La bascule
Hier je te disais que je connaissais la date où je suis rentré en dépression : le 08 octobre. C’est pas que je me rappelle de la date par coeur, c’est parce que c’est la dernière fois où mon agenda a écrit : RDV chez Mme Line Foëzon
Mais qui est Mme Line Foëzon ?
C’est la psy que j’ai commencé à voir un an auparavant.
Malheureusement, j’ai beau tourner l’histoire dans tous les sens et essayer d’être le plus indulgent possible, mais je ne peux pas dire autre chose que : elle m’a poussé de toutes ses forces dans le précipice de la dépression.
Pour une raison que je ne connaitrais probablement jamais.
Ce que je sais en revanche c’est que j’ai réussi à sortir de la dépression quand j’ai pris la décision de raconter mon expérience à travers un avis Google. De récupérer la dignité.
Depuis, la page Google Avis a été supprimée donc je te remets l’avis ci-dessous :
1/5…
Je ne savais pas quoi mettre comme note. J’ai envie de mettre 3,5/5 pour le premier mois, 4 pour les dix suivants et une note négative pour la dernière séance. Du coup j’ai opté pour 1/5.
J’ai hésité avec 2. Mais la fin est trop grave.
Si un pilote d’avion était :
acceptable dans le décollage,
relativement bon dans le vol,
et finissait par un crash…
je ne pense pas qu’on dirait « c’est sévère, on ne peut pas juger que la fin ».
J’ai survécu grâce à mon entourage et deux autres psys. Mais je reste interloqué d’avoir eu à vivre un trouble dépressif caractérisé provoqué par une thérapeute.
Ceci étant dit je vais essayer de résumer comment on en est arrivés au crash.
Dès le début (le décollage) j’ai eu un signe d’alerte : l’absence totale de remise en question affichée.
Quand on fait des erreurs manifestes, il faut pouvoir s’excuser. Ce n’était pas le cas ici, c’était toujours moi qui avais mal compris ou fait un lapsus. Il n’existait pas la possibilité « peut-être que c’est moi qui ai mal entendu ». Pas même une fois.
J’ai vu deux autres psys ensuite qui, dès la première séance affichaient des mots de remise en question. Par exemple : « je vais faire une hypothèse mais je ne suis pas sûre du tout, dites moi si c’est stupide ».
J’ai été choqué car c’est une phrase que n’aurait JAMAIS dite Line dans le cadre du travail avec moi.
Venons à l’événement de bascule (l’avion qui s’écrase).
On analysait un rêve d’inceste. J’étais donc très mal à l’aise d’en parler. C’est alors qu’elle a fait une interprétation hors-sujet selon moi. J’ai donc exprimé mon désaccord. Elle a eu une expression de désapprobation.
J’ai alors dit « ah non alors, ne faites pas cette vieille tête ! ».
Mon émotion : un mélange d’amusement, de pudeur et de désaccord. Pas d’agressivité.
(Ça n’empêche évidemment pas que ça puisse être vécu agressivement mais c’est important pour la suite).
Sur le coup, il ne s’est rien passé. La séance s’est arrêtée mais en même temps l’alarme de son téléphone avait déjà sonnée pour signifier la fin.
La séance suivante elle m’a lancé, furieuse :
« La dernière fois vous m’avez dit que j’avais une vieille tête. C’est un dépassement du cadre. Je ne peux pas travailler dans ces conditions. Par ce passage à l’acte vous avez signifié que vous vouliez inconsciemment arrêter le travail ».
Sur le coup j’ai eu l’impression de vivre une mauvaise blague. Le temps de me ressaisir, j’ai demandé à ce qu’elle me raconte la scène plus en détails car je ne m’en souvenais que vaguement.
(C’est dire l’importance que cette scène avait eu pour moi. Ce qui n’aurait pas été le cas si j’avais vraiment été énervé.)
Détails refusés.
La suite de la séance : moi en sanglots (alors que je ne pleure jamais) en train de m’excuser qu’elle ait vécu ma phrase violemment.
