La psychanalyse est-elle efficace ?
Comme beaucoup de gens, j’ai été fasciné par la pensée de Freud quand elle m’a été présentée en cours de philosophie. Comme beaucoup de gens, je me suis rendu compte bien après qu’une bonne partie de ce qu’il dit est stupide, voire dangereux.
Puis, carrément, quand j’ai découvert Le Crépuscule d'une idole d’Onfray sur le plateau d’On n’est pas couché, j’ai carrément classé toute la psychanalyse au rayon charlatanisme.
Mais… quelques années plus tard, je me suis rendu compte qu’Onfray m’avait arnaqué dans un livre comparable : Traité d'athéologie où il explique notamment que Jésus n’a pas existé et que c’est une certitude.
Jusqu’au jour où je découvre sur Wikipédia que c’est une théorie très minoritaire dans le champ académique.
La thèse de l'inexistence historique de Jésus est restée marginale au sein de la recherche historique académique, complètement rejetée par les spécialistes universitaires du christianisme depuis la fin des années 1930.
Elle a néanmoins continué d’être reprise régulièrement par des auteurs en dehors du milieu académique, essentiellement par des écrivains, blogueurs et internautes. Elle a été défendue dans les médias au début des années 2000, par exemple aux États-Unis par Earl Doherty, et en France par Michel Onfray, lequel a repris les thèses de Paul-Louis Couchoud et Prosper Alfaric.
Attention, on ne parle pas ici de Jésus tel que raconté dans la Bible mais bien de l’existence historique du Jésus sur lequel repose le récit de la Bible.
Du coup, je me suis dit que si Onfray avait pu m’induire en erreur sur Jésus il avait pu m’induire en erreur sur la psychanalyse.
Pyschanalyse et psychanalyse…
Mais d’abord, qu’entend-on par psychanalyse ? Au sens strict il s’agit de la discipline fondée par Freud. La psychothérapie qu’elle opère s’appelle la cure psychanalytique.
Elle obéit à plusieurs règles.
Notamment : s’allonger sur un divan et ne pas regarder l’analyste, une durée de séance d’environ 45 minutes, un paiement en liquide (oui oui).
Certaines de ces règles sont obsolètes. Notamment le paiement en liquide. Mais le plus grand problème vient probablement du fait que psychanalyste n’est pas un titre protégé. Ça veut dire que n’importe qui peut se déclarer psychanalyste à condition d’avoir soi-même suivi une cure et, souvent, une école de psychanalyse. Mais même pas toujours.
C’est une des raisons pour lesquelles on peut y trouver pas mal de charlatanisme.
Cependant, beaucoup de psys cumulent leur pratique psychanalytique avec un master en psychologie clinique. Et beaucoup se détachent de la cure. Pratiquant ce qu’on appelle une psychothérapie d’inspiration analytique.
La psychothérapie d'inspiration analytique change de cadre, elle quitte le divan pour un entretien verbal en face à face.
Ce n’est d’ailleurs pas propre à la psychanalyse. Beaucoup de psys pratiquent une méthode hybride. Sans forcément le conscientiser.
La psychanalyse, une pseudo-science ?
Redisons-le : Freud n’est pas la psychanalyse. Si la question c’est Freud est-il à la limite d’un charlatan ? J’aurais tendance à répondre avec un grand oui. Pour autant il a quand même réussi à toucher du doigt des concepts qu’on utilise encore aujourd’hui. Certains (notamment l’Inconscient qui est le plus connu) ont été invalidés par la science, mais d’autres non.
Ma question c’était plutôt dois-je fuir une psy qui s’inspire de la psychanalyse, même si elle prend des distances ?
Je savais que je ne voulais pas faire de cure psychanalytique. Ne serait-ce que parce que je refusais de payer en liquide. Le paiement en liquide me renvoie aux pires professions, comme celle de Taxi.
Mais j’avais donc entamé une psychothérapie d’inspiration analytique avec une psy qui disait tout n’est pas à jeter dans Freud même si je le prends avec distance.
Est-ce que ça, ça suffisait à me dire que j'ai fait une erreur dans mon choix ? C’est plutôt cette question qui m’anime quand je tombe sur une vidéo YouTube qui me parle du rapport INSERM 2004.
Il s’agit en gros d’une métaétude (une étude d’études) qui concluait à l’inefficacité de la psychanalyse.
Autant dire que je prends une claque en écoutant la vidéo. Comme toujours dans ces cas, je décide alors de me plonger dans Wikipédia.
