En 2022, Jérémy Ferrari est venu partager son expérience de l’alcoolisme. Ça m’avait tellement marqué que j’en avais fait un email premium. Je profite de cette semaine thématique pour te repartager cet email mais en version plus approfondie.
Le podcast s’appelle Un Bon Moment et ce qui est très enrichissant avec cet épisode c’est que ce n’est justement PAS un bon moment. C’est Jeremy Ferrari qui parle de son combat contre l’alcoolisme, tout du long.
D’ailleurs, comme Kyan et Navo sont gênés ils ont la fâcheuse tendance d’essayer de faire des blagues qui interrompent le flow. Ça peut agacer mais c’est le seul défaut de cet épisode parfait. Voici les quelques points qui m’ont marqué. Mais si tu veux pas de spoil, tu peux directement regarder l’épisode ici :
L’alcoolisme est souvent lié à d’autres troubles psychiques car il “aide” à les traverser
Quand tu arrêtes de boire, quand tu arrêtes de te droguer, tout est beaucoup plus difficile.
C'est à dire que même quelqu'un qui n'a pas de problèmes d'addiction, quelqu'un qui a pas de problème de drogue, bon, il va quand même aller le samedi se dire bon bah tiens, j'ai mon moment où quand même je vais aller décompresser, je vais aller picoler un peu et tout.
Et n'importe quelle drogue que tu prends t'apporte une espèce de moment, même s'il est fictif, même s'il n'est pas réel. Ça t'apporte un moment de décompression, ça te shoote, c'est le principe.
(…)
Quand tu t'octroies et quand tu t'accordes des moments, que ce soit de manière excessive comme moi ou de manière même un peu festive, tu as quand même des moments où tu sais que tu vas avoir un espèce de truc où tu vas plus penser à tes soucis, ou alors quand tu vas penser à tes soucis, ça va plus rien te faire.
Quand du matin au soir tu es à l'eau, il n'y a plus ces moments là. Donc du coup forcément tu fais un peu plus attention à tout. Parce que quand t'es un angoissé, parce que quand tu es dans les excès comme moi, j'étais dans les excès, c'est parce que tu as plein de problèmes, tu as plein de démons, tu as plein de machins dans ta tête
Mais c’est un piège
Quand tu te drogues, tu ne peux pas ne pas être angoissé parce que les drogues sont des dépresseurs, donc ça génère de l'angoisse et ça t'en provoque de plus en plus.
Donc déjà de base, tu ne peux pas. Quand tu es dans un état d'addiction, tu ne peux pas être détendu, ça n'est pas possible.
Tu seras détendu après un certain degré de drogue que tu devras augmenter au fur et à mesure.
Et, au contraire, le problème s’amplifie dans une spirale vicieuse.
Si tu as des troubles psychiatriques par exemple, comme moi je peux en avoir. De toutes façons, les drogues vont amplifier le phénomène.
Donc y compris l'alcool, y compris les drogues et toutes les drogues, toutes les drogues. Donc de toute façon, si vous avez des problèmes psychiatriques, les drogues c'est de l'huile sur le feu.
C'est mathématique, donc c'est réglé. Donc déjà je ne vais pas te promettre que si tu arrêtes de boire, tu n'auras plus cette boule dans le ventre. En tout cas, ce que je peux te dire, c'est que plus tu vas boire, plus cette boule va grossir et que tu vas te retrouver au bord d'une fenêtre ou je ne sais où. Donc ça c'est une certitude.
Si tu veux avoir une chance que cette boule diminue, voire disparaisse, il n'y a que en étant clean que tu peux travailler dessus.
On peut avoir un profil addictif et ça n’est pas notre faute
Jeremy Ferrari fait un distinguo entre ce qu’il appelle la maladie de la dépendance et le potentiel addictif des substances.
Les substances sont addictives en soi, donc tu peux ne pas avoir de maladie. Tu peux ne pas avoir cette maladie de l'addiction et devenir addict à un produit. Tu n'es pas addict, je te fais boire du sky pendant six mois tous les jours tu vas avoir besoin d'un sevrage parce que la substance est addictive. Si je te force à fumer des clopes tous les jours, tu vas avoir un manque de nicotine à la fin…
Certaines personnes ont des propensions à l'addiction qui sont plus ou moins importantes. Et dans cette propension à l'addiction, tu as une propension vraiment de base. Après va s'ajouter à cela pour certaines personnes des problèmes personnels, des problèmes psychiatriques, tu vois, c'est un peu mon cas, etc.
Donc si tu veux, c'est un mélange de plein de choses, mais tu as une base d'addiction, c'est à dire que quelqu'un peut ne pas avoir de problèmes dans la vie, peut ne pas avoir besoin de s'échapper avec une drogue et être totalement addict parce qu'il a un problème d'addiction.
C'est une maladie neurologique et on va dire pour expliquer vraiment dans les grandes lignes, on va dire que tu as une zone qui s'appelle la zone de récompense, la zone de récompense, c'est la première fois, tu vas manger de la papaye par exemple, et ton cerveau, il dit ah, on aime bien la papaye, c'est vraiment cool la papaye.
