Nous sous-estimons les capacités physiques des enfants et nous sur-estimons leurs capacités émotionnelles.
Si je ne devais garder qu’une seule phrase du livre Chasseur, Cueilleur, Parent de Michaeleen Doucleff ce serait celle-ci.
En occident on a tendance à énormément brider les enfants dans ce qu’iels peuvent faire avec leurs corps. Mais, à l’inverse, on exige d’eux une maturité émotionnelle inatteignable pour leur âge.
Pire encore, on se comporte comme si les enfants pouvaient nous manipuler ou nous diriger.
La vérité est bien plus simples : ce sont des êtres illogiques encore incapables de gérer leurs émotions.
Un enfant ne fait pas de caprice : il est submergé par ses émotions.
Ajouter la colère au cocktail est la pire idée du monde
Les parents inuits répètent sans cesse cette idée que crier et hurler complique l’éducation, parce que les enfants arrêtent d’écouter. Ils vous repoussent. Comme le dit Theresa Sikkuark, 71 ans :
« C’est pour ça que les enfants blancs n’écoutent pas. Les parents ont trop crié sur leurs enfants. »
Là encore j’ai pris une claque.
Crier sur un enfant est le poison qui se présente comme le remède. Comme la cigarette qui fait croire qu’elle réduit le stress alors que c’est elle qui l’a créé.
Selon elle, en criant, les parents occidentaux ne font que se tirer une balle dans le pied. Parce qu’au bout du compte crier n’apprend pas aux enfants à bien se comporter. Au contraire, ça leur apprend à se mettre en colère. « On leur apprend à crier quand ils sont contrariés, et que crier résout les problèmes », ajoute-t-elle.
Repensez à la formule. Pour inculquer un certain comportement à un enfant, on a besoin de deux ingrédients principaux et d’une pincée d’un troisième : la pratique, l’exemple et, si nécessaire, la reconnaissance. Quand on crie et qu’on se fâche après un enfant, on montre l’exemple de la colère.
Comme un enfant va souvent crier en retour, on lui donne des tas d’occasions de pratiquer les cris et les fâcheries. Puis si on se remet à son tour à crier après qu’il nous a crié dessus, ainsi, on reconnaît et on accepte sa colère.
À l’inverse, les parents qui contiennent leur colère – devant les enfants et à leur encontre – leur permettent d’apprendre à faire de même. « C’est en nous observant que les enfants apprennent la régulation émotionnelle », explique Laura.
Chaque fois que vous vous retenez d’agir sous le coup de la colère, votre enfant assiste à une manière sereine de faire face aux contrariétés. Il apprend à garder son calme quand la colère survient. Ainsi, pour aider un enfant à réguler ses émotions, la première chose que les parents peuvent faire est d’apprendre à réguler les leurs.
Que ça soit les Inuits, les Mayas, les Hazdas, il n’y a pas d’éducation par l’agressivité. Ça m’a choqué parce que quand j’imaginais une société ancestrale, je me disais que forcément les parents frappaient les enfants car ils n’ont pas encore eu la révolution éducation positive etc.
Mais non… en fait, initialement nous ne tapions pas les enfants… puis la pratique s’est développée… et maintenant on essaie de la faire battre en brèche.
Ça m’a fait la même surprise que quand j’ai découvert que le patriarcat avait été inventé et qu’on peut presque retracer sa date de naissance. Qu’avant les sociétés n’étaient pas dirigées par les hommes.
Et donc non seulement les chasseur-cueilleur ne tapent pas les enfants mais ils n’haussent même pas la voix : ce serait vu comme indigne et enfantin justement.
Ils ne donnent même pas de punitions :
Même les punitions légères, comme mettre un enfant à l’écart, sont considérées comme inappropriées, explique Goota Jaw, qui enseigne l’éducation au Collège de l’Arctique du Nunavut, à Iqaluit.
Les sanctions de ce type se révèlent peu efficaces et ne font qu’isoler l’enfant. « Crier “file dans ta chambre et réfléchis à ce que tu viens de faire !”, je ne suis pas d’accord avec ça. Ce n’est pas comme ça qu’on éduque nos enfants. Tout ce que vous faites, c’est lui apprendre à fuir. »
Plus on crie, moins l’enfant écoute et plus il faut crier.
Mais comment on fait ?