Le verdict de l’oiseau Dodo
Très vite, je tombe sur cette page :
Le verdict de l'oiseau Dodo ou conjecture de l'oiseau Dodo ou encore paradoxe d'équivalence désigne le fait que les psychothérapies puissent être aussi efficaces les unes que les autres.
En parallèle, je tombe sur plein de critiques du rapport de l’INSERM. Notamment sur un nombre énorme de biais qui auraient faussé les résultats.
Dur de s’y repérer mais je suis rassuré : dans la vidéo c’était, à la Onfray, un propos catégorique sur la psychanalyse. Limite faut être bête pour faire une psychanalyse. Là je vois que le débat est encore intense au sein de la communauté scientifique.
Et surtout, je suis fasciné par ce paradoxe de l’oiseau Dodo (qui est d’ailleurs lui aussi controversé). En gros ça dit que les psychothérapies se valent parce que leurs ressemblances sont plus fortes que leurs différences.
Des recherches soutiennent donc la théorie des facteurs communs. L'un de celui-ci est l'interaction client-thérapeute, également connue sous le nom d'alliance thérapeutique. Un article publié en 1992 par Lambert a montré que près de 40 pour cent de l'amélioration de l'état du patient dans une psychothérapie provient de ces variables client-thérapeute
L'attitude du thérapeute est également un facteur très important dans le changement positif du patient. Najavits et Strupp (1994) ont montré qu'un thérapeute positif, chaleureux, attentionné et authentique générait des différences statistiquement significatives dans les résultats obtenus auprès des patient
Mais ce qui m’a le plus surpris c’est ça :
L'étude de 2002 Wampold et al. a également constaté que près de 70 % de la variabilité des résultats du traitement était due à l'attitude du thérapeute à l'égard de l'efficacité du traitement
En d’autres termes : la psychothérapie fonctionne mieux si la thérapeute a confiance dans sa méthode.
Mais alors, est-ce un effet placebo ?
On y arrive.
Je décide de me pencher sur la question en achetant ce livre :
Un axe de critique injuste
Dans la vidéo YouTube, on avait un zététicien et un praticien de psychothérapie TCC (thérapies cognitivo-comportementales : une autre forme qui veut vraiment s’ancrer dans la science) qui attaquait la psychanalyse comme étant un effet placebo. Avec un échec de se soumettre au protocole scientifique classique pour la médecine.
Avec le covid tu en as probablement entendu parler, on demande des études randomisées en double aveugle. C’est-à-dire que ni le patient, ni l’expérimentateur ne sait s’ils appartiennent au groupe placebo ou au groupe qui reçoit le vrai médicament.
Quand on te dit que le vaccin anti-covid est efficace à 90% c’est globalement ça que ça veut dire. Que pendant l’étude, le groupe qui a reçu le vrai vaccin a subi 90% de décès en moins que le groupe qui a reçu un faux vaccin (le placebo).
Quand on te dit qu’il est efficace à X% contre les formes graves, là encore c’est en comparaison avec un placebo.
En médecine c’est fondamental car chaque médicament est dangereux. Chaque médicament a des effets secondaires indésirables. Même un médicament léger comme le paracétamol (Doliprane) peut tuer à forte dose. Par conséquent, le médicament doit obtenir un effet significativement plus grand que le placebo. Sinon… autant donner le placebo. Pour ne pas risquer les effets secondaires.
C’est tellement important qu’on a ancré le réflexe dans tous les esprits scientifiques, avec raison. Mais on oublie souvent de rajouter un point très important : l’effet placebo n’est pas rien. C’est d’ailleurs pour ça qu’on compare le médicament à cet effet. Sinon on aurait pas besoin de faire ça : il suffirait de constater que le médicament soigne. Le souci c’est que le placebo soigne vraiment. On cherche donc à avoir des médicaments qui soignent beaucoup mieux que le placebo.
C’est probablement un des effets qui me fascinent le plus.
Le placebo agit non seulement sur des signes subjectifs (douleur, anxiété, dépression, etc.), mais également sur des signes mesurables cliniques (fréquence cardiaque, pression artérielle) et biologique (ionogramme sanguin, cortisolémie, numération leucocytaire). Selon Alain Autret, neuro-psychiatre, il a été « indiscutablement démontré une amélioration par le placebo » pour les douleurs, les nausées, l’asthme et les phobies
Mais du coup, si on parle de santé mentale… pourquoi voudrait-on éviter le placebo ? Et qu’est-ce que ça voudrait dire ? Qu’est-ce qu’une étude en double aveugle en la matière ? On ne peut pas faire une fausse psychothérapie sans que la personne qui la procure s’en rende compte.
