On arrive à la fin de la partie gratuite de cette semaine. Alors avant de commencer, une énorme dédicace à mon ami Damien qui a fait du lobbying pendant quasiment 2 ans pour que je lise le livre Chasseur, Cueilleur, Parent de Michaeleen Doucleff.
C’est grâce à ça que tu as pu avoir cette semaine.
Ceci étant dit, on va aborder les interventions pour influencer le comportement d’un enfant. Ici on ne parle plus des outils pour gérer la colère mais bien pour gérer une “sortie” de route.
Intervention #1 : le regard-qui-dit-tout
Tout est dans le nom. Quand l’enfant a un “mauvais” comportement, tu le regardes d’une manière communicative.
Y’a plusieurs intérêts.
Ça t’évite de hausser la voix ou même formuler un ordre
Ça peut fonctionner même à une grande distance
L’enfant ne peut pas négocier un regard
Ce point est hyper important. N’importe quelle parole est négociable. Alors qu’un regard déclenchera moins souvent une négociation.
Le regard-qui-dit-tout m’a épargné pas mal de soucis, en particulier au moment de faire les courses. Un après-midi, à l’épicerie, Rosy attrape une barre de Snickers géante sur le comptoir devant la caisse.
Comme les parents le font souvent, mon mari émet un ordre verbal : « Rosy, on ne va pas acheter ça, repose-le. » Rosy, qui décide d’en faire un jeu, se met à courir entre les rayons pendant que mon mari lui crie dessus. Je décide donc de mettre un terme à ce bras de fer.
Je me tourne vers Rosy, la regarde droit dans les yeux et lui jette « le regard-qui-dit-tout ». Je plisse le nez comme si je sentais une odeur nauséabonde, je ferme un peu les yeux et je pense très fort « y a pas moyen, ma p’tite ».
Devinez ce que fait Rosy. Elle me regarde avec un petit sourire en coin, se dirige vers le comptoir et repose la barre chocolatée. Elle sait ce qu’elle a à faire. Le regard-qui-dit-tout le lui a simplement rappelé.
Intervention #2 : le puzzle des conséquences
Cet outil est un investissement sur l’autonomie des enfants. Plutôt que leur dire quoi faire on leur dit pourquoi faire (ou ne pas faire). C’est bien moins infantilisant.
Ça fonctionne d’ailleurs avec les adultes.
Au lieu d’utiliser la négation : ne fais pas ça.
On dit : si tu fais ça alors il va se passer ça
Ça a l’air de rien mais dans un cas on micro-manage et dans l’autre on coache.
Quand on y pense, dire à un enfant de « ne pas » – ne pas lancer, ne pas prendre, ne pas grimper, ne pas crier – contient très peu d’informations. Rosy est déjà au courant qu’elle est en train de lancer, prendre, grimper ou crier. Mais ce qu’elle ignore (ou ce dont elle n’a pas conscience), ce sont les conséquences de ces actions.
Et il se peut tout à fait, sur le moment, qu’elle ne se rende pas compte qu’elle ne devrait pas faire ces choses-là. Lorsqu’on dit à un enfant « ne fais pas ça » ou « arrête », on part du principe qu’il va obéir à un ordre comme un automate : sans une once de réflexion de sa part.
Les parents inuits ont une plus haute opinion des enfants. Ils croient les jeunes enfants capables de penser par eux-mêmes ou en tout cas d’apprendre à le faire. Ils donnent donc à l’enfant des informations utiles sur son comportement. Ils lui donnent une raison d’y réfléchir à deux fois avant de poursuivre son action.
Les enfants ont du mal à faire ce que nous faisons facilement : une projection des conséquences de nos actions. D’ailleurs, souvent, quand on observe un adulte qui ne prend pas en compte les conséquences de ses actions on le traite d’enfant.
De même… beaucoup d’histoires qu’on raconte aux enfants sont en fait des moyens de leur apprendre à réfléchir aux conséquences. Par exemple Pierre et le Loup l’enfant qui criait au loup et à la fin quand le vrai loup est arrivé personne l’a cru alors il s’est fait dévorer.
Même Adam et Eve c’est ça. Les humains croquent dans le fruit sans réfléchir aux conséquences.
