement de situations. Par exemple, pourquoi quand un ami nous aide à déménager on doit le rémunérer en cadeau au lieu de le rémunérer en argent ?
De même, pourquoi on fait ce truc étrange de payer un restaurant ou un verre à l’autre en lui disant tu me paieras la prochaine. Bah du coup, autant diviser par deux ! Ça n’a aucun sens, si ?
Enfin, pourquoi on a autant de réactions négatives quand on parle de revendre un cadeau ? Comment l’introduction de l’argent peut créer des dégâts irréversibles.
Ces trois points sont explicables et depuis que j’ai compris je suis passé de la réticence à l’enthousiasme. C’est même l’inverse, maintenant j’ai beaucoup de mal quand quelqu’un me propose de diviser une addition. Bon… je ne vais pas te mentir, pour le troisième point, je continue de revendre des cadeaux, mais je le fais en cachette.
Pourquoi les cadeaux sont presque dans la définition de l’amitié ?
Le premier secret à comprendre c’est l’importance du concept même de cadeau au sein du concept d’amitié.
On l’a vu plus tôt dans la semaine, nous avons deux normes très différentes. La norme monétaire et la norme sociale. On a vu également que mélanger les deux était dangereux. C’est pour ça qu’on ne peut pas remplacer une bouteille de vin que l’on ramène à un repas par son équivalent en argent.
Mais on a pas vu pourquoi cette norme existait.
En réalité, la question devrait être inversée : pourquoi la norme monétaire existe ? On peut très bien bâtir une société sans argent. Sauf que l’argent est une technologie incroyable (qui existe d’ailleurs depuis très longtemps, l’idée que nos ancêtres faisaient du troc est un mythe).
L’intérêt de l’argent c’est qu’il permet de ne pas devoir attendre d’avoir quelque chose d’équivalent pour rembourser l’autre. En d’autres termes : on a besoin de l’argent pour les gens qu’on ne compte pas revoir.
Du coup, à l’inverse, la norme sociale du cadeau/service a l’intérêt opposé : le cadeau permet de dire qu’on compte se revoir. La relation n’est pas finie et on compte la maintenir.
Offrir des cadeaux ou des services aux gens qu’on aime c’est un message qui dit je ne sais pas quand est-ce que tu me le rendras mais puisqu’on va se voir encore longtemps y’a pas besoin de le savoir. Je ne sais pas comment tu le rendras mais peu importe.
Au début, dans une petite communauté, on refuse de compter précisément, ce que chacun doit à chacun. On se connaît, on se soucie les uns des autres et on sait bien que ce qu'on a fait pour le voisin, le voisin aura bien un jour l'occasion de le faire pour nous, même si on ne sait pas exactement quand et même si ce ne sera pas forcément une chose strictement équivalente.
Comme entre amis aujourd'hui, les promesses floues, jamais vraiment comptées ni remboursées, c'est justement ce qui fait de cette communauté une communauté.(…)
Au fur et à mesure qu'on commence à vivre avec de plus en plus de gens dont on n'est pas aussi proche qu'avant, on commence à exiger des garanties, des reconnaissances de dettes qu'on pourra montrer aux autorités pour exiger un remboursement si la personne tarde à rembourser. [C’est ce qui a donné naissance à l’argent]
Au final, le personnage de Big Bang Theory avait touché un point : on se fait l’échange réciproque jusqu’à la mort. C’est ça le message du cadeau.
D’ailleurs quand on met fin à une relation on a tendance à vouloir faire les comptes, rendre des cadeaux, etc.
Conclusion : le cadeau n’est pas juste un truc qu’on fait parce qu’on a toujours fait comme ça. C’est aussi une des manières les plus claires de dire que la personne fait partie des gens que l’on veut revoir.
Bon, tu me diras que du coup ça n’a aucun sens d’offrir un cadeau de Noël à la tante de ton ou ta partenaire que tu n’aimes pas… Certes.
Pourquoi c’est mieux qu’une personne paie toute l’addition
Le deuxième secret est celui qui m’a le plus profondément marqué quand je l’ai compris. L’intérêt de payer toute une addition.
La micro-économie nous apprend une chose : nous avons une douleur de payer.
Wow, sans blague.
Une douleur de payer non-linéaire.
Hein ?
Imaginons que la douleur se mesure en “Dolorum”. Disons que payer 10€ ça te fait une douleur psychologique de 1 Dolorum. Et bien payer 20€ d’un coup ça ne va pas te faire un douleur de 2 Dolorum. Ça te fera quelque chose comme 1,5.
