Hier je vous ai demandé si vous mangeriez de la viande humaine si vous aviez la garantie qu’elle ne provient pas d’un meurtre.
Je remarque que vous répondez massivement non.
Massivement.
Mais pas unanimement.
27% des gens ont répondu qu’ils mangeraient de la viande humaine. 73% ont répondu que non.
Je remarque également que chaque camp trouve sa réponse évidente.
Je n’en mangerai pas parce que je n’en mangerai pas
Parmi les gens qui ont dit non, revient toujours à peu près la mécanique. Voici une des réponses :
non. J'hésite pour l'explication car je ne vais pas forcément utiliser les mots à bon escient : je trouve que c'est un tabou, que c'est amoral.
Si on se place d’un point de vue strictement logique, il ne s’agit pas d’un argument mais bien d’un sophisme. C’est un raisonnement circulaire.
En résumé :
Je ne dois pas manger de viande humaine parce que c’est tabou.
Or, que veut dire “tabou” ?
Tabou : Interdit d'ordre culturel et/ou religieux qui pèse sur le comportement, le langage, les mœurs
En d’autres termes : je ne dois pas manger de viande humaine parce que je ne dois pas en manger.
C’est un raisonnement circulaire.
Parfois il est un peu plus élaboré. Comme ici :
Là comme ça j'dirais non, je pense que d'ailleurs tout le monde répondra sans vraiment réfléchir, directement non, c'est normal, ça paraît assez fou et dégueulasse de faire ça. Le cannibalisme ça reste quand même très tabou dans notre société moderne et ça renvoie dans l'imaginaire collectif à des pratiques lointaines de civilisations d'un autre temps.
En plus du raisonnement circulaire on rajoute un appel à la majorité. Voire même à l’unanimité : tout le monde répondra directement non.
Alors qu’on voit bien que 4 personnes sur 15 ont répondu “oui”. C’est plus de 25%. On est loin du “tout le monde répondra non”. Et d’ailleurs même si tout le monde disait non ça ne serait quand même pas un argument.
Parfois, le raisonnement circulaire est dissimulé en complexifiant les mots :
Cannibale et anthropophage ce serait trop pour moi 😅 donc non merci 😁
Ici, on ajoute deux fois le même mot pour lui donner plus de poids. Historiquement “cannibale” est le nom qu’on donnait aux anthropophages des Caraïbes.
Et que veut dire anthropophage ? Qui mange de la viande humaine.
Donc à la question “est-ce que tu mangerais de la viande humaine” on répond :
Non car manger de la viande humaine ce serait manger de la viande humaine et manger de la viande humaine, donc ce serait trop pour moi.
Je ne fais pas cette analyse pour me moquer…j’ai fait pareil quand on m’a posé la question
En 2009, j’ai assisté à un cours d’éthique et pouvoir à l’école. Le professeur nous a présenté un texte qui définissait ce que l’auteur appelait “le spécisme”.
Quel était le raisonnement ?
Il expliquait que dans l’histoire de l’humanité on évoluait pas tant que ça en termes de moralité.
D’ailleurs l’un d’entre vous m’a justement répondu “c’est amoral”
Sa thèse c’était que la morale était relativement stable depuis des millénaires. La preuve, on s’inspire encore de la Grèce Antique pour construire nos régimes.
Qu’est-ce qui change vraiment ? Le cercle de la moral.
C’est-à-dire les êtres que l’on considère dignes de recevoir les égards de notre morale.
Voilà pourquoi la morale grecque n’est pas si différente de la nôtre à condition qu’on parle uniquement des citoyens hommes blancs.
Au fur et à mesure, on intègre d’autres êtres au cercle moral : les femmes, les homosexuels, les non-blancs, etc.
Qu’est-ce que le spécisme ?
Il déduit alors que les êtres hors du cercle de la moral en sont bannis sans raison logique. Puisque la logique est intemporelle. Elle ne varie pas avec le temps. Il faut donc trouver une manière d’exclure ces êtres de la morale.
C’est là que viennent les -ismes : racisme, sexismes, etc.
Ce sont des idéologies qui se fondent sur des arguments circulaires.
Les femmes ne votent pas, parce que ce sont des femmes. Les Noirs sont esclaves parce que ce sont des Noirs.
La particularité de ces idéologies qui excluent des êtres du cercle de la morale réside dans cette auto-référence. C’est comme ça, parce que c’est comme ça.