Mais surtout, je répète : pourquoi voudrait-on éviter le placebo ici ? Puisqu’on introduit pas de substance potentiellement nocive. L’effet placebo devient donc une arme de l’arsenal de santé mentale.
Pour autant, ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas appliquer une démarche scientifique d’évaluation, mais elle doit s’adapter à cette contrainte.
Des études statistiques ont ainsi montré que la psychanalyse avait une efficacité clinique supérieure aux « groupes contrôle » (soins de routine, entretiens ou listes d’attente), toutes pathologies confondues, sur le court terme et sur le long terme.
Par rapport aux « groupes contrôle », les thérapies psychanalytiques, sur le court terme, s’avèrent plus particulièrement efficaces, pour : les troubles communs (non psychiatriques ;
les troubles de la personnalité avec troubles dépressifs;
les troubles psychiatriques;
les troubles à symptômes somatiques ;
les troubles de l’anxiété sociale chez les adolescents.
Elles sont également particulièrement efficaces sur le long terme pour les troubles psychiques complexes.
La technique pure est rare
L’autre point soulevé par le livre c’est que les psys utilisent rarement le modèle de manière pure. On l’a dit plus haut, la plupart des psys empruntent aux autres disciplines, même quand elles s’annoncent d’une discipline précise comme la psychanalyse ou les TCC.
Du coup, ça devient compliqué de mesurer précisément les effets propres à la discipline.
Une efficacité comparable aux autres psychothérapies
L’auteur nous emmène ensuite à travers plusieurs études et fait lui-même le verdict de l’oiseau Dodo :
On ne prend cependant pas de risque inconsidéré à conclure que la psychanalyse, sous sa forme a priori recadrée en quelques principes fondamentaux (approche psychodynamique, verbale, centrée sur la relation transférentielle, à la fois interprétative et soutenante), est efficace – et globalement aussi efficace que d’autres approches.
Avec toujours les mêmes conclusions sur les facteurs importants :
S’ensuit un comptage quali-quantitatif des facteurs communs à tous les types de thérapie :
être là pour le patient ;
apporter un soutien ;
croire à son modèle thérapeutique ;
s’intéresser aux problèmes de la personne en demande ;
aider à trouver du sens ou des explications à ce qui arrive.
Mais surtout à des efficacités supérieures dans la spécialité de chaque discipline :
L’étude conclut à une efficacité moyenne égale pour chaque approche (relativement au focus « dépendance aux opiacés » de l’étude), ainsi qu’à une efficacité moyenne supérieure de chaque thérapie relativement à ses objectifs propres tels que manualisés, soit :
la facilitation de l’expression personnelle et de la compréhension de la relation transférentielle, dans le cas des thérapies psychanalytiques ;
un meilleur repérage des distorsions cognitives en lien aux comportements, dans le cas des thérapies cognitivo-comportementales ;
une bonne capacité à surveiller les problèmes et à donner des conseils, dans le cas des thérapies de guidance.
Le champ évolue
Et, ce qui m’a le plus convaincu c’est l’idée que la psychanalyse moderne se plie désormais à l’exigence scientifique, là où avant il s’agissait d’un tabou voire un blasphème. Avec dix ans de retard, certes.
Trente ans plus tard, Richard Glass lui répond. Il constate que les TCC ont réussi le pari dès les années 1990 et que les approches psychanalytiques, malgré une décennie de retard, participent désormais activement, en 2008 (année où il écrit), à l’effort légitime d’évaluation de leurs pratiques.
Ma conclusion
Tout ceci est le fruit de ma propre quête. Chaque personne fera la sienne. Mais j’ai été suffisamment rassuré pour continuer. Surtout maintenant que j’ai compris quels étaient les facteurs de réussite d’une psychothérapie. Facteurs logiques, au demeurant. Si tu ne te sens pas bien avec la personne la psychothérapie ne peut pas fonctionner.
Oui, la méthode compte et il faut trouver celle qui te va le mieux. Mais c’est d’abord une personne que tu dois chercher, la méthode ne venant qu’ensuite. En gros, même si ma psy basculait d’un coup sur un modèle TCC, ça fonctionnerait toujours : parce qu’elle et moi avons développé un lien de confiance. Or, on l’a vu, ce qu’on appelle l’alliance thérapeutique est un des facteurs les plus importants pour l’efficacité.
Je ne suis donc absolument pas en train de te dire que tu dois suivre une psychothérapie d’inspiration psychanalytique. Non, trouve ce qui te va mieux. Je te dis que tu dois d’abord trouver une personne avec qui tu sens que tu peux forger une bonne alliance thérapeutique. C’est le point le plus important.