C’est facile à dire… mais concrètement comment faire…
Malheureusement j’ai une nouvelle : notre éducation a fait de nous des personnes très peu douées à gérer nos émotions. Ce que l’autrice raconte au contact des sociétés de chasseur-cueilleur c’est à quel point tout le monde y est très calme, très doux.
Or, ce n’est pas notre cas. La plupart d’entre nous n’apprenons jamais à vraiment gérer la colère…
Et après on doit suivre des formations de communication non-violente.
Pour autant ce n’est pas peine perdue : on peut s’appuyer sur deux piliers.
Pilier #1 : se taire et respirer
C’est dur. Ça peut prendre des mois quand on a pas l’habitude. Mais ça vaut le coup :
“Il me fallut environ trois mois pour arrêter de crier sur Rosy, puis trois mois de plus pour me taire complètement quand je sentais monter la colère. Il m’arrive encore de déraper de temps en temps et de me mettre à lui donner des ordres, à exiger des choses et à lui faire des remontrances. Mais, de façon générale, je maîtrise l’art de garder le silence quand Rosy déclenche en moi une vague de colère et de frustration.”
Notre réaction face à la colère d’un enfant est d’abord de lui demander d’arrêter, puis de surenchérir. Alors que des parents Mayas vont plutôt marquer une pause, observer l’enfant comme un psy le ferait avec un patient puis parler d’une voix douce, si douce qu’il faut tendre l’oreille.
Non seulement ça montre à l’enfant qu’on régule son émotion mais ça l’oblige à tendre l’oreille.
Au début, tu auras peut être besoin de physiquement t’éloigner un moment. Bien sûr plus l’enfant est jeune et moins tu peux faire ça longtemps. Mais même quelques secondes peuvent suffire à te faire redescendre.
Si tu ne peux pas t’en aller tu peux tourner le dos quelques secondes.
L’idée c’est de pouvoir parler calmement et ainsi de pas rompre le canal de communication.
Maintenant, en toute transparence, si je n’avais pas vu à quel point la méthode de Sally et Maria calmait ma fille, je n’aurais peut-être pas été aussi motivée pour travailler là-dessus. En vérité, avant de séjourner chez elles, je croyais sincèrement que pour permettre à Rosy d’apprendre le respect et la gratitude, je devais être ferme et inflexible. Je devais la gronder et la réprimander. C’est ainsi que mes parents m’avaient élevée et je pensais que c’est ce que faisaient tous les bons parents.
Une fois qu’on a dit ça… ça reste compliqué si on éprouve régulièrement de la colère contre l’enfant. D’où le deuxième pilier.
Pilier #2 : comment ressentir moins de colère en premier lieu
Comment y parvenir ? Après avoir discuté avec des mères, des pères, des grands-mères et des grands-pères, je commence à percer leur secret : ces parents ne portent pas sur les actions des jeunes enfants le même regard que le nôtre, dans la culture occidentale.
Les parents inuits interprètent différemment leurs motivations. Par exemple, dans nos sociétés, on a tendance à penser que les enfants « nous poussent à bout », « testent nos limites », voire nous manipulent. Quand Rosy n’était encore qu’un bébé, ma sœur aînée m’a dit au téléphone : « C’est incroyable comme les enfants apprennent très tôt à nous manipuler. Tu verras. »
Et si cette idée était complètement fausse ? Avons-nous vraiment la certitude que les tout-petits et les enfants nous « manipulent » comme le font les adultes ? Que les enfants nous poussent à bout comme le font les adultes ?
Aucune preuve scientifique ne vient corroborer ces affirmations. Il n’existe aucune imagerie cérébrale sur laquelle le système de circuits de la « manipulation » s’allume quand un tout-petit se comporte mal. Aucune étude en psychologie ne montre un enfant de 2 ans qui « lâche le morceau » et avoue que, oui, tout ce qu’il voulait, c’était faire enrager papa et maman.
Que se passe-t-il si au lieu de croire que les enfants en bas âge sont des mini manipulateurs on se disait plutôt que ce sont des petits êtres inexpérimentés, irrationnels essayant de comprendre ce qu’il est approprié de faire ou pas ?
D’ailleurs, on le comprend très bien quand on essaie de leur apprendre quelque chose comme les maths : on se dit ok là c’est trop tôt. On ne se met pas en colère parce qu’un enfant de 3 ans n’arrive pas à faire une multiplication.
Il en va de même avec toutes les compétences.
