La parole aux concerné·es ?
Retour sur un concept qui est souvent très mal compris : le fait de laisser la parole aux concerné•es des oppressions. La parole aux femmes pour le féminisme. La parole aux personne racisee pour Le racisme. Et ainsi de suite.
Est-ce que ça veut dire que les personnes concernées ont toujours raison ? Bien sûr que non.
Ce principe est une posture du même type que « le client a toujours raison ». Ça met dans les bonnes dispositions de l’appliquer.
Expérience ou théorie
Le racisme est un sujet complexe. L’antiracisme l’est tout autant. Ce n’est pas un sujet qu’on peut régler avec un post facebook qui dit que « blanc sans le n ça fait black, comme quoi sans haine on est égaux ».
Ok Gérard. Mais concrètement ? Comment on désintoxique 200 ans de racisme ?
Oui, 200 ans et pas 2000 : le racisme est une idéologie relativement récente, on l’a déjà vu.
C’est un sujet qui est étudié théoriquement de long en large par la science. Et c’est un sujet qui est expérimenté directement par les personnes racisées.
Il n’y a donc que deux manière de pouvoir formuler des propos pertinents : le vivre en pratique ou l’étudier en théorie.
Mais comme tous les sujets complexes, en vrai ?
Donc si tu veux pouvoir tenir une discussion cohérente tu dois d’abord t’intéresser à ce corpus scientifique. Tu peux y accéder via des livres de vulgarisation. Mais tu ne peux pas y couper. Sinon c’est comme donner son avis sur les vaccins dans la moindre connaissance.
Ou alors, tu dois écouter des personnes qui ont la pratique. Là encore tu as des livres. Par exemple ceux de Martin Luther King que tout le monde cite sans savoir ce qu’il a écrit. La plupart des gens qui mentionnent Luther King l’auraient détesté de son vivant et hurleraient en lisant ses livres.
Rappel d’une citation de Luther King :
Le plus grand obstacle des Noirs dans leur effort de libération est non pas le Ku Klux Klan, mais le Blanc modéré
Mais surtout :
Les Blancs, il faut le dire, ne sont pas soumis à la même charge mentale pour se rééduquer et se sortir de leur ignorance raciale. C’est un aspect de leur complexe de supériorité qui fait que les Blancs d’Amérique pensent qu'ils ont si peu à apprendre.
Remplace Amérique par France et tout est dit.
Avoir le réflexe de se taire et écouter
C’est là qu’arrive le fameux concept de la parole aux personnes concernées.
Parce que trop peu de personnes blanches acceptent de se taire et d’écouter.
Comme le dit Martin Luther King c’est en réalité une des facettes du racisme ordinaire : se dire qu’on a pas besoin d’apprendre sur le sujet.
Premièrement parce qu’elles ne croient pas que le sujet est complexe. Dans leur tête si elles ont fait un peu de philo en terminale alors elles sont légitimes à fournir un avis.
Deuxièmement parce que pour une personne blanche c’est une discussion extrêmement inconfortable. En terme de culpabilité ressentie.
Par exemple, ce n’est pas confortable pour moi de dire à la psy que quand elle me dit que j’ai peut-être moins d’émotions que les autres et que c’est pour ça qu’on ne comprend pas ma tristesse…
… elle est selon moi victime de ses préjugés raciaux
Un des préjugés les plus forts sur les personnes noires c’est qu’elles sont moins complexes émotionnellement. Et notamment qu’elles exagèrent leur douleur quand elles l’expriment.
Je lui ai dit donc dit calmement, comme ça. Et elle … bah elle sort de ses gonds.
- Moi je suis raciste ?
- Ce n’est pas ce que j’ai dit. Je dis que vous avez un préjugé racial sur moi
La discussion est beaucoup trop inconfortable pour elle. Je ne dis pas que c’était confortable pour moi. Mais je vois bien que pour elle c’était carrément insoutenable. C’était un peu comme si je l’avais insultée.
C’est d’ailleurs ce qu’on appelle la “fragilité blanche” (je ne suis pas fan du terme car en français il renvoie trop à l’imaginaire babtou fragile). La “fragilité blanche” c’est le fait que les personnes blanches ne supportent pas de parler de race.
La seule manière de diminuer cette fragilité c’est de commencer par lire sur le racisme… ou se taire pour écouter.
C’est fou comment certaines personnes n’entendent que la fin de la phrase. Elles crient alors à la censure.
Bah non ? On te demande juste de te renseigner avant de parler. Avec des sources fiables. Pas la presse ou ta maîtresse de CM2.
La personne a vécu des choses que tu ne peux pas imaginer. Surtout si tu n’as pas étudié le racisme
Parce que si tu ne t’éduques pas tu vas répéter les erreurs classiques.
Parler de racisme antiblanc,
dire que tu ne vois pas les couleurs,
confondre xénophobie et racisme,
centrer la discussion sur toi,
dire que tu as un ami noir…
Sauf que la personne en face a entendu cent fois ces bêtises. Elle peut alors manquer de patience.
Imagine que tu aies une amie astronaute. Et qu’elle te raconte qu’elle a fait s’écraser une fusée. Tu ferais quoi ?
J’espère que tu aurais une posture d’écoute. Plutôt que d’essayer de donner ton avis sur l’aérospatial sans avoir de connaissance.
Là c’est pareil. Tu n’as jamais vécu ces choses.
Oui bah ça veut pas dire que je peux pas comprendre !
Certes… mais comment tu fais pour tout comprendre comme ça SANS JAMAIS ÉCOUTER LES PERSONNES CONCERNÉES ? Par quel pouvoir magique tu fais ça ?
