Bienvenue dans ce deuxième épisode du courrier des abonné·e·s. De temps en temps je publie les emails que vous m’envoyez aux réactions à ce que je vous envoie.
J’ai fait volontairement le choix d’utiliser l’email comme canal principal pour éviter certains effets néfastes qu’apportent les commentaires publics. Effets agissant sur moi le premier : je vais tendance à vouloir davantage avoir raison devant le public.
Alors que par email, c’est tout de suite plus apaisé. Et même quand c’est plus rugueux c’est quand même plus agréable pour la personne car il n’y a pas de honte.
Mais, de temps en temps, vous m’envoyez des emails et je me dis c’est quand même dommage que j’ai été le seul à le voir.
En l’occurrence, il s’agit d’une réaction à mon article sur le débat public avec l’extrême-droite. J’y explique qu’il ne faut jamais débattre en public avec l’extrême-droite :
Avant de commencer : la réalité décrite par cet email est dure.
Peut-être que tu ne voudras pas le lire si tu as en ce moment une sensibilité particulière au sujet du consentement sexuel.
Voici l’email en question (le prénom a été changé) :
Bonjour Nicolas,
Je suis une abonnée de l'Atelier et je suis ton blog avec assiduité :)
Je viens de lire ton article cité en objet et je l'ai trouvé très intéressant.
Il m'a fait penser à un tout autre sujet, où j'ai l'impression que les mêmes mécanismes sont à l'oeuvre : la manipulation/le rejet des responsabilités dans le couple.
J'ai vraiment reconnu les mécanismes qu'utilisait mon ex-mari pour invalider les messages que j'essayais de lui faire passer, et essayer de me faire croire que finalement c'était moi qui avait un problème.
Note : Ce mécanisme a un nom. On l’appelle le gaslighting
Le gaslighting est une forme d'abus mental dans lequel l'information est déformée ou présentée sous un autre jour, omise sélectivement pour favoriser l'abuseur, ou faussée dans le but de faire douter la victime de sa mémoire, de sa perception et de sa santé mentale
Au final, alors qu'il avait des comportements totalement injustifiables, c'était moi qui me retrouvait toujours à me justifier.
C’est moi qui devait expliquer pendant des heures pourquoi chacune de ses punchlines n'était pas OK, etc.
À chaque fois, il prenait une phrase de toute mon explication, laissait de côté le reste, et disait à nouveau une punchline que moi je ne peux pas laisser passer (car c'est choquant par rapport à mon système de valeurs).
Du coup, je me lançais dans une nouvelle explication sur un nouveau sujet, parfois moins important pour moi que le 1er, qui avait glissé sur lui puisque la conversation avait dévié.
J'ai fini par divorcer, heureusement, car c'était un peu gros, mais c'est vrai que c'était extrêmement perturbant, et surtout épuisant.
Je me suis beaucoup reconnue dans la phrase "c'est comme essayer de faire un combat de boxe avec quelqu'un qui s'autorise à utiliser un couteau". J'essayais d'utiliser la communication non violente, de me remettre en question… mais du coup il utilisait ça pour m'embrouiller l'esprit en me disant "tu es incapable de te remettre en question" dès que je n'étais pas d'accord avec lui sur les choses les plus invraisemblables, et je m'épuisais dans le vide.
Un exemple :
Moi : C'est inacceptable pour moi que tu fasses pression/me culpabilises pour obtenir des rapports sexuels alors que tu sais que je n'en ai pas envie.
Lui : Dans un couple il faut être généreux, se préoccuper du bien-être de l'autre. Si c'est si inconcevable pour toi de faire plaisir à ton mari...
Moi (tout de suite énervée, essayant d’expliquer en gardant mon calme ce qu’est le consentement) : …. et se préoccuper du bien-être de l'autre c'est déjà se préoccuper de la personne qui est malade et n'arrive pas à s'alimenter ou rester debout plus de 5 minutes, et certainement pas la culpabiliser parce qu'elle ne veut pas faire une fellation.
Lui : La grossesse, ce n'est pas une maladie, Nicole
Moi (encore plus énervée) : non mais que je ne vois pas d'autre mot pour décrire le fait de vomir tous les jours, se voir proposer une hospitalisation, ne pas pouvoir prendre une douche debout…
Au final, on a perdu de vue le sujet, je me suis épuisée, il glisse sans arrêt la conversation sur un autre sujet.
À la fin, il arrive à me dire que c'est moi qui lui ai fait vivre un calvaire, qu'il était extrêmement malheureux. De sorte à retourner chaque situation en inversant les rôles, quitte à ce que son propos soit truffé d'incohérences.
Sauf que j'ai passé tellement de temps à me justifier que je n'ai pas eu le temps et la clarté d'esprit de pointer ses incohérences.
Voilà c'était une réflexion dont je me suis dit qu'elle pourrait éventuellement t'intéresser, ou non, dans tous les cas merci pour ton article qui m'a aidée à comprendre certains mécanismes :)
Étymologie du gaslighting
La pièce datant de 1938 Gas Light connue sous le nom de Angel Street aux États-Unis, ainsi que les adaptations cinématographiques de 1940 et 1944 ont inspiré l'origine du terme qui désigne l'utilisation systématique de la manipulation psychologique du personnage principal sur sa victime.
Dans cette pièce, le mari essaye de faire croire à sa femme et à son entourage qu'elle devient folle en manipulant de petits éléments de leur environnement, tout en essayant de lui faire croire qu'elle commet des erreurs et qu'elle a une mauvaise mémoire lorsqu'elle pointe les changements.
Le titre original provient de l'affaiblissement de l'éclairage au gaz dans la maison lorsque le mari utilisait celui du grenier alors qu'il était en quête d'un trésor caché. Sa femme remarque justement ce changement et aborde le sujet mais son mari lui affirme qu'elle s'imagine ce changement de luminosité.