Si un enfant n’écoute pas, c’est parce qu’il est trop jeune pour comprendre. Il n’est pas mûr pour apprendre la leçon.
Changement d’attente : partons du principe que l’enfant va mal se comporter. Parce qu’il ne comprend pas ce qui est bien ou mal.
Par conséquent, au début il vaut mieux changer l’environnement plutôt que d’essayer de changer le comportement de l’enfant. Au lieu de disputer un enfant qui fait tomber un verre plein… il vaut mieux s’arranger pour qu’il n’y ait jamais de verre sur le rebord, par exemple. Et ainsi de suite.
Bam ! Le bras de Rosy percute une tasse de café fumant posée au bord de la table et l’envoie valdinguer à travers la pièce. Le café chaud s’étale en flaque sur la table ancienne. Mon cœur chavire. J’ai envie de hurler. Bon sang, Rosy ! On est des invitées dans cette maison. Pourquoi ne peux-tu pas faire un peu plus attention ?
Mais je regarde autour de moi et personne ne réagit. Rien. Zéro. Nada. Gordon et Tusi n’ont pas levé les yeux de leur lecture. Les enfants sont toujours en train de danser.
Personne ne semble remarquer que du café brûlant vient de voler à travers la pièce, causant une pagaille monstrueuse. Sally sort de la cuisine, un torchon à la main, et l’étale lentement sur le tapis, avec précaution, comme si elle installait son matelas de yoga pour une séance de méditation.
Mais le plus surprenant, c’est la réaction de Sally. Elle ne crie pas, elle ne réprimande pas Rosy, mais se tourne vers Tusi et lui dit calmement : « Ton café était au mauvais endroit. »
Oui, un enfant est encore trop autoritaire, pas partageur, négligent et même exhibitionniste (mais ça on les dispute moins pour ça, on comprend qu’un enfant ne comprend pas qu’il doit s’habiller). Oui, un enfant… est un enfant. Il n’a pas encore appris les compétences émotionnelles qui lui permettront d’être une bonne personne.
Pour les Inuits, se disputer avec un enfant est stupide et c’est une perte de temps, me dit Elizabeth, parce que ce sont globalement des êtres illogiques. Quand un adulte se dispute avec un enfant, il s’abaisse au même niveau que lui. « Je me rappelle une fois où je me disputais avec mon oncle. Je lui ai répondu et il s’est mis en colère », se souvient-elle.
Cette dispute était un événement si rare qu’il était toujours gravé dans sa mémoire quarante ans plus tard. « Mon père et mes tantes se sont moqués de lui parce qu’il était en train de se disputer avec une enfant. » Au cours de mes trois séjours en Arctique, jamais je ne vis un parent se disputer avec un enfant. Jamais je n’assistai à une lutte de pouvoir. Jamais je n’entendis un parent négocier avec un enfant ou le harceler de remarques. Jamais.
C’est vrai aussi au Yucatán et en Tanzanie. Les parents ne se disputent pas avec les enfants, tout simplement. Ils expriment leurs demandes et attendent, silencieusement, que l’enfant s’exécute. Si l’enfant refuse, le parent fait parfois un commentaire, s’éloigne ou dirige son attention ailleurs
Parce qu’on ne se dispute pas avec un être irrationnel. Toute comparaison gardée c’est pareil avec un chat ou un chien. Pourquoi on se choque encore plus quand on voit quelqu’un taper un chien (versus un enfant) ? Parce qu’on se dit que le chien ne va rien comprendre et qu’il ne peut de toute façon pas changer son comportement.
On ne dispute pas avec un être qui n’a pas les moyens émotionnels de le faire.
Bon… c’est plus facile à dire qu’à faire, évidemment… mais ça vaut le coup d’essayer, non ?
Avant que tu fasses la comparaison à la fin, je me disais déjà que c'est pareil avec un chien, mais surtout plus facile.
Je sais que mon chien ne comprend que quelques mots et pas des phrases complètes, je sais que ses émotions le submergent et qu'il les gère comme il peut, donc ça rend plus facile d'être en empathie avec lui et de rester calme.
En fait comme les enfants parlent, et assez vite parlent bien, on projette un côté adulte sur eux.
En tout cas à lire ça jsuis content de ne pas en avoir, parce que maîtriser ses émotions alors qu'ils déclenchent autant de triggers autistiques c'est borderline impossible 😂