Lorsqu’une fillette de 7 ans monte sur le toit d’un cabanon, à quatre mètres au-dessus du sol, une fille plus âgée lui dit d’un ton impassible : « Tu vas tomber et te faire mal, Donna. »
Donna s’immobilise sur le toit, attend un peu et redescend. Dans la maison de Maria, la petite Samantha, 6 ans, escalade le dossier du canapé près d’une étagère où sont posées des figurines en porcelaine. Sa mère, Jean, la met en garde d’un air détaché : « Tu vas faire tomber quelque chose de l’étagère. »
Plus tard ce jour-là, Tessa, la petite sœur de 3 ans de Samantha, presse un chien en plastique très bruyant pendant que sa grand-mère fait la sieste à proximité. Jean lui dit calmement : « C’est trop fort, tu vas réveiller ta grand-mère. »
Après cet avertissement, Jean n’ajoute pas un mot. Elle n’insiste pas pour que Tessa arrête de presser ce jouet. Elle ne la harcèle pas, elle ne crie pas. En tant qu’adulte, elle incite simplement l’enfant à réfléchir à son comportement et aux conséquences, puis elle laisse la petite extrapoler la réaction appropriée à cette information. Ce mode de communication est respectueux de l’autonomie des enfants et de leur faculté d’apprentissage.
Intervention #3 : les questions orientées
La première fois que je vis Sally utiliser cette stratégie, c’était un après-midi après sa journée de travail. En plus d’élever son fils de 15 ans et de participer à l’éducation de ses petits-enfants, Sally travaille à plein temps à la clinique. Ce jour-là, elle rentre chez elle, épuisée par sa longue journée, et trouve le salon dans un désordre innommable. Un jeu de cartes est éparpillé sur le sol. Des papiers de bonbons jonchent la table. Mais Sally ne s’énerve pas.
Elle se contente de regarder les coupables – Rosy et son amie Samantha – et de dire d’une voix douce : « Qui a mis ce bazar ? »
Hmmm, me dis-je. Intéressant. Après cet épisode, je remarque que cet outil affleure dans bien des situations. « Qui est en train de m’ignorer ? » dit Marie, la belle-sœur de Sally, à sa fille de 4 ans qui ne réagit pas quand elle lui demande de sortir de la maison.
« Que m’as-tu rapporté ? » demande Sally à l’un de ses petits-enfants qui rentre de l’épicerie. Et lorsqu’un enfant lui tend un tas d’ordures à jeter, elle réplique par une question brillante : « Je suis quoi ? Une poubelle ? »
En Tanzanie aussi, les questions abondent. Lorsqu’un petit de 2 ans tape un enfant plus jeune, sa mère lui demande : « Que fais-tu à ton copain ? »
J’aime particulièrement l’exemple que l’autrice prend pour illustrer son application. Elle se met à demander qui est irrespectueuse à chaque fois que son enfant fait n’importe quoi. Mais sans l’accuser. Vraiment en suscitant la réflexion.
Et…une minute après… son enfant revient à la “raison”.
Mais c’est le dénouement qui m’a amusé et fasciné : pendant une semaine le qui est irrespectueuse a fonctionné pour remettre l’enfant dans le “bon” comportement. Mais c’est uniquement au bout d’une semaine que l’enfant a demandé :
Mais maman, ça veut dire quoi irrespectueuse ?
Non seulement on a influé sur le comportement sans crier mais en plus à la fin c’est l’occasion d’avoir une discussion sur une valeur importante.
Intervention #4 : lui donner davantage de responsabilités
Pour un enfant, mal se comporter est parfois une manière pour lui de demander plus de responsabilités, une plus grande participation à la vie de la famille et davantage de liberté. Quand un enfant enfreint les règles, exige des choses ou semble « obstiné », il faut que ses parents le mettent à contribution.
Ce que dit l’enfant, c’est : « Hé, maman, je suis sous-employé, là, et ce n’est pas très agréable. » Songez-y un instant. Si vous vous ennuyez dans votre travail ou que votre responsable ne tire pas profit de votre plein potentiel, ça vous rend vous aussi grincheux et farouche. Vous n’allez pas sortir du bureau en courant cul nu, mais vous avez probablement envie de réclamer à grands cris : « Hé, chef, regardez-moi ! Je suis capable de faire le même travail que les autres. Laissez-moi une chance. »
Au lieu de lui demander d’arrêter de chouiner, donnez-lui du travail. Même les tâches les plus élémentaires peuvent faire abandonner cette attitude de diva à un jeune enfant. Par exemple, un matin, Rosy se réveille ronchon et attaque la journée en se plaignant de la musique que diffuse notre enceinte Google Home (problème d’enfant du XXIe siècle, je sais).
