Tu te rappelles de la vidéo sur le rapport entre Jul et la bourgeoisie ? Et bien le même vidéaste a fait une vidéo sur HPI et bourgeoisie. C’est par ici :
L’histoire du mouvement HPI
À l’origine le QI était une demande de l’état Français (cocorico). Le psychologue Alfred Binet va le développer pour qu’on puisse trier les enfants les moins doué·es à l’école et les envoyer dans des écoles spécialisées. Ce qu’on cherchait c’était les sous-doué·es.
Un projet fondamentalement élitiste donc.
Et ce truc des surdoués, donc d’une discrimination par le haut, c’est quelque chose qui arrivera beaucoup plus tard. Et cette émergence, ce n’est pas quelque chose qui va être le fruit d’un travail scientifique, mais d’un travail de militantisme politique.
On va avoir un mouvement militant qui va émerger avec la logique inverse :
Le projet de cette association va être de créer des établissements conçus spécialement pour ces enfants avec un QI supérieur à la moyenne. Car selon eux, ces enfants extraordinaires, hors du commun, régressent dans un système scolaire qui, pour le coup, lui est trop ordinaire et trop commun.
« Il y a la pression sociale qui incite les enfants précoces à devenir normaux, c’est-à-dire à régresser, à renoncer à devenir brillants. »
Bon… c’est pas très vendeur. L’élitisme est trop évident.
Le coup de génie va venir quand ils vont adapter le discours :
Jean-Charles Terrassier et les autres vont se repositionner. Ils vont adoucir l’aspect inégalitaire de leur projet, à la fois en insistant sur la souffrance et le côté handicapant de l’intelligence supérieure de ces enfants, mais aussi en affirmant que c’est quelque chose qui concerne toutes les couches sociales.
« La plupart des enfants, quand ils sont d’origine socio-économique modeste, même s’ils sont précoces à l’âge de 5 ans, échouent dans plus de 50 % des cas, ce sont des enfants voués à l’échec. »
Ce mythe vient de là et il a la dent dure. D’ailleurs dans la série HPI on le retrouve : le personnage est trop intelligent donc elle est femme de ménage.
Ce qui est, on le rappelle, absolument pas le destin probable d’une personne avec un haut QI. Bien qu’évidemment il existe des personnes dans ce cas. Mais c’est comme nous vendre le PDG du CAC 40 qui est parti de rien.
Puis, le deuxième repositionnement va venir du nom. Tu te rappelles quand on a audité la multitude de termes différents qui veulent dire HPI ? Bah c’est parce que ce mouvement repackage le nom à chaque fois pour qu’il soit plus efficace.
Et ce que Monory va proposer à Jean-Charles Terrassier, c’est de créer un projet d’école pilote, mais à une condition : ne pas parler d’enfants surdoués, mais d’enfants précoces. L’idée étant de diminuer la charge élitiste de cette appellation et de se borner au constat d’une avance dans le développement de ces enfants.
À ce moment-là, on ne parle donc plus d’une supériorité naturelle, mais d’une différence de développement qui les met en décalage avec les autres. Une différence qu’il faut évidemment prendre en compte.
Alors, le projet d’école pilote ne donnera pas grand-chose, mais c’est suite à cela que l’Association Nationale pour les Enfants Surdoués va devenir l’Association Nationale pour les Enfants Intellectuellement Précoces.
On peut dire qu’à ce moment-là, dans le discours de ces militants, tout est en place. On retrouve très bien le packaging actuel qui fait des HPI des enfants qui avant tout souffrent d’un fonctionnement singulier qui les handicape dans un monde qui ne s’adapte pas à eux.
Et la pierre finale va venir de l’émergence des émissions télévisées de type c’est mon choix où la figure du surdoué mais qui galère dans la vie fait un carton. Parce que c’est cinématographique, c’est fascinant.
D’ailleurs y’a un paradoxe : à la base ça nous fascine de voir des profils “intelligents” en “échec” parce qu’on sait intuitivement que l’intelligence amène à la “réussite”. Mais à force de se fasciner pour l’exception on l’a ancrée dans l’imaginaire collectif comme étant la règle.
Dernière pierre à l’édifice : la validation de l’État.
On va du coup avoir un groupe de travail ministériel sur la précocité qui va à la fois neutraliser et reprendre le discours des militants. On va aussi voir apparaître des textes au sein de l’Éducation nationale qui vont exiger la prise en compte de la précocité intellectuelle. Et en 2005, une loi nationale va carrément prévoir des aménagements spécifiques pour les enfants précoces.
Et cette reconnaissance étatique va tout changer. C’est parce que l’État va donner corps à ce diagnostic que cela va être désormais considéré comme un vrai problème. C’est grâce à cette reconnaissance officielle que ce concept des surdoués — qui, à la base, était marginal et plutôt mal vu — va devenir quelque chose de consistant. Et c’est ce qui va permettre à tout un tas de gens d’utiliser ce diagnostic de manière légitime, sans que ce soit perçu comme un délire élitiste incompatible avec les valeurs républicaines.
Sociologie des HPI
Bon… si t’as quelques notions de Bourdieu ou de Lepage, tu flaires déjà l’arnaque. Qui a tendance à demander des écoles spécialisées pour ses enfants ? Les classes populaires ou bourgeoise ?
Bien sûr les bourgeois.