Malgré le choc j’ai quand même eu la présence d’esprit de balbutier : « mais le passage à l’acte c’est quand y’a un acte, non ? »
Ce à quoi elle a répondu qu’une agression verbale pouvait aussi être un passage à l’acte.
(C’est faux, évidemment).
La fin approchant, elle m’a proposé le nom d’une autre psy. Mais je savais que ce n’était pas la bonne pour moi. Je le savais parce que je lui avais récemment demandé des noms de psys pour les proposer dans ma newsletter, qu’elle m’avait déjà donné ce nom et que j’étais revenu en lui disant mais vous êtes sûre qu’elle exerce vraiment ? Son profil LinkedIn n’est pas clair. Elle avait paru étonnée.
J’ai donc refusé poliment. Elle a insisté à plusieurs reprises. J’ai répété que je n’allais pas accepter pour lui faire plaisir puisque je savais que je n’allais pas aller voir cette consoeur.
J’ai alors essayé de décrire le conflit d’intérêt évident : je sentais une envie suicidaire monter. Mais je n’avais pas envie de la partager car je ne voulais pas que ça soit vu comme une manière d’essayer de la convaincre de continuer la thérapie.
J’ai donc commencé à dire « j’aimerais expliquer plus en détails mais il y a conflit d’intérêt »
Ce à quoi elle a répondu « nous ne sommes pas en CONFLIT ».
Jeu de mot risible si ce n’était pas si grave.
Après ça, je suis tombé rapidement en dépression. Pendant 5-6 semaines. J’ai dû arrêter mon activité professionnelle.
Autant dire que tout le travail effectué a été atomisé par cette fin.
Bref… il n’est pas possible de remonter le temps et de protéger le moi du passé. Mais il est possible de protéger les personnes suivantes qui liront cet avis.
La métaphore de l’avion
C’est vraiment une sensation bizarre : à la fois j’ai vécu un bon vol… c’est-à-dire l’immense majorité du temps passé. Mais à la fois un crash est un crash. J’aurais donc évidemment préféré ne jamais monter dans cet avion.
Mais ça ne veut pas dire qu’il faut arrêter de prendre l’avion.
Enfin… la métaphore touche sa limite puisqu’en fait, si, j’essaie de réduire mes trajets en avion mais pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la sécurité.
Je reste interloqué devant la violence du crash. Devant ce qui a été brisé. Mais aussi mon impuissance.
Parce que pendant une psychothérapie on me demande un truc que je ne fais jamais : autoriser quelqu’un à avoir l’ascendant sur moi.
La déflagration est donc d’autant plus forte que je n’ai pas l’habitude de me laisser faire. Or, dans ce cabinet, j’ai limite voulu implorer…
Une psychothérapie PEUT avoir un effet nocif
J’ai beaucoup hésité à écrire ce texte. C’est peut-être une bêtise. Voici le dilemme : d’un côté je ne peux pas passer sous silence le danger de la psychothérapie que j’ai découvert. Alors qu’en octobre, pendant la semaine de vente de ma formation aux premiers secours à la santé mentale je t’écrivais :
Même un médicament léger comme le paracétamol (Doliprane) peut tuer à forte dose. Par conséquent, le médicament doit obtenir un effet significativement plus grand que le placebo. Sinon… autant donner le placebo. Pour ne pas risquer les effets secondaires.
C’est tellement important qu’on a ancré le réflexe dans tous les esprits scientifiques, avec raison. Mais on oublie souvent de rajouter un point très important : l’effet placebo n’est pas rien. C’est d’ailleurs pour ça qu’on compare le médicament à cet effet. Sinon on aurait pas besoin de faire ça : il suffirait de constater que le médicament soigne. Le souci c’est que le placebo soigne vraiment. On cherche donc à avoir des médicaments qui soignent beaucoup mieux que le placebo.
(…)
Mais du coup, si on parle de santé mentale… pourquoi voudrait-on éviter le placebo ? Et qu’est-ce que ça voudrait dire ? Qu’est-ce qu’une étude en double aveugle en la matière ? On ne peut pas faire une fausse psychothérapie sans que la personne qui la procure s’en rende compte.
