Douce Dibondo parle de charge raciale
Cette semaine a pris une direction que je n’avais pas prévue. En évoquant le point de départ de ma sensation actuelle de burn-out racial (la réaction des gens face à l’arc Meurice veut à tout prix parler de prépuce)… j’ai eu des personnes concernées qui sont venues témoigner. Encore merci à elles. Elles ne peuvent que le dire mieux que moi, qui le vis par parallélisme (et qui accessoirement fait aussi partie du problème). Ceci étant dit, revenons à l’email que j’avais prévu : une compilation de citations de Douce Dibondo.
Douce Dibondo définit la charge raciale
Je te l’ai déjà mise mais je te la remets ici :
Alors, la charge raciale, en fait, c'est une manière de s'adapter constamment dans une société majoritairement blanche, c'est-à-dire de fomenter des stratégies d'adaptation, que ça soit au travail, dans son couple aussi, parfois, dans ses relations, et de porter un masque pour ne pas subir des micros agressions ou des macros agressions d'ailleurs.
Mais ce que je montre dans ma charge raciale dans cet essai, c'est qu'il y a aussi une part qui est très psychique, très individuelle, très centrée dans l'intériorité des personnes racisées.
L’essentiel a lieu au travail
Je vais prendre l'exemple du travail parce que c'est l'endroit où il y a 70% des personnes racisées qui disent avoir des stratégies d'adaptation pour ne pas subir de la discrimination au travail, c'est-à-dire le fait, par exemple, pour les personnes noires de lisser leurs cheveux, de ne pas avoir des cheveux crépus ou des locks pour paraître plus professionnels, le fait de ne pas porter des vêtements trop criards, le fait d'avoir une personnalité aussi qui s'adapte à la menace du stéréotype.
C'est Racky K qui en parle, qui est une psychologue qui parle de cette menace-là. Par exemple, en tant que femme noire, on attend de moi que je divertisse, que je sois extravertie, que je la personne hyper solaire. Et donc, je n'ai pas le droit à l'introversion, je n'ai pas le droit d'être une personne plutôt réservée. Sinon, je suis perçue comme impolie, agressive et qui ne se fond pas dans l'équipe au travail. Et ça peut desservir, par exemple, pour avoir une augmentation, pour être mieux inséré au niveau du travail.
La peur d’en mourir
Oui, très tôt, enfin déjà, on nous fait comprendre que notre couleur de peau est synonyme de danger, synonyme d'excellence, en fait, qu'il faudra faire deux, trois, quatre fois plus que les autres pour être intégrés, pour être perçus comme simplement des personnes humaines. Et très tôt aussi, on subit ce que j'appelle le racisme vicariant.
C'est-à-dire le fait de voir à la télévision, dans les médias, de voir autour de soi des personnes, d'entendre autour de soi des personnes qui subissent des contrôles de police récurrent, le fait d'être entouré de ce racisme diffus, crée en nous une peur de se confronter à ce racisme-là, de vivre cette violence-là, et ça crée de l'hypervigilance.
Cette hypervigilance-là peut aussi se manifester dans la somatisation de nos corps, avec des maladies, avec de l'anxiété, avec un stress qui est littéralement un poison pour le corps des personnes racisées qui subissent ce racisme-là.
Exactement ce que je vis à chaque fois que je passe devant un policier.
La colère quand on s’en rend compte
Les corps racisés n'ont pas le droit à la subjectivité, n'ont pas le droit à l'humanité. Et comme je disais, reconnaître cette part-là pour la blanchité, pour la suprématie blanche, c'est en fait ouvrir une brèche qui peut, comment dire, attiser une certaine colère. Parce que tant qu'en face, on nous fait croire que ce qu'on dit n'est pas vrai, ce qu'on dit qu'on est des personnes hystériques, que nous affabulons, etc, et bien il y a peut-être des gens qui s'auto-censurent et ne pensent pas forcément à aller creuser ce que cette histoire française et occidentale.Mais à partir du moment où il y a une reconnaissance de ce passé, de ce racisme dans tous les pans de notre société au niveau des institutions, et bah je pense que ça va mettre beaucoup de gens en colère.
C'est comme quand on réalise… moi, pour ma part, j'ai réalisé à 18 ans le sexisme et ce que ça voulait dire d'être une personne femme, par exemple, assignée femme. Et bien j'étais en colère pendant des années.
