Désunion de la gauche ?
La primaire populaire aura fait énormément de mal à la gauche. En monopolisant le débat pendant des mois autour de il faut une candidature unique.
Voyons pourquoi ça n’a aucun sens selon moi.
La fausse évidence
La réthorique est simple : si on fait la somme de toutes les voix de gauche alors ça donne une candidature unique à 29%.
Pour arriver à là j’ai fait la somme des projections de voix pour Mélenchon, Jadot, Roussel, Hidalgo, Poutou et Arthaud.
Donc, il suffirait de cette candidature unique pour arriver premier au premier tour. CQFD.
Simple, non ?
Oui. Mais naïf.
Déjà parce que ce n’est JAMAIS arrivé. On unit une famille politique en amont. Jamais pendant la campagne. C’était ce qu’avait réussi à faire l’UMP (aujourd’hui ses membres sont au Rassemblement National, à LR ou chez LREM).
Idem pour le PS. Aujourd’hui on trouve de ses membres de l’époque chez LFI, le PS et LREM.
Le Rassemblement National est également un parti qui avait réussi à réunir toutes les extrêmes-droite avant que Zemmour ne vienne rebattre les cartes.
Mais ça ne peut pas arriver pendant la campagne. Ni même l’année d’avant. C’est un travail de fond qui peut durer une décennie. Le Front National a mis 30 ans avant d’arriver à être assez fort pour arriver au second tour. D’ailleurs, paradoxalement, ça s’est passé au moment où une partie du parti faisait sécession (Bruno Mégret).
C’est donc l’année où il y eu un candidat dissident que le Front National est arrivé au second tour. Comme quoi…
C’est le deuxième point de naïveté : croire que tout ceci est linéaire. Oublier le concept de dynamique. C’est ce qui a eu lieu avec Zemmour. Marine Le Pen est bien plus forte grâce à cette candidature (qui aurait pu aussi la tuer, certes).
Concept contre-intuitif mais que tu retrouves ailleurs. Par exemple, en école de commerce on m’a enseigné qu’il valait mieux ouvrir un restaurant dans une rue qui a déjà plein de restaurants car y’a une dynamique. Ça crée des opportunités.
Revenons à la gauche. Y’a-t-il beaucoup de candidats cette année ? Pas plus que la moyenne.
Il y a 6 candidats en 2022,
il y en avait 4 en 2017,
5 en 2012,
7 en 2007,
8 en 2002,
4 en 1995 (mais sur seulement 9 au total)
6 en 1988 (toujours sur 9 ! Donc on avait deux tiers des candidats qui étaient de gauche et la gauche a gagné)
6 en 1981
J’ai mis en gras les années où la gauche a gagné. On voit que le nombre de candidats n’est pas la donnée phare.
Le fantasme de la stratégie
Ce que m’inspire cette idée selon laquelle il faudrait une candidature unique c’est le fantasme de la stratégie. Le fait de croire que tout est gagnable, tout dépend de nous. Mais ce n’est pas le cas : dans un jeu on peut faire face à un joueur qui a de bien meilleures cartes que nous.
En 2022, le total des intentions de vote de gauche plafonne à 29%. Alors que François Hollande à lui tout seul avait fait 28,5% avec un Mélenchon à 11% et Eva Joly à 2%…
Soit un total de 42% de voix de gauche dès le premier tour. Et, à l’époque un parti centriste vraiment centriste dont le leader (Bayrou) a appelé à voter à gauche cette fois.
Voilà.
La différence est là.
La meilleure stratégie ne peut pas compenser totalement une situation défavorable.
Quand l’extrême-droite est à 31% d’intentions de vote au premier tour… la meilleure stratégie du monde est insuffisante.
Les autres aussi ont une stratégie
Ce débat me rappelle un passage d’Harry Potter que je te cite de tête. En gros c’est le Premier Ministre Britannique qui demande au Ministre de la magie pourquoi il ne résout pas sa guerre avec de la magie.
- Mais ? Pourquoi vous utilisez pas votre baguette pour régler tout ça ? Vous êtes des sorciers !
- Le problème, monsieur le Premier Ministre, c’est que le camp d’en face aussi utilise la magie.
C’est pareil ici : admettons que, un mois avant le premier tour, Jadot se retire et appelle à voter Mélenchon…
Et bah les électeurs de l’extrême-droite le verraient dans les sondages et accéléreraient leur report sur Marine Le Pen plutôt que Zemmour. Et, si Mélenchon était vraiment durablement devant dans les sondages, probablement que Zemmour et Le Pen s’entendraient sur une alliance.