« Mais je veux l’autre chanson de Vaiana, pas celle-là ! » dit-elle en pleurant. Avant qu’elle ait le temps d’embrayer sur une spirale de pleurnicheries, je lui donne un travail à faire : « Regarde, Mango a faim. Tu sais, les petites filles ne peuvent pas exiger des choses si elles n’aident pas. Va nourrir la chienne et on verra ce qu’on peut faire pour la musique. »
Mon mari me lance un regard noir, craignant que cette consigne déclenche une crise de colère. Mais Rosy acquiesce d’un hochement de tête et va chercher la gamelle. Cette mission l’a tirée de sa pleurnicherie. Elle a plus important à faire. Et le reste de la matinée se passe sans heurts. « Intéressant… », fait remarquer Matt. Il est très agréable de partager des choses apprises auprès de mères comme Maria.
« Les enfants ont besoin qu’on leur donne du boulot, lui dis-je. Ils n’aiment pas être sous-employés. Ça les rend nerveux. »
Intervention #5 : Agir davantage, parler un peu moins
Dans la grande majorité des cultures, les parents ne passent pas leur temps à parler aux enfants ou à leur donner des choix incessants. Au lieu de cela, ils agissent. Et ce passage à l’action est disponible en trois parfums :
1. Ils font ce qu’ils veulent que l’enfant fasse.
En Arctique, la belle-fille de Sally, Marie, est prête pour partir à la pêche. Elle enfile ses bottes et dit à sa fille : « O.K. Victoria, on part à la pêche. » Puis elle sort de la maison et monte sur son quatre-quatre. Victoria finit par lui emboîter le pas.
Dans le Yucatán, au moment du déjeuner, une mère pose les assiettes pleines sur la table de la cuisine, puis attend que ses deux filles, occupées dehors à faire du coloriage, rentrent manger. « Elles viendront quand elles seront prêtes », me dit-elle. Et elle a raison. Quelques minutes plus tard, les fillettes rentrent et se mettent à table, sans avoir besoin qu’on les cajole.
2. Ils aident en douceur l’enfant à faire ce qui est nécessaire.
Dans le Yucatán, Rosy monte sur un vélo d’adulte bien trop haut pour elle. Il est évident qu’elle va tomber. Personne ne crie ni ne lui lance de consignes. Laura, 16 ans, s’approche, lui prend doucement la main et l’aide à descendre du vélo. Tout ce dont Rosy avait besoin, c’était qu’une main vigoureuse lui vienne en aide, suivie d’un gros câlin.
3. Ils modifient l’environnement afin que l’enfant n’ait pas à modifier son comportement.
Un soir, dans le Yucatán, nous sommes tous réunis à table à l’heure du dîner. Nous bavardons en partageant un ananas. Soudain, Rosy saisit un immense couteau de boucher posé sur la table. Personne ne s’étouffe ni ne tente de lui arracher le couteau. Au lieu de cela, Juanita, l’une des mères, s’approche calmement de Rosy, attend qu’elle repose le couteau, puis le place hors de sa portée. Il n’y a pas de fâcherie. Pas de pleurnicherie. Aucune rupture dans l’harmonie du moment.
Et on pose moins de faux choix à l’enfant de type tu veux ça ou ça ?
On s’en rend pas compte mais un enfant peut être submergé par les choix. On croit lui laisser de la liberté alors qu’on fait que le perdre.
Intervention #6 : la non-intervention
On en a déjà parlé quand on a abordé les outils pour faire face à la colère. Il s’agit tout simplement de ne rien faire.
Réagir c’est déjà valoriser. Or, si on part du principe qu’un enfant va mal se comporter alors on fait moins un plat quand ça arrive et c’est plus facile de l’ignorer.
Plus on réagit vivement au mauvais comportement d’un enfant, même de manière négative, plus on reconnaît ce comportement et, naturellement, plus on forme l’enfant à se comporter de cette manière. Ainsi, quand je dis « arrête » ou « ne fais pas ça » à Rosy, je renforce en elle une émotion ou un comportement, celui qui l’empêche d’apprendre à maîtriser ses actions et ses émotions.
Alors que, bien sûr, je pense faire tout le contraire. Mais quand j’ignore véritablement Rosy, quand j’arrête réellement de la regarder et de me soucier de son comportement, un miracle se produit. Rosy cesse de faire n’importe quoi. « Tu vois, me dit Elizabeth un après-midi. Une fois que tu t’es vraiment mise à l’ignorer, elle s’est assagie. »
Attention on ne parle pas de faire preuve de méchanceté ou d’ignorer les sentiments. On parle de ne pas répondre par une émotion. On essaie le plus possible de rester neutre émotionnellement. On fait confiance à l’enfant pour pratiquer la compétence de l’apaisement (et on l’y aide si nécessaire bien sûr).