Pendant des années, j'étais la rabat-joie de service, c'est-à-dire que dans les soirées, il n'y avait rien qui passait. Quand le racisme est arrivé, que j'ai conscientisé tellement de choses, c'était terminé. J'ai fait le tri dans mes amis. J'étais vraiment l'épée qui tranche.
Je n'acceptais plus les gens qui étaient d'une tièdeur qui me faisaient rager. Et je me dis: voilà, à l’échelle collective, s'il y a des gens qui prennent conscience de ce poids de la charge raciale, ça peut créer des révolutions.
Et c'est ce que je souhaite au final, qu'il y ait des prises de conscience comme ça pour renverser enfin la tendance.
Cette notion de tri est importante. Y’a un monde d’écart entre avant et après. J’ai eu le même cheminement et j’ai commencé à trier dans ma vie professionnelle comme personnelle pour simplement éviter les personnes blanches qui font peser trop de charge raciale sur moi.
J’ai reçu ce message en réaction aux emails et qui illustre bien :
J'ai lu ton mail sur la charge raciale. Il était très bien. Ça m'a un peu rassuré sur le fait que tous mes amis sont quasiment que des enfants d'immigrés. Non pas que je culpabilisais, mais ca a mis des mots sur ce confort et ce lâcher prise que j'ai quand je suis pas en face de blancs
Tu viens d’où ? Des toilettes !
- Vous montrez aussi à quel point, au quotidien, on est ramené à notre couleur de peau avec la fameuse phrase Tu viens d'où ? Vous avez d'ailleurs trouvé plusieurs subterfuges pour répondre à cette phrase. Racontez-nous.
- Oui, ça, c'est en soirée ou dans des contextes mondains, dans certains milieux gauchistes d'ailleurs, pas que de droite, où la question de l'origine est très vite amenée après ce que tu fais dans la vie en général.Et moi, oui, j'aime bien m'amuser comme ça, à dire: Non, je viens des toilettes et toi... Et une fois de plus, c'est encore une stratégie d'adaptation, l'humour, mine de rien.
Mais je vois bien que ça déstabilise totalement la personne en face de moi et on passe à autre chose, on passe à un autre sujet.
Et en fait, cette stratégie d'adaptation-là, je l'utilise parce qu'au départ, je me disais: C'est vrai que je suis né au Congo, je viens littéralement d'un autre pays, donc pourquoi ne pas y répondre ?
Et puis j'ai réfléchi, je me suis dit: la personne en face, elle est pas censée savoir que je viens d'autre part. En fait, c'est ma couleur de peau qui ne se dilue pas dans le territoire qu'est la France. Et c'est pour ça que je suis renvoyée à autre chose, à l'autre, à cette étrangère, en fait, qui ne pourrait jamais vraiment s'intégrer, justement, dans la France.
Et donc, on trouve des petites astuces comme ça, mais le but, ce serait de ne plus jamais en trouver, en fait, humour ou pas.
- Il faudrait qu’on nous pose plus la question
Je ne le redirai jamais assez : pour l’amour du ciel, arrêtez de demander aux personnes Noires d’où elles viennent quand vous n’êtes pas Noir. Genre JAMAIS.
Enfin… sauf si ça vient de la personne.
Hier soir j’ai croisé un Noir qui était sous ecstasy. Mais genre de manière si évidente que je l’ai vu en quelques secondes. Il a commencé par me demander :
Tu viens d’où ?
J’ai répondu.
Puis quelques minutes après j’ai dit et toi tu viens d’où ?
Il a fait hey c’est marrant comment on me pose toujours cette question !!!
[Moi] Bah c’est peut être parce que tu abordes les gens en leur demandant ça !
Et il se rappelait plus. Bon…bah… la drogue quoi… (et par drogue j’entends l’ectasy ET l’alcool qu’il avait consommé).
Mais pour reprendre un cas moins absurde… il m’arrive de poser la question quand, dans la conversation, la personne amène une information en rapport. Si quelqu’un te raconte que quand il était petit, sa famille ne parlait pas français à la maison… bon bah oui là c’est logique d’enchaîner avec ta famille parlait quelle langue ? Ou ta famille venez d’où.
Ce que je veux dire que ça ne peut jamais être la première phrase.
Où trouver l’interview que j’ai citée tout du long ?
Par ici :