Faut-il débattre de racisme ?
En faisant les ménages dans mes brouillons je retombe sur ça. Mais j’étais convaincu de l’avoir partagé ? Si c’est le cas, désolé pour le doublon. Mais je ne le retrouve nulle part dans les archives. Donc si ça se trouve je n’ai jamais envoyé cet email ?
Aujourd’hui on accueille pas mal de nouveaux et de nouvelles qui ont rejoint la liste en lisant mon article : Pourquoi il ne faut jamais débattre avec l’extrême-droite.
J’y explique qu’il ne faut pas donner de tribune publique à l’extrême-droite. Pour autant… ce n’est pas pareil quand on est dans un espace privé ou semi-privé.
Je vais probablement faire une suite avec un article du type : comment combattre les idées d’extrême-droite dans la sphère privée.
Mais en attendant, je profite pour vous partager ma réponse à la question suivante sur le forum Quora :
Prendriez-vous le temps de vous disputer avec une personne raciste pour changer leur point de vue ou ne vaudrait-elle simplement pas votre temps ?
Voici ce que j’avais répondu :
Oui. Car chaque discussion fait évoluer la ligne de flottaison du spectre politique. Ce qu'on appelle "la fenêtre d'Overton".
Voilà 5 raisons pour lesquelles je prends toujours le temps de la dispute avec quelqu'un qui a fait un truc raciste.
Je dis bien "faire un truc de raciste" et non pas "une personne raciste". Ça n'a pas de sens "une personne raciste". Tout le monde est imprégné de racisme. Donc on se dispute avec des gens qui font preuve de racisme à un moment donné.
#1 | Il y a souvent un public
On est rarement totalement seul avec quelqu'un. Souvent quand j'ai été au clash, même si on était deux à l'origine, les gens autour ont commencé à écouter.
Par conséquent, même si je ne convainc pas la personne que ce qu'elle vient de faire ou dire est raciste, je peux convaincre le public.
C'est hyper important.
#2 | On change progressivement d’avis
Beaucoup de gens renoncent à débattre en se disant que ça ne sert à rien. Effectivement, on voit rarement quelqu'un s'exclamer "ah mais oui tu as raison".
Parce que ça ne marche pas comme ça. Un avis se change progressivement. Il faut donc voir chaque dispute comme un coup de butoir réthorique qui, un jour, aura contribué à faire tout basculer.
#3 | La société évolue grâce à la somme des disputes
Se dire que ça ne sert à rien c'est comme dire que faire le tri dans ses déchets ne sert à rien parce qu'il suffit que tous les autres le fassent. Sauf que si tout le monde se dit ça, on avance pas.
Ceci n'est pas un jugement, moi-même je ne trie pas mes déchets parce que j'ai précisément ce biais cognitif.
Comment crois-tu que la société avance ? La fenêtre d'Overton le résume. En gros il s'agit de l'ensemble des idées acceptables. Au centre il y a ce que j'appelle "la ligne de flottaison" : le point central.
Cette ligne de flottaison, n'est pas fixe. Par exemple en 1958, 96% des américains étaient contre les mariages entre Blancs et Noirs.
Dire qu'on était pour le mariage entre Blancs et Noirs était donc une idée d'extrême-gauche, voire délirante.
Aujourd'hui, ils ne sont plus que 13%. L'idée majoritaire c'est désormais que le mariage entre Blancs et Noirs est normal. Dire l'inverse est désormais une idée d'extrême-droite.
Donc, ce qui était centriste (interdire les mariages entre Blancs et Noirs) est devenu d'extrême-droite. Ce qui était d'extrême gauche (autoriser ces mariages) est devenu centriste. En d'autres termes : la ligne de flottaison s'est déplacée.
Il y a 30 ans (1991), Chirac pouvait dire :
Notre problème, ce n'est pas les étrangers, c'est qu'il y a overdose. C'est peut-être vrai qu'il n'y a pas plus d'étrangers qu'avant la guerre, mais ce n'est pas les mêmes et ça fait une différence. Il est certain que d'avoir des Espagnols, des Polonais et des Portugais travaillant chez nous, ça pose moins de problèmes que d'avoir des musulmans et des Noirs.
Comment voulez-vous que le travailleur français qui habite à la Goutte-d'or où je me promenais avec Alain Juppé il y a trois ou quatre jours, qui travaille avec sa femme et qui, ensemble, gagnent environ 15 000 francs, et qui voit sur le palier à côté de son HLM, entassée, une famille avec un père de famille, trois ou quatre épouses, et une vingtaine de gosses, et qui gagne 50 000 francs de prestations sociales, sans naturellement travailler !
Si vous ajoutez à cela le bruit et l'odeur , eh bien le travailleur français sur le palier, il devient fou. Il devient fou. C'est comme ça. Et il faut le comprendre, si vous y étiez, vous auriez la même réaction. Et ce n'est pas être raciste que de dire cela.
C'était un propos que pouvait tenir un politicien appartenant au parti de droite de gouvernement. Aujourd'hui, même Marine Le Pen n'oserait plus le dire comme ça. Parce que la ligne de flottaison s'est déplacée.
Mais, comment se déplace-t-elle ? À coup de disputes. Chacune de nos discussions fait évoluer cette ligne dans un sens où l'autre.
#4 | Dire ce qui est inacceptable est important
Quand je me dispute avec quelqu'un je lui fais comprendre qu'il existe des gens prêts à se disputer sur ce qu'il vient de dire. C'est super important car ça lui signale que la ligne de flottaison se déplace.
Peut-être que, la prochaine fois, il fera davantage attention. Peut-être même qu'en rentrant il va s'interroger. En tout cas il constatera que désormais ce propos peut lui valoir une dispute.
Il y réfléchira à deux fois avant de le refaire.
#5 | La dignité
La dispute me permet également de regagner de la dignité. Car il y a un phénomène que Mark Manson appelle "la normalisation".
L'idée c'est que si jamais tu subis une injustice et que tu ne répliques pas, ton cerveau finit par dévaluer ton estime de toi.
Si quelqu'un nous frappe et qu'on ne peut jamais le frapper en retour, à un moment, notre cerveau émotionnel va arriver à une conclusion surprenante "on avait mérité de se faire frapper".
(…)
Quand quelqu'un nous fait du mal, notre réaction immédiate est généralement "il est nul et je suis dans mon bon droit". Mais si nous ne pouvons pas égaliser et agir en fonction de ce bon droit, notre cerveau émotionnel croira la seule explication alternative : "il a est dans son bon droit et je suis nul"
Et, si ça arrive trop souvent, ton cerveau finit par normaliser qu'il mérite ce qu'il subit. Voilà pourquoi je pense qu'il est important de réagir vigoureusement face au racisme quand on est soi-même racisé.
Réagir permet de conserver son estime de soi, de compenser l'humiliation par l'indignation. Ne plus être une proie, une victime docile mais bien un être humain puissant qui a des droits.
Bonus : parfois je n’ai pas l’énergie
Il est important de rajouter que ce n'est pas toujours possible. Parfois je suis désemparé, dépité, découragé.
Mon propos n'est donc pas de dire qu'il faut toujours réagir. Parfois tu n'auras pas l'énergie.
Mon propos est d'expliquer pourquoi je pense que, quand on le peut, ça vaut la peine de le faire.