Donc toi t'es pas addict, non ben voilà, tu gardes dans ta tête que tu aimes bien la papaye, puis un jour tu vas repasser devant un truc de papaye et tu te dis tiens, je vais acheter une papaye que j'aime bien.
Bon ben on va dire que le mec qui a un problème de dépendance, il mange une fois de la papaye. Son cerveau tout de suite il dit attends, attends, ça c'est vraiment cool, faudrait qu'on en prenne deux ou trois quand même. Tu te retrouves avec des stocks de papayes, puis après t'as peur de ne plus avoir de papayes.
La volonté fait partie du problème
Souvent on dit aux personnes atteintes d’un trouble psychique de se bouger. Que ce soit la dépression ou l’alcoolisme on retrouve cette injonction à “se prendre en main”. Sauf que c’est oublier que c’est justement des maladies mentales qui détruisent la volonté.
Un peu comme si on disait à quelqu’un qui est essoufflé à cause du covid qu’il faut respirer plus fort. Certes, mais c’est justement la respiration qui est attaquée par le covid.
Il y a plein de gens qui ne savent pas ce que c'est l'alcoolisme. Je pense qu'il y a plein de gens qui ne savent pas que c'est une maladie. Par exemple, il y a un truc qui est important à savoir, c'est que le manque de volonté, par exemple.
Le manque de volonté fait partie du problème de l'alcoolisme, c'est à dire que quand ta zone de récompense se met en route, elle annihile les autres parties. Donc quand on te dit ouais mais c'est qu'un problème de volonté… Non parce que ça fait partie de la maladie, c'est pour ça que c'est une maladie, c'est parce que à ce moment là, cette zone là, si tu veux, le cerveau devient fou. En fait, il n'y a plus que ça.(…)
Et d'un autre côté, il y a quand même une volonté. C'est à dire qu'à partir du moment où tu sais que tu es malade, à partir du moment où tu sais que c'est une maladie, à partir du moment où tu as pris conscience que tu as ce problème, il faut quand même la volonté de dire ben il faut arrêter de boire, il faut se sevrer et il faut travailler.
Il dit d’ailleurs qu’il a été diagnostiqué comme atteint de “maladie de dépendance émotionnelle” et que c’est ce qui est au coeur de son alcoolisme. Je n’ai pas retrouvé le terme sur Google. Peut-être qu’il a voulu dire qu’il était atteint de dépendance affective.
La dépendance affective peut également induire certaines complications. Il y a d’abord les addictions notamment à l’alcool, pour gérer le stress de l’abandon mais à d’autres substances, pour se faire accepter d’un groupe social. D’autres complications surviennent, comme l’isolement, lorsque l’entourage est épuisé des sollicitations de la personne dépendance.
“C’est pas ta mère qui ouvre la bouteille”
Autre passage qui m’a marqué c’est quand il est dans une structure spécialisée avec des professionnels qui sont là pour aider. Avec des séances en groupe et des séances individuelle.
Il passait son temps à parler de son enfance, de sa mère. Puis un jour une personne de l’équipe soignante lui a dit : tu parles de ta mère depuis une semaine mais qui ouvre la bouteille ?
J’ai trouvé ça particulièrement percutant parce qu’on a tendance effectivement à toujours aller chercher des causes profondes de nos troubles. C’est une démarche importante mais est-ce que parfois ce n’est pas une manière de cacher notre propre responsabilité ?
“Tu ne te drogues plus pour être shooté, tu te drogues pour fonctionner “
Au bout d’un moment, l’alcool ne rend plus vraiment ivre. C’est l’inverse : c’est le manque d’alcool qui met dans un état de manque.
C’est ce qui rend la spirale terrible selon lui : à un moment tu ne sais plus comment aller au travail le matin sans avoir bu avant.
On finit même par croire que si on arrête de boire on va finir à tout jamais dans cet état de manque. Sans compter la béquille de “compensation”.
Sauf que c’est évidemment un piège :
Quand tu rentres en cure de désintoxication, ils te disent : l'addiction te mène à trois endroits, à la morgue, en prison ou à l'hôpital. Les trois seules issues possibles de l'addiction, ce sont ces trois portes.
L'addiction détruit la vie des gens. Soit ça détruit ta carrière professionnelle. Soit ça détruit tes proches, soit ça détruit ta santé, mais généralement ça détruit les trois. Donc la question n’est pas est-ce que la vie est mieux sans ? Ou est ce que la vie est mieux avec ?
C'est qu'avec il n'y a pas de vie, c'est du chaos.
Quand tu bois six litres de vin par jour, tu n'as pas envie, il n'y a rien. Ton rapport avec les gens, il est nul. Il n'existe pas. Ton rapport avec la santé est à zéro. Ta capacité à réaliser des projets est à zéro aussi.