Mais surtout, je répète : pourquoi voudrait-on éviter le placebo ici ? Puisqu’on introduit pas de substance potentiellement nocive. L’effet placebo devient donc une arme de l’arsenal de santé mentale.
Malheureusement, c’est faux. Il faut donc apporter une nuance à ce texte : une psychothérapie peut avoir un effet nocif.
La prévalence des effets indésirables liés aux traitements psychologiques reste aujourd’hui incertaine. Elle peut par exemple varier de 5,2% (Crawford et coll., 2016) à 92,9% (Moritz et coll., 2015)
Il y a trois causes possibles quand l’effet indésirable est relié à la pratique.
Une intervention appropriée mais qui ne marche pas (ce qu’on appellerait un effet secondaire avec un médicament : il n’y a eu aucune erreur mais ça fait quand même un effet nocif)
Une faute professionnelle (c’est ce que j’ai vécu)
Une conduite criminelle (je connais malheureusement une personne à qui c’est arrivé)
Mais… pour autant…
Il faut quand même continuer à voir des psys
C’est là que réside mon dilemme. D’un côté je ne peux pas ne pas corriger une erreur si importante dans mes textes précédent. De l’autre, j’ai peur que ça renforce les blocages à aller voir des psys.
Or, aller voir un médecin aussi comporte ces dangers. Les médecins aussi prescrivent des médicaments avec des effets secondaires, peuvent faire des fautes professionnelles voire se conduire de manière criminelle (malheureusement là encore je connais une personne à qui c’est arrivé).
Pour autant, il faut quand même continuer à voir des médecins quand on est malade.
Ici c’est pareil.
Je maintiens ce que j’ai dit sur l’alliance thérapeutique
Il y a une chose sur laquelle je ne reviens pas (en tout cas pour l’instant) : c’est quand je disais que la variable qui comptait le plus dans l’efficacité de la psychothérapie ce n’était pas la discipline mais bien l’alliance thérapeutique.
En revanche petit bémol sur la psychanalyse : c’est une discipline où beaucoup de personnes cultivent une ignorance (parfois fière) du consensus scientifique.
Or, ce qui fait le plus consensus pour décrire la bonne alliance thérapeutique c’est ce qu’on appelle les 3 attitudes fondamentales de Rogers.
Une personne qui pratique la psychanalyse peut les appliquer par hasard. Et c’est souvent ce qu’il se passe grâce aux années de pratiques. Mais elle peut aussi totalement les ignorer.
Ce sont ces critères que nous devons nous essayer de vérifier quand nous voyons des psys.
Les 3 caractéristiques de l’alliance thérapeutique de Rogers
Voici comment elles sont décrites sur le blog d’une psy qui les résume :
“1. La congruence
La congruence ou encore l’authenticité du thérapeute. Cela concerne sa capacité à être correctement en contact avec la complexité des sentiments, des pensées, des attitudes qui sont en train de circuler en lui tandis qu’il cherchera à suivre à la trace les pensées, les sentiments de son client. Il revient au thérapeute de discerner quand et comment communiquer ce qu’il éprouve pour autant que cela puisse être approprié pour le client dans la relation thérapeutique.
2. La considération positive inconditionnelle
La considération positive inconditionnelle : acceptation totale et inconditionnelle du client tel qu’il apparaît à lui-même dans le présent. Elle ne dépend en aucune façon de critères moraux, éthiques ou sociaux.