Tu as un avantage automatique dans le débat
En effet… tu n’es pas déstabilisé •e par le sujet. Tu vis de la culpabilité mais ça reste un sujet où tu n’es pas skin in the game.
Une image qu’on prend pour expliquer ce concept de skin in the game c’est un partenariat entre une poule et un cochon pour proposer des oeufs au bacon. La poule n’aura pas les mêmes positions que le cochon sur le sujet. Pour avoir du bacon, le cochon doit tuer ses semblables. Pour avoir des oeufs, la poule se contente de les récolter.
La personne concernée a des émotions comme la colère qui vont l’empêcher d’être pédagogue. Parce qu’elle est skin in the game.
Par conséquent tu ne peux pas attendre d’elle de la pédagogie et de la douceur.
Si la personne vient de vivre du racisme elle risque d’être en colère. Elle risque de faire retomber cette colère sur toi. Et … tu vas devoir prendre sur toi. C’est ta part dans le combat. C’est tout ce qu’on te demande.
Du soutien.
Comme quand quelqu’un se blesse physiquement. Imagine une personne qui a une rage de dents. La personne risque d’être désagréable. Mais toi tu peux la soutenir en l’écoutant et en ne niant pas sa douleur.
En plus, le réflexe d’écouter va te débloquer un monde insoupçonné.
Avant j’étais féministe. J’étais tellement arrogant que je me disais que je voulais une fille. Pour lui donner un environnement safe.
C’était une belle époque. Puisque j’étais féministe. Y’avait les machistes et y’avait moi. Deux camps différents. Donc j’avais pas besoin d’écouter. J’étais à l’avant-garde du sujet donc à quoi bon ?
Bien sûr, je n’avais absolument RIEN lu comme ouvrage féministe. Je me contentais de ce que j’avais appris à l’école.
Alors oui une fois une amie m’a dit que y’avait du sexisme en moi. Mais en même temps… elle a dit ça sous la colère…
Puis un jour j’ai eu la bascule. Je dis bascule mais ça a été long. Six mois de dispute conjugale à affirmer que c’était pas sexiste de lui laisser faire toutes les taches ménagères.
Et depuis… j’ai découvert un autre monde. Je n’étais pas féministe… D’un coup tout s’est ouvert. Car j’avais un truc à écouter. Je me suis mis à entendre plein d’histoires que je n’aurais jamais soupçonnées et … je me fais régulièrement épingler sur mon sexisme.
Je dis pas que je réagis toujours bien. C’est dur. Très dur. J’échoue souvent. Mais il faut garder comme objectif de toujours s’améliorer et d’être une oreille. Pas une bouche.
On a assez de bouches. Dans les médias, dans les institutions. Ce qu’on veut ce sont des oreilles.
En fait, j’ai dit tu as un avantage dans le débat. Mais justement ça ne devrait pas être un débat. Si on dit aux gens de se taire et d’écouter c’est parce que, quand ils parlent, ils se mettent à débattre.
Mais une personne experte en vaccin n’a pas envie de débattre avec des personnes qui n’y connaissent rien. Ce n’est pas la bonne posture. La bonne posture c’est de l’écouter. Ça n’empêche pas de la challenger sur certains points mais imagine-toi comme un·e journaliste qui fait des relances pour comprendre.
Que faire si une personne racisée n'est pas déconstruite ?
Tout le monde n'a pas le même niveau de conscience du racisme. On peut être racisé sans avoir conscience. Après tout, Zemmour lui-même est racisé.
Une personne noire ne devient pas automatiquement une experte du racisme.
Déjà il faut comprendre que personne n'aime la position de victime. Nous avons donc des mécanismes de défense. Nous normalisons les expériences.
Je me rappelle avoir été recalé de boîte de nuit (mais le genre de boîte bas de gamme où quasiment tout le monde rentre) avec ma soeur, son époux et une amie blanche.
Nous étions résignés. On a même pas pensé à contester. Et là... mon amie blanche est sortie de ses gonds. Bah oui... elle, elle savait puisque jamais de sa vie elle n'avait été recalée en boîte.
Mais, sans elle, je pense que nous n'aurions même pas attribué ça au racisme.
Pareil, avant de regarder un reportage qui s'appelle dans la peau d'un noir, je pensais que les mamies blanches étaient désagréables parce qu'elles sont vieilles. Mais non... elles sont désagréables parce qu'elles sont noires.
Un jour j'étais dans la queue d'un bateau-mouche. C'était mal indiqué. Y'avait un panneau qui disait de ne pas faire la queue si on avait déjà un billet. Mais tout le monde avait déjà un billet.
J'étais avec ma partenaire de l'époque. Une mamie arrive et me demande si elle peut passer parce qu'elle a un ticket. Je lui réponds que tout le monde a son ticket.
Elle essaie de demander aux gens devant, mais ils ne parlent pas français. Je lui redis.
Puis ma partenaire lui dit la même chose.
Je m'exclame "mais je parle une autre langue ?".
Ce à quoi elle répond "c'est parce que tu es Noir qu’elle t’a pas écouté".
Ça m'a beaucoup aidé qu'elle me le dise. Parce qu'une des charges mentales du racisme c'est de douter en permanence.
Elle l'a fait car notre relation nous le permet.
Donc c'est à toi de voir comment doser si ça t'arrive.
Si tu as l'impression que tu identifies du racisme là où la personne concernée ne le voit pas, tu peux lui suggérer. Mais il faut le faire avec douceur et empathie. Ne pas insister.
Et ça dépend de ton niveau de proximité avec la personne. Si tu ne la connais pas du tout ce sera souvent une mauvaise idée.