[Débrief] 3 réponses sur la police
On continue sur notre lancée avec les 3 dernières réponses qu’il nous manquait.
Réponse #5 | Les CRS utilisent souvent LBD (flashball) de manière dangereuse ?
Beaucoup d’entre vous sont tombés dans le piège : c’était faux. Mais c’est subtil je le reconnais. En substance vous avez raison : il y a un problème spécifique et alarmant sur le Flashball. Mais il ne vient pas des CRS.
Avant toutes choses posons les bases.
Le LBD c’est le lanceur de balle de “défense”, on l’appelle aussi Flashball (techniquement c’est le nom de la marque concurrente).
Les flashball sont régulièrement mis en cause : quand tu entends des manifestants éborgnés, par exemple c’est quasiment toujours un Flashball qui est à l’oeuvre.
Ce sont des armes tellement dangereuses que la plupart des pays ont décidé de ne pas les utiliser.
Alors… est-ce que les LBD sont souvent utilisés en France par la Police de manière dangereuse : oui.
Bah, pourquoi c’était faux, alors ?
Le piège c’est que les CRS sont très réticents à l’usage des lanceurs de balles en caoutchouc. Parce que les CRS ont pour philosophie de gérer une foule et qu’un LBD ça ne permet pas ça. Le LBD ça dégomme juste quelqu’un dans la foule.
Par conséquent, les CRS ont résisté à cette arme dès son introduction.
Je ne dis pas qu’ils ne l’utilisent jamais. En revanche, énormément de mutilations que tu vas entendre dans la presse, avec des LBD sont le fait d’autres unités de police comme la BAC.
Mais que fout la Brigade Anti Criminalité dans les manifestations ?
Bonne question : c’est comme dans l’éducation nationale, comme il y a un manque d’effectifs on envoie des policiers faire des missions qui ne sont pas les leurs.
J’ai traité cette question dans le premier de mes articles sur la police. Voici un extrait :
Avant de me plonger dans cet article je n’avais pas conscience d’à quel point dire Les Policiers c’est comme dire Les Profs. Bien sûr qu’ils forment un ensemble cohérent MAIS ils ont d’énormes différences dans leur métier.
En gros, si la police était un lycée tu aurais des profs de maths (CRS), des profs de français (BAC), des profs d'histoire (Police Secours), des profs de physique (CSI), etc.
Et bien comme on manque de prof on envoie des profs de français (BAC) faire des cours de maths (gestion de manifestations) ! Sauf que la BAC, ne sait pas vraiment comment on gère une manifestation. C’est censé être le boulot de la CRS.
Voilà comment le décrit Anthony Caillé, secrétaire général de la CGT Police :
"Aujourd'hui on a on a déshabillé complètement les compagnies
républicaines de sécurité pour mettre en place des BRAV-M, des CSI, des BAC et ben on arrive on connaît ce qu'on connaît c'est-à-dire qu'on arrive sur des drames qu'on a pu voir notamment sous les gilets jaunes mais qu'on peut voir encore aujourd'hui parce qu'il y a un mésusage de la force de l'armement ce qui n'est pas le cas quand on emploie des forces qui sont formés à ça.Ce qui n'était pas le cas en tout cas il y a encore 10 ans.
On rompt avec la doctrine de maintien de l'ordre notamment parce qu'on n'arrive plus en fait à faire du maintien de l'ordre classique.
On y arrive plus pourquoi ? Parce qu'il y a plus suffisamment de monde. Là où vous aviez des CRS équipés à 6 sections elles sont descendues à 5 puis à 4.
À 4 sections une CRS peut encore fonctionner, difficilement, mais elle peut fonctionner. Aujourd'hui des CRS à quatre sections c'est l'exception elles sont à trois sections ce qui fait que, je vous passe les schémas tactiques et le langage technique, mais à trois sections elles peuvent plus opérer de la même façon.
Et donc elle se met elle-même en danger et elle n'arrive pas à opérer et à faire du maintien de l'ordre convenable et donc pour pallier ça le gouvernement a mis en place de nouveaux opérateurs au sein du maintien de l'ordre des BAC, des CSI, des BRAV-M qui eux ne sont pas rompus à ça ne sont pas formés à faire ça, qui ont pas forcément le bon équipement et puis qui ne répondent pas à l'autorité civile de la même façon qu'une Compagnie républicaine de sécurité." ⁷
Christophe Rouget, commandant de police appartenant à la CFDT ne dit pas autre chose :
Demander à des policiers, non-CRS, de faire du maintien de
l'ordre, c'est comme dire à un professeur de mathématiques que demain il donnera un cours d'histoire-géographie (…) Eux se retrouvent dans les manifestations avec une résilience moindre, une formation et un équipement qui ne sont pas adaptés. Au moment des samedis Gilets jaunes, des policiers ont dû aller acheter des protège-tibias chez Décathlon la veille !