3. La compréhension empathique
La compréhension empathique est issue de la préoccupation du thérapeute pour le monde perceptif et subjectif du client. Le thérapeute essaie de percevoir le monde du client sans se laisser submerger par celui-ci. Il en accepte toutes les colorations, les contradictions, en faisant abstraction de tous ses préjugés, de toutes ses valeurs. Il aura pour objectif de transmettre au client sa compréhension de ce qui se passe à un moment précis. Le thérapeute vérifie sa compréhension du monde du client à travers les réponses reflet, la synthèse, la reformulation, …”
Les Red Flags
Sachant ça, on peut en déduire certains signaux d’alerte qui doivent renforcer notre vigilance pendant nos premières séances. Voici les red flags que j’ai identifié (attention, ce qui va suivre n’est pas issu d’une étude scientifique, c’est mon interprétation sur le terrain) :
Le/la psy ne dit jamais “je sais pas”
C’est un énorme signal d’alerte. C’était le cas de Line. Elle ne disait JAMAIS “je sais pas”. Ça me paraissait contreproductif mais en même temps beaucoup de gens sont comme ça donc je ne m’inquiétais pas. Sauf que c’est très compliqué d’assurer correctement une psychothérapie si on admet pas qu’on puisse faire des erreurs. C’est un manque de congruence.
On ressent un jugement négatif
C’était aussi le cas. Quand j’ai parlé de polyamour elle m’a répondu de vous êtes polygame. Au-delà du racisme inconscient de cette réaction (on ne dit jamais aux blancs qu’ils sont polygames, on dit qu’ils sont libertins), ça laissait transparaître un jugement sur le mode de vie en dehors du couple traditionnel. C’est une infraction à la considération positive inconditionnelle.
La personne vous dit qu’elle prend n’importe quel·le patient·e
Là encore c’était le cas. J’ai pu discuter avec une autre psy qui m’a expliqué qu’elle ne prenait jamais un client si elle ne s’imaginait pas passer 30 ans de thérapie avec lui/elle. Que c’était très important d’expliquer au début pourquoi elle choisissait cette personne. Qu’elle ne lui disait surtout pas je prends tout le monde.
Un manque de recul sur la psychanalyse
Si la personne en face de vous croit en un truc aussi absurde que le complexe d’Oedipe, comment s’assurer qu’elle ne fera pas une des autres fautes préconisées par Freud.
J’ai même lu un livre où une psychanalyste appelait Freud “le maître”, au premier degré…
Le confort
Pour le coup je n’avais pas ce problème. Je l’ai eu avec une autre psy qui était pourtant très compétente. Mais juste l’ambiance du cabinet me mettait dans un état de léger malaise.
Aucun effort n’est fait pour adoucir la contrainte temporelle
Line avait une alarme sur son iPhone. Quand l’alarme sonnait, ça indiquait qu’on avait atteint les 45 minutes. Ça ne me choquait pas avant que je le raconte et qu’une psy me dise que ça la choque. Voilà ce qu’en dit un manuel pour psys débutants :
Il arrive au thérapeute de devoir surveiller son timing afin d’accueillir le patient suivant à l’heure, ou d’honorer d’autres obligations ; des signaux non verbaux peuvent le trahir lorsqu’il est pressé par le temps. Si l’environnement le permet, on fera en sorte de placer une horloge derrière le patient, de sorte à pouvoir consulter l’heure discrètement.
L’absence de supervision
Ce n’était a priori pas le cas ici même si je me suis posé la question. La supervision c’est un·e autre psy qui a souvent plus d’expérience qui va aider à prendre du recul sur la pratique et “mentorer” l’autre psy.
Son rôle va être notamment d’éviter une faute professionnelle comme un arrêt brutal de thérapie, en expliquant comment faire autrement.
Morale de l’histoire ?
Je ne sais pas. Je ne sais même pas pourquoi tout s’est passé puisque j’ai été ghosté par la suite. Je sais avec certitude que c’était un mensonge puisque passage à l’acte, comme son nom l’indique c’est quand on pose un acte. Mais je ne saurais probablement jamais pourquoi. C’est le principe du ghost.
Mais c’est également pourquoi ça en fait une situation si violente. Parce qu’on a en nous un mécanisme de système immunitaire psychologique qui nous protège mais qu’il ne peut s’enclencher que si et seulement si il y a une raison. Sans raison, on doit gérer la déflagration sans aide de ce mécanisme de protection.
Je t’en avais parlé ici :