=> Le camp d’en face peut fusionner, aussi.
Un problème d’ego ?
On entend souvent ça. Avec comme illustration le fait qu’on y arrive dans les élections locales alors pourquoi pas dans les nationales ?
Mais c’est une intox.
Tu te rappelles quand je te racontais la naïveté des gens de gauche qui croient que les gens votent Le Pen parce qu’ils n’ont pas compris ? Ou alors qu’en expliquant à une personne de droite pauvre pourquoi elle a intérêt à voter à gauche ça va la convertir ?
Quand on fait ça on ne comprend pas que la droite ne fonctionne pas comme la gauche.
Et bah là c’est pareil. C’est de la naïveté de droite. C’est la droite qui ne comprend pas que la gauche ne fonctionne pas comme la droite.
La droite dit que c’est une guerre d’ego parce que ça marche comme ça chez elle. En effet, reprenons notre définition : la droite est composée des personnes qui veulent garder la société telle qu’elle est ou telle qu’elle était récemment.
Si tu comprends cette définition tu comprends qu’il n’y a pas 36 manières d’être de droite. Il y a bien quelques variations, bien sûr. Mais globalement quand Copé et Fillon se tapent dessus pour prendre le parti, c’est vraiment une question de personnes. On se dispute davantage sur le chef que sur les idées. Ils sont d’accord sur l’essentiel.
Alors qu’il y a une infinité de manières d’être de gauche, de vouloir changer la société.
Tu as donc des gauches communistes, anarchistes, libertaires, animaliste, antiracistes, trotskistes, social-démocrates, écologistes, féministes…
Toutes ces gauches ont des fractures profondes entre elles. Voilà pourquoi même au Parti Socialiste on désignait le leader d’abord en fusionnant 300 courants dans 5 ou 6 mégacourants (qu’on appelait les motions) et ensuite seulement on les départageait.
La fracture woke
Aujourd’hui, la fracture la plus profonde porte sur les luttes d’émancipation. Principalement l’antiracisme et le féminisme. Ce que la droite appelle “les woke”.
Cette fracture est si violente qu’elle peut empêcher les alliances. Personnellement, j’en suis au point où je classe Anne Hidalgo au bord de la frontière de mes ennemis politiques. Pas juste une rivale. Mais bien une ennemie comme Le Pen.
Quand la police assassine des noirs et des arabes en toute impunité et qu’elle apporte son soutien au préfet de police, comment peut-on se réconcilier elle et moi ?
Quand le mouvement indépendantiste martiniquais fait une action (déboulonner la statue de celui qui est présenté comme le libérateur des esclaves) et qu’elle les qualifie de raciste, comment peut-on se réconcilier elle et moi ?
Mais surtout…
Le rapport à l’extrême-droite
Quand cette gauche nous explique qu’en cas de second tour Mélenchon - Le Pen ils iront voter Le Pen.
Ou que quand un groupuscule d’extrême-droite envahit violemment son parlement, Carole Delga (Parti Socialiste) réagit en mettant dos à dos l’extrême-droite et l’UNEF (parce qu’ils organisent des réunions en non-mixité raciales)… comment peut-on se réconcilier elle et moi ?
Quel accord signer ?
Ok on s’entend sur quelques mesures économiques mais nous on va continuer à faire la chasse aux musulmans.
Ce serait ça le deal ?
L’extrême-droite monte depuis les attentats de 2015. Face à ça il y a eu deux réactions à gauche : se dire, comme Hidalgo que pour gouverner il faut coller au centre et que donc si le centre devient raciste faut lui donner des gages. Ou alors se dire que c’est un compromis que nous ne sommes pas prêts à faire.
Il ne peut pas y avoir d’union dans ce contexte
Ce n’est pas une guerre d’ego mais bien une différence idéologique profonde. En vérité, le Parti Socialiste est en train de se droitiser comme c’est arrivé à d’autres partis avant lui. Je rappelle que les capitalistes étaient à gauche avant. Idem pour le parti Radical.
Peut-on vraiment dire d’Hidalgo qu’elle est de gauche ?
Et même si on l’admet… il faut se rappeler que LA gauche n’existe pas. Il y a DES gauches. La gauche ne peut pas être homogène comme la droite, par définition.
Il y a grosso modo une seule façon de garder la société dans son état. Alors qu’il y a plusieurs manières de la changer.
Bien sûr que c’est plus facile pour LREM d’être un grand courant uni en disant “on refait tout pareil que ces 5 dernières années”.
Pour aller plus loin
Cette vidéo d’analyse qui date d’un an avait déjà tout dit. Il s’est passé exactement ce qui y était prévu :