Lire l’article : https://medium.com/p/4ebe62feb46d
Réponse #6 | L’organisme de contrôle de la police est sévère avec les policiers ?
Dur de répondre à cette question, formulée ainsi. Si tu as répondu que non parce que tu sais que l’IGPN est laxiste dans les affaires de violences policières, tu as raison.
La réponse la plus précise selon moi c’est, cependant, Vrai et faux.
En effet, l’IGPN est extrêmement sévère avec quasiment tout le reste. Notamment tout ce qui est une infraction du règlement intérieur de la Police. Ce qu’elle appelle “la probité” :
« Le ministère de l’Intérieur est bien plus sévère pour les manquements aux règles internes que pour les violences policières. Ces dernières représentent, au bout du compte, moins de 5 % des sanctions disciplinaires prononcées sur le territoire de la préfecture de police de Paris. »
Même constat pour le sociologue Fabien Jobard, selon lequel « les recherches montrent que les sanctions prononcées contre les policiers sont inversement proportionnelles à la gravité des faits allégués.Ainsi, les policiers poursuivis ont un risque beaucoup plus élevé d’être sanctionnés pour la perte de leur carte professionnelle ou de leur badge, que pour violence illégitime».
Selon Dominique Monjardet, « comme toutes les administrations, la police semble bien plus attentive (…) au respect de (ses) règles internes de fonctionnement que du traitement réservé à (sa) clientèle ».Le journal Médiapart rapporte ainsi que « l’échelle des sanctions paraît parfois surprenante. Un usage frauduleux de cartes de carburants et un vol de téléphone portable seront l’un et l’autre sanctionnés d’une exclusion ferme de deux ans, tandis que les deux seuls cas de violences volontaires en service sanctionnés (l’un sur des gardés à vue, l’autre lors d’une mission) ne donnent lieu qu’à une exclusion ferme d’un an (plus un an de sursis). Quant à la dizaine de révocations ou de mises à la retraite d’office prononcées, aucune ne concerne apparemment des violences commises en service».
De même, le rapport d’activité de l’IGPN pour 2014 nous apprend que les manquements au devoir de probité entraînent des propositions de sanctions beaucoup plus fortes que pour d’autres faits : sur 40 enquêtes relatives à ce manquement, 20 ont abouti à une proposition de renvoi en conseil de discipline. L’IGPN explique d’ailleurs que « le manquement au devoir de probité constitue une atteinte grave à la confiance accordée par l’Administration et le citoyen au policier fautif. Pour cette raison, dans la majorité des cas, ce dernier est renvoyé en conseil de discipline. »
Au total, un quart des renvois en conseil de discipline proposés par l’IGPN en 2014 concernait des manquements au devoir de probité.
Il en va de même pour les flics ripoux quand on arrive à les choper : la sanction est souvent forte.
Réponse #7 | La justice est sévère avec les policiers mis en cause pour des faits de violences en service ?
Là c’était faux. Je pense que c’est un des choses qui m’a le plus surpris en me penchant sur le sujet. Car on a l’image de la Police un peu en tension avec la Justice.
Mais, dans les faits, pas du tout.
« Si un juge d’instruction met en examen des policiers, (…) ça peut vite impacter son travail au quotidien. Après une mise en examen d’un policier, le juge d’instruction peut être black-listé. Et si tu es black-listé par un certain nombre de commissariats, le métier de juge devient plus difficile. » — Stéphane Maugendre, avocat
L’ambiguïté résultant ainsi de la relation entre police et justice est une clé de compréhension importante lorsqu’il s’agit d’examiner le contrôle judiciaire effectué sur les accusations de violences policières. Une partie du quotidien
judiciaire est fait du contact avec les policiers et vice versa.
Tout le travail d’un juge pénal est fondé sur la confiance qu’il porte dans le travail de la police. Les relations entre forces de l’ordre et magistrature ne sont par ailleurs pas toujours simples.
Le juge est parfois considéré comme trop laxiste par la police (« on arrête les délinquants, ils les relâchent »). Or, comme le rappelle Fabien Jobard, « la justice dépend d’une coopération excellente avec la police pour mener ses affaires pénales à bien ».
Du coup, on a très peu de condamnations pour des faits de violences illégitimes, même quand les faits sont avérés, même quand le grand public est scandalisé.
On a eu l’exemple récemment avec le procès de l’affaire Théo que tu pourras trouver résumé dans ce thread twitter :
https://x.com/ChPiret/status/1747544860981182954?s=20
Ou cette vidéo YouTube :
En résumé, la Justice, comme l’IGPN va être sévère sur tout ce qui concerne la probité ou ce qui est commis en dehors du service (par exemple un policier coupable de violences conjugales). Mais en revanche, elle va être très très clémentes avec les policiers qui commettent des violences illégitimes en service, dans l’exercice de leur fonction.