Donc après, en fonction de ce que tu bois, en fonction de ton degré, en fonction de là où tu es dans ta vie, ben il y a des gens par exemple, ils vont se droguer, ils vont arriver à tenir leur carrière, mais à côté, leur vie, leur vie personnelle va être chaotique ou la santé va être chaotique.
“Je regrette pas d’avoir bu“
Probablement le moment qui m’a le plus étonné : si c’était à refaire, il le referait. Parce qu’il ne voit pas comment il aurait pu sortir de sa période sombre autrement qu’en buvant.
Ce n’est évidemment pas une incitation à faire pareil. Il faut voir ça davantage comme une manière de rester indulgent avec soi-même, de se dire j’ai fait de mon mieux avec les armes que j’avais sur le moment.
Il explique qu’à ce moment il n’avait pas les connaissances pour s’en sortir différemment :
Les premiers verres, c'est formidable. C'est un vrai médicament et je vais même te dire autre chose. Je ne regrette pas d'avoir bu. Je regrette pas parce que avant de savoir tout ce que j'avais dans la tête avant de comprendre qui j'étais, je n'avais rien d'autre. Et j'avais tellement de problèmes dans la tête que tant qu'on ne m'avait pas donné les clés et les armes pour m'en sortir, je n'aurais pas pu fonctionner dans ma vie sans ça.
(…)
Tu vois, j'aurais préféré que ça se passe autrement. Mais ça s'est passé comme ça. Mais je m'en veux pas. Je me dis bah tant pis. À ce moment là, j'avais pas d'autres clés. Moi j'ai grandi dans un endroit où quand tu parles de psychiatre, c'est parce que t'es ouf. Tu vois, moi j'ai grandi dans une ville. Dans mon entourage, aller voir un psychiatre, t'étais considéré comme fou, c'était très péjoratif. On ne pensais pat du tout à t'envoyer chez un psychiatre.
Le scandale des psys
C’est une des thématiques que j’aborderais un jour, mais je suis assez consterné du niveau de la profession de psy en France. Le manque de réglementation provoque des choses inouïes. Par exemple un psy qui ne te croit pas quand tu lui dis que tu es alcoolique…
Ne parlons même pas de l’obsession de la psychanalyse pour l’enfance etc.
C'est compliqué parce que je suis allée voir des psychiatres, des psychanalystes et tout. Mais le problème des maladies invisibles comme l'obsession etc, c'est qu'elles sont extrêmement mal connues, extrêmement mal comprises, etc. Donc moi j'ai quand même connu beaucoup de psychiatres qui ne me croyaient pas ou qui mettaient ou qui me disaient oui, c'est l'adolescence ou je sais pas.
Je trouve ça fou qu’on puisse en voir beaucoup comme ça. Et c’est tout à fait en accord avec mon expérience.
C'est un psychiatre qui qui m'a aidé à m’en sortir. J'ai dit allez, genre je retente un psychiatre, je m'assois dans son bureau, on m'a dit lui il est top et tout. Mais en même temps les huit précédents on m’avait dit qu’ils étaient top aussi.
En changeant ses habitudes de soirée on change aussi ses fréquentations la journée
Autre moment que j’ai trouvé intéressant : cette analyse de l’impact des fréquentations de soirée. En effet, si tu sors avec des gens qui font la fête toute la nuit, le lendemain tu te réveilles à 15h. Et bah forcément tu continues à encore plus les fréquenter car votre rythme est en décalage.
Alors que quand tu commences à te lever à 7h du matin, tu es entouré de personne qui ont un rythme de gens qui se lève à 7h du matin.
Le mythe de l’alcool qui aide à être artiste
C'est pas vrai que tu crées moins bien ou tu es moins prolixe quand tu quand tu ne bois plus ou quand tu te drogues plus. Ça c'est de la rationalisation à l'état pur.
Moi pardon, mais je suis mort de rire quand j'entends des gars nous expliquer que c'est grâce à la drogue qu'ils créent etc. Il y en a qui vont m'expliquer que si, mais moi, moi je. Pour moi, je ne vois qu'un drogué qui rationnalise. Je vois que ça en cure de désintox.
Tu aurais même pu prendre Gainsbourg, tu l'aurais mis en cure de désintox, et il nous explique par A plus B que c'est grâce à l'alcool qu'il crée…. je peux t'assurer que tout le monde dans la salle est mort de rire.
Ça n'est pas vrai. Tout ça, ça s'appelle de la rationalisation. Je crois être un bon exemple. C'est vrai que ça n'a pas impacté mon écriture. Quand je buvais, je pense avoir écrit des trucs chouettes quand je buvais.
Mais ça fait cinq ans que je bois plus, j'ai jamais autant écrit et je crois que je suis maintenant même un peu meilleur. Je suis plus précis dans mes textes, je suis plus précis dans mon jeu, je suis plus précis dans mes mises en scène. Et surtout, je crée beaucoup plus et plus.
Merci de faire cette série sur l'alcool. Sujet beaucoup trop sous-estimé en France.