Et payer 100€ ça te fera pas 10 Dolorum, ça te fera plutôt 3 Dolorum.
La douleur de payer décroît énormément. C’est pour ça que c’est beaucoup plus facile d’acheter un ordinateur à 1215€ au lieu de 1201€, plutôt que d’acheter un stylo à 15€ plutôt qu’à 1€.
Quand on dépense 1200€, rajouter quelques euros de plus ne change quasiment rien à notre perception de la douleur.
Revenons-donc à notre repas.
Imaginons que vous êtes deux. Et que le repas coûte 60€.
Si vous divisez et que chaque personne paie 30€, chaque personne aura une douleur de, par exemple, 2 Dolorum. Donc on a une souffrance totale de 4 Dolorum.
Imaginons que vous refassiez la semaine d’après un repas à 60€, vous refaites pareil… vous êtes à 8 Dolorum.
Maintenant disons qu’une personne paie tout au premier repas, puis l’autre paie tout au second. En termes d’argent dépensé, c’est tout aussi équitable : vous aurez tous les deux dépensé 60€ pour deux repas.
Mais en termes de douleur ça n’a rien à voir. Vous avez maintenant chaque personne qui aura ressenti 3 Dolorum, pour une souffrance totale de 6.
Bien entendu j’invente les chiffres mais c’est pour illustrer la logique.
En conclusion : c’est beaucoup plus agréable psychologiquement de payer 60€ d’un coup, puis d’avoir un repas gratuit, que de payer deux fois 30€.
Attention, dans cet exemple je suis parti du principe que vous avez globalement la même rémunération. Si je gagne beaucoup plus qu’une personne dont je suis proche je préfère tout payer tout court. Ou alors faire au prorata, puisque la douleur de payer est également proportionnelle au revenu.
Introduire l’argent peut causer des dégâts irréversible
Le troisième secret c’est qu’on ne peut pas basculer sans dégâts de la norme monétaire à la norme sociale.
Une garderie voulait diminuer le nombre de retards des parents. La direction décide alors d’instaurer une amende pour les parents retardataires.
En cas de retard, les parents éprouvaient un sentiment de culpabilité qui les poussait à se montrer ponctuels par la suite. Mais une fois l’amende décrétée, les normes sociales de la garderie cédèrent la place à celles du marché. Désormais, les parents payaient pour leurs retards – ils interprétèrent donc la situation suivant les codes des normes du marché. Autrement dit : soumis à une amende, ils pouvaient décider d’être en retard ou non. On l’aura compris, ce n’est pas ce que la direction de la garderie avait en tête.
Échec total donc. À partir du moment où on a fait basculer les gens dans la norme monétaire, ils se comportent intégralement dans cette norme. On l’a dit au début : l’argent permet justement de se tenir à distance. De pouvoir traiter les gens autrement que comme on traiterait nos ami·es. Introduire l’argent c’est donc également introduire l’égoïsme.
J’ai le droit d’être égoïste car j’ai payé pour.
Mais… l’expérience ne s’arrête pas là.
Le plus intéressant restait à venir. Quand la garderie mit fin au système d’amende, les normes sociales réapparurent. Les parents s’y plieraient-ils à nouveau ? Leur culpabilité jouerait-elle encore son rôle ?
La réponse aux deux questions est : non.
Une fois l’amende retirée, les parents ne modifièrent pas leur façon de faire. Les retards ne diminuèrent pas. En fait, on assista même à une légère augmentation, de ce côté-là (de fait, toutes les normes avaient été retirées, les normes sociales comme celles du marché).
Telle est la triste conclusion de cette expérience : quand une norme sociale rencontre une norme du marché, la norme sociale disparaît. Corollaire : il n’est pas facile de réinstaurer des relations sociales.
Voilà pourquoi ce n’est pas forcément une bonne idée de vouloir rémunérer tes ami·es. Même pour des grosses choses.
Voilà pourquoi leur faire un énorme cadeau (imaginons qu’ils t’ont rendu un énorme service) sera mieux que leur faire le virement équivalent.
C’est la fin de cette série sur les cadeaux
Pour écrire ce dernier mail je me suis reposé toujours sur le livre de Dan Ariely dont je t’ai déjà parlé :
C'est (vraiment ?) moi qui décide. Les raisons cachées de nos choix
Mais également sur cette vidéo vers la 35ème minute :