Alors, je ne dis pas qu’il ne faut pas changer l’école. Bien sûr que si j’avais un enfant je le mettrais dans une école privée Montessori. Seulement, les personnes qui en ont les moyens concrets sont les classes aisées.
Rappelle-toi, dans l’étude sur les enfants ayant leur brevet, on avait constaté que seulement 20% des enfants savaient qu’iels avaient un QI supérieur à 130 avant qu’on le mesure pour l’étude. Ce qui veut dire que vers la fin du collège, 80% des élèves avec un haut QI sont sans “diagnostic”.
Par conséquent, ce qui va suivre porte précisément sur les 20%. Est-ce qu’iels se répartissent aléatoirement ?
Tu me vois venir : non.
60% des enfants HPI diagnostiqué·es ont un père cadre (contre 20% chez les autres)
3% des enfants HPI diagnostiqué·es ont un père ouvrier (contre 35% chez les autres).
Autre bizarrerie : les enfants diagnostiqués HPI sont bien plus souvent des garçons que des filles. À 75% ! Y’aurait tout un email à écrire également sur pourquoi.
Les enfants recevant le diagnostic officiel de HPI sont donc en écrasante majorité des garçons des classes aisées et moyennes. Pourquoi ?
Déjà parce qu’ils ont les moyens (notamment le capital culturel) de faire la démarche. Mais pas que…
L’école bride mon enfant
Tu as deux types de bourgeoisie. La bourgeoisie économique et la bourgeoisie culturelle.
Mais les deux partagent la même inquiétude : l’école risque de freiner mon enfant.
La bourgeoisie économique (les gens qui ont beaucoup d’argent mais pas forcément de culture légitime) vont avoir l’obsession du beau parcours scolaire. Mon enfant doit faire une grande école et je dois tout faire pour que ça ait lieu. Iels vont inscrire leurs enfants à des cours d’anglais en avance par exemple, ou leur faire regarder des pièces de théâtre au programme de français, etc.
La bourgeoisie économique a peur que l’école gâche le parcours scolaire de ses enfants.
La bourgeoisie culturelle (les gens qui ont la culture légitime) vont avoir l’obsession de l’épanouissement culturel. Ce n’est pas un rapport instrumental à l’école. Iels s’en “foutent” du parcours. On ne développe pas la culture pour avoir un bon métier, on la développe pour s’épanouir. Mon enfant doit pouvoir être un·e artiste s’iel le désire.
La bourgeoisie culturelle a peur que l’école rende ses enfants malheureux·ses
Dans les deux cas, ces parents savent qu’ils ont des moyens de pression sur l’école.
Pour Léa Dousson une des choses qui ressort de son enquête et que je ne mentionne pas c’est que le diagnostic est pour les familles un outil de légitimation de leur style éducatif.
En gros dans une société où la norme éducative c’est plutôt l’épanouissement individuel et l'autonomie de l’enfant c’est compliqué de justifier le bain culturel intensif dans lequel ils baignent leur enfant.
Du coup le diagnostic vient leur dire que ce bain culturel est pleinement justifié vu que ça correspond au besoin de leur enfant (puisqu’il est précoce et donc a un gros besoin de sollicitation intellectuel).
D’ailleurs tu remarques ici le phénomène de private joke. On nous fait croire dans les médias que les enfants HPI sont en souffrance, en échec scolaire. Mais les parents qui déclenchent le diagnostic le font pour que leur enfants saute des classes, aille plus vite. Les parents ont très bien compris que ce n’est pas une étiquette de l’échec scolaire mais bien une étiquette de la réussite scolaire.
L’arme du QI
On l’a vu, le QI mesure le facteur g. Or, le facteur g, une des critiques qui est fait serait qu’il ne mesure pas que l’intelligence mais aussi l’expression bourgeoise de l’intelligence. Ne serait-ce que la partie culture générale, bien sûr qu’un enfant de classe aisée va faire un meilleur score, sans forcer. Idem pour le vocabulaire.
En d’autres termes, l’éducation que donnent les parents bourgeois à leurs enfants les entraîne indirectement à réussir un test de QI.
Alors pourquoi se priver ? Puisque le diagnostic permet d’accéder à des facilités. Par exemple le saut de classe.
C’est d’ailleurs ce qui m’est arrivé personnellement. Mon père est professeur de philosophie (donc la petite bourgeoisie culturelle) et j’ai fait le test pour me diagnostiquer surdoué (c’était le terme de l’époque). La conséquence a été de proposer que je saute une ou deux classes.
Mes parents, par peur que je ne m’adapte pas socialement, ont choisi un saut d’une classe et non deux.
Un diagnostic scolaire
Voilà pourquoi, à la base, ce diagnostic de HPI est originellement un truc qu’on fait en contexte scolaire. Hors du contexte scolaire ça n’a plus trop de sens, il n’y a plus d’inquiétude scolaire à avoir.
Voilà pourquoi le discours pour les adultes se concentrent énormément sur la souffrance. D’où aussi l’image qu’on a de l’intelligence comme facteur de souffrance mentale.
Parce que, effectivement, les personnes adultes qui vont consulter un·e psy pour se faire diagnostiquer HPI ont généralement une souffrance, sinon elles ne feraient pas la démarche. On passe rarement chez un neuropsy par pur plaisir de connaître son QI.