La joie est une des émotions que j'aime le moins
Le match a perturbé ma soirée. J’ai donc dû piocher dans mes emails de secours. Il est 2h46 au moment où j’écris ces lignes, je dois me lever à 08h, et donc écrire un nouvel email serait impossible.
Je me suis dit “tant mieux, comme ça je parle pas de foot”… Je suis allé dans mon stock d’emails… et je suis tombé sur ce titre qui a sonné de manière très ironique vu mon état de dépit. Ça m’a fait sourire… et donc je me suis dit que j’étais obligé d’envoyer celui-ci.
C'est un peu niais d'écrire "j'aime la joie". Mais je te l'écris avant de commencer : j'aime la joie. Simplement, ce n'est pas ce que je préfère.
J'ai de la joie en abondance
Avant de commencer à t'expliquer pourquoi, il me semble important de préciser que j'ai la chance d'être naturellement joyeux.
Sauf quand on se fait éliminer par la Suisse en huitièmes de finale alors que Benzema met deux buts.
Tous les humains possèdent un niveau génétique de bonheur de référence. J'ai la chance d'en avoir un plutôt haut, si j'en juge par mes discussions avec mon entourage.
Une fois, une amie m'a demandé de lui lister les choses qui me mettaient en joie. La liste était tellement longue qu'elle m'a répondu "c'est la première fois que je fais ce jeu avec quelqu'un qui a autant de trucs qui le rendent joyeux dans l'absolu".
Ce à quoi j'ai dit "aaaah mais c'était dans l'absolu ? Pas juste aujourd'hui ? Parce que là ce que je te liste c'est juste aujourd'hui".
Ce jour là j'ai pris conscience que j'étais privilégié à ce niveau. Juste vivre me rend joyeux. J'ai envie de faire ça pour l'éternité.
Mais… je vis aussi des épisodes dépressifs. Des moments où j'ai envie de mourir. Je comprends donc que, quand on en manque, ça peut paraître indécent de voir quelqu'un écrire que la joie est ce qu'il aime le moins.
Garde donc à l'esprit que je fais exception de la situation dépressive. Si tu es dans un état de dépression passager ou génétiquement ancré en toi, il est normal que ce que j'écrive te paraisse lunaire.
Comme quand je parle d'argent et d'épargner 20% de son salaire alors que tu n'arrives déjà pas à boucler tes fins de mois.
Pourquoi j'aime la tristesse
Encore une fois, je mets de côté l'état dépressif. Je parle ici de tristesses occasionnées par un événement extérieur comme une rupture amoureuse.
J'aime ce type de tristesse comme on peut aimer la douleur pendant le sport. Je ne l'aime pas en tant que soi : je ne suis pas masochiste. Ce que j'aime c'est ce que ça me permet d’accomplir.
La tristesse me permet de comprendre ce qui tient pour moi. Il m'est déjà arrivé de me demander si je suis encore amoureux de quelqu'un, puis de me rouler par terre une semaine après quand cette personne me largue.
La tristesse est un signal du cerveau pour dire : tu es en train de perdre quelque chose qui te tient vraiment à coeur.
Pourquoi j'aime la colère
Mon rapport à la colère est un peu différent : j'aime la colère, en soi. Malheureusement. C'est une émotion qui me donne de l'énergie. Pendant longtemps j'ai cru que c'était ma partie la plus obscure.
C'est vrai : quand elle s'abat sur quelqu'un que j'aime… après, je regrette.
Sauf qu'on oublie l'intérêt de la colère : elle permet de se protéger de l'injustice. En effet, il existe un phénomène psychologique qui fait que l'esprit qui vit une injustice ne peut intégrer à long terme que deux options : je l'ai mérité ou c'était injuste et je l'ai combattu.
Voilà pourquoi, dans Radical Honesty, l'auteur affirme que la colère est l'émotion la plus refoulée et celle qui est la source de la majorité des dépressions.
Je l'ai vécu à mes dépens. Pendant le premier confinement j'ai vécu deux épisodes où j'aurais normalement riposté par la colère à des comportements agressifs et injustes. Sauf que, j'avais l'impression que je ne pouvais pas parce que les personnes en question me faisaient du chantage à l’emploi. Sous-entendant que si je réagissais, je mettais en péril économique d'autres personnes que moi.
J'ai donc accepté de ne rien dire… et j'ai sombré dans une intense dépression, en deux temps : d'abord un début de burn-out, ensuite des épisodes suicidaires.
On oublie à quel point la colère est une émotion protectrice de notre santé mentale.
Pourquoi j'aime la peur
Souvent, j'ai peur de deux types de choses : les choses vraiment dangereuses (le covid, les voitures, les avions, le tabac) et les choses que j'ai peur de gâcher.
La seconde catégorie est une aubaine incroyable. Car ça me permet de savoir ce qui compte pour moi. Si j'ai à ce point peur de sortir mon livre, c'est parce que c'est ce que je dois faire.
Souvent, il faut suivre le chemin indiqué par la peur. Mais dans l'autre sens. Ce qui fait de la peur une formidable boussole.
La joie révèle mal les amitiés
Enfin, ce que j'aime dans les émotions que l'on dit négatives c'est leur potentiel révélateur. En effet, comment tu peux prétendre connaître quelqu'un si tu ne l'as jamais connu dans la colère ? Dans la tristesse ? Dans la peur ?
Je dirais même que, chez moi, plus je suis loin de quelqu'un et plus je vais lui partager de la joie. Si tu ne m'as vu que joyeux tu peux en déduire que tu ne fais pas partie de mon entourage le plus proche.
Je réserve ma tristesse au premier cercle. Parce que reconnaître ma tristesse me demande une confiance incroyable.
Je partage énormément de choses à des inconnus, puisque j'écris. Notamment sur ma vie amoureuse, mon non-désir d'enfant, etc. Pour autant, dire "je suis triste" à une personne inconnue est un exploit impossible à relever pour moi.
Je veux dire, en face et sans art. Si tu es premium, tu m’as déjà vu exprimer de la tristesse dans les emails du weekend. Mais ça reste dans une forme artistique : je suis en totale maîtrise de ce que j’exprime. C’est lu et relu, rien ne m’échappe.
Si tu m'as déjà vu reconnaître que j'étais triste c'est que tu comptes énormément pour moi. Ou que je n’avais vraiment pas le choix. Par exemple si je voulais refuser de faire quelque chose parce que j’étais trop triste mais que je n’ai pas voulu que tu croies que c’était personnel et que tu en sois blessé(e).
J’aime la joie
Je le redis : je ne dis pas que je n’aime pas la joie. J’aime toutes les émotions à part le dégoût. Mais, parmi celles que j’aime, c’est celle que j’aime le moins. Probablement parce que c’est celle que je vis le plus souvent et que j’ai donc le luxe de vivre les autres comme des expériences de vie.
Les autres émotions me rappellent à quel point je suis vivant.
Autant te dire que là je suis vivant comme jamais… Mais blague à part… le premier truc que j’ai dit c’est : “en même temps, c’est ce genre de défaite qui rendent les victoires comme en 2018 si savoureuses”.