Certaines personnes l’appelle “le racisme d’Etat” ou “le racisme institutionnel”. Je n’aime pas ces termes car on revient au problème de désigner un acteur comme raciste. On a l’impression qu’il s’agit d’une intention. Alors que l’on vient de voir que le racisme n’a pas besoin d’intention quand il se répand via un système, une métastructure. On dit aussi “racisme systémique”, ce qui me semble plus proche de la réalité.
Le racisme structurel est souvent sous-estimé et ça le rend très dangereux. Je ne compte pas le nombre de personnes qui sont sincèrement surprises et choqués quand j’explique qu’on m’a déjà raccroché au nez pour un appartement au moment où on découvrait que mes parents habitaient en Guadeloupe. Ou qu’une assurance a refusé le droit au propriétaire de prendre mon dossier, pour cette même raison.
Le racisme structurel est cette espèce de champ de force dans lequel nous baignons et qui entrave les victimes.
Il explique pourquoi vous savez de quelle couleur est un PDG du CAC 40. Et vous savez aussi de quelles couleurs sont les chauffeurs Uber et les “femmes” de ménage. Ne mentez pas : vous savez. Vous savez de quelles couleurs sont les éboueurs. Vous savez de quelle couleur est un membre des 100 plus grandes fortunes de France. Quand je vous dis que dans les années 90 les békés étaient moins de 1% de la population martiniquaise et contrôlaient plus de 29% des entreprises de plus de vingt salariés. Vous savez de quelle couleur ils sont.
Je n’ai pas besoin de vous produire des stats ethniques : vous savez à quoi ressemble un videur en France.
Quand Ardisson s’étonne de voir un rappeur blanc, quand des téléspectateurs étrangers se choquent de voir autant de noirs dans l’équipe de France championne du monde de Football, ils sont les témoins inconscients de ce champ de force. S’il y a autant de banlieusards qui font du football et du rap c’est peut-être parce que ce sont les rares voies dégagées qu’on leur propose. Si autant de banlieusards sont noirs et arabes, ce n’est pas non plus par une opération du Saint Esprit.
Le racisme structurel opère un travail de sape dans l’inconscient collectif. Il définit ce qui est normal et ce qui est inhabituel. La première fois que mon père m’a dit que certains pharaons égyptiens étaient noirs, j’ai rigolé. Quand Obama devient président, on est frappé. Quand je suis arrivé en Pologne et que j’ai découvert que tous les videurs étaient blancs, j’ai été surpris.
Le racisme structurel définit nos cadres de référence. À ce titre, il a un impact énorme sur nos choix. Quand on vous inculque depuis l’enfance qu’un super-héros est blanc, ça configure votre monde.
Il y a une raison pour laquelle aucun blanc ne crie de joie quand on sort un film avec un casting blanc. Il n’y a pas non plus de vagues de spectateurs chinois disant “le film est trop blanc” comme ils diraient que “le film est trop noir”.
“Les Chinois ne sont pas encore habitués à un film plein de Noirs. Black Panther est noir, tous les personnages principaux sont noirs, beaucoup de scènes sont noires, la scène de course-poursuite est noire. Toute cette noirceur m’a vraiment fatigué.” — Un spectateur chinois sortant de la salle de cinéma
Le racisme structurel c’est un peu comme si certaines personnes devaient marcher sur une pente et les autres en terrain plat. Et que ceux qui marchent sur du plat ne se rendent même pas vraiment compte que les autres sont sur une pente.
C’est lui qui donne une direction, un sens, au racisme. C’est lui qui fait que les hommes ne sont pas sexistes entre eux, les blancs ne sont pas racistes entre eux. Mais les femmes sont sexistes entre elles et les noirs sont racistes entre eux.
Dimension #4 : le racisme historique et géopolitique
A demain pour la suite !