Il conclut que les animaux vont, un jour, rentrer dans le cercle moral.
Et il appelle l’idéologie qui les en exclut, “le spécisme”.
J’avais 20 ans. J’ai reçu ça comme une claque.
J’étais spéciste.
Je n’ai pas eu besoin du reste de la démonstration pour me l’avouer. Je n’avais aucune raison rationnelle de manger des animaux et de ne pas le faire pour des humains.
Mais le professeur a continué avec une réfutation de l’argument le plus fort du spécisme :
“Les animaux nous sont intrinsèquement inférieurs car ils sont moins intelligents”
On remarque immédiatement que les -ismes essaient toujours d’appuyer leur argumentation là-dessus.
Mais ça ne résiste pas à l’analyse.
Peux-tu manger un bébé humain ?
Avant même de commencer, on peut se dire que c’est quand même un peu faible comme argument. Surtout que le cochon est à la fois un des animaux les plus intelligents de la planète (autant que le chien) et un des animaux les plus mangés par les humains.
Mais admettons.
Dans ce cas on devrait pouvoir manger des bébés humains.
Un bébé humain c’est moins intelligent que les animaux adultes que l’on mange.
Ici on peut rétorquer qu’un bébé a le potentiel de devenir plus intelligent alors que la vache ne sera jamais plus intelligente qu’une vache.
Peux-tu manger quelqu’un dans un coma définitif ?
Mais dans ce cas pourquoi refuser de manger un humain qui aurait perdu toute intelligence, définitivement ?
C’est là qu’on reconnaît le -isme. Il va se réfugier immédiatement dans son fondement : “je ne le fais pas parce que les humains sont dans mon cercle”.
Ce qui est superbement retranscrit par une de vos réponses :
Quel est l'intérêt de manger nos congénères, quand il y a de nombreuses espèces animales à disposition ?
Remarquez le mot “intérêt”. Ici la morale a disparu : c’est nous contre eux. On défend simplement nos intérêts.
Malgré ça j’ai continué à manger de la viande pendant 6 ans
J’insiste. Je ne fais pas ça pour tourner vos réponses en ridicule. J’ai eu les mêmes. Pire encore. Bien pire encore.
Probablement qu’une partie d’entre vous ne sera pas d’accord avec cette démonstration. Et c’est votre droit. Au moins vous êtes cohérents.
Mais moi ? J’étais d’accord avec la démonstration mais j’ai continué à manger de la viande pendant 6 ans. J’étais en totale dissonance cognitive.
Il m’a fallu 6 ans avant de prendre la décision d’arrêter.
Parce que la raison ne suffit jamais. Émotionnellement il a fallu une somme d’autres basculements.
Je vous le raconterai un jour dans un épisode des confessions.
D’ailleurs si tu n’as jamais vu les confessions, voici les deux premiers épisodes :
Confession #1 : j’ai dit adieu à la monogamie
Confession #2 : je ne veux pas avoir d’enfant
Mais si tu veux voir l’argumentaire plus complet sans attendre…
J’ai été rapide car je voulais garder un format court. C’est normal si tu as trouvé que parfois je poussais à l’extrême. Si tu veux un argumentaire plus long, nuancé et progressif, tu vas le retrouver dans le livre No Steak d’Aymeric Caron.
Il reprend l’ensemble des arguments à la thèse “les humains arrêteront un jour de manger de la viande” et il prend le temps de tout développer.
Il paraît que les livres sont un produit essentiel… mais pas quand on les achète sur Amazon. Alors je ne sais pas vers quel lien t’envoyer. Mais tu peux le retrouver par toi-même dans Google.
Avant de me quitter…
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Je pense que les tabous sont l'expérience stockée des sociétés.
Il y a fort à parier que tout ce qui est tabou a été pratiqué dans le passé.
La société a failli se désintégrer et garde le traumatisme de cet évènement sous forme de tabou.
Oui à une époque on a couché entre frères et soeurs et père et mères.
Le résultat n'a pas été beau à voir, et au lieu de devoir expliquer cela à tout nouvel arrivant dans la société humaine, on a dit que c'était tabou, ca ne se fait pas, point.
Et donc oui je pense que nos ancètres ont pratiqué le cannibalisme et que cette expérience douloureuse s'est métamorphosée en son interdiction sous forme de tabou aujourd'hui.
J'aime bien quand je suis "dé-rangé" après la lecture d'un article ! Merci.