Comprends ton ennemi
Je n’ai jamais compris pourquoi autant de politiques recommandaient la lecture de L’art de la guerre de Sun Tzu. J’ai trouvé la lecture obscure et ennuyeuse. Pour autant y’a un concept phare dedans : “connais-ton ennemi”.
“Qui connaît l’autre et se connaît lui-même, peut livrer cent batailles sans jamais être en péril. Qui ne connaît pas l’autre mais se connaît lui-même, pour chaque victoire, connaîtra une défaite. Qui ne connaît ni l’autre ni lui-même, perdra inéluctablement toutes les batailles.“
Comprendre son ennemi est compliqué. Parce qu’on a 3 tentations :
Le prendre pour un idiot
Le prendre pour un monstre
Le prendre pour un hypocrite
Le problème c’est que ces trois explications nous laissent totalement démuni·es : nous sommes face à un camp incohérent et donc imprévisible.
Exemple typique : mais pourquoi les gens votent RN alors qu’ils sont pauvres
Pire encore, tous les gens de gauche qui vont faire AHAH regardez comme les députés RN ne votent pas pour aider les pauvres ?
Mais vous croyez quoi ? Que les électeurs RN sont bêtes ? Qu’ils ont pas cette info ?
J’ai vu encore plus déconnecté de la réalité : non mais ce sont des gens déçus de la gauche blablabla
Les gens qui disent ça (Ruffin par exemple) se reposent sur le fait que le même territoire votait à gauche y’a 30 ans et RN maintenant. Sauf que, quand on se penche sur la sociologie on voit que ce ne sont plus les mêmes personnes. Un territoire n’est pas une personne. Les personnes déménagent, meurent, font des enfants qui ne les suivent pas forcément idéologiquement…
Le racisme est un des piliers du vote RN
Tant que tu n’acceptes pas ça, tu te perdras sur la carte politique. Attention… je ne dis pas que le racisme est monstrueux (ce serait tomber dans une autre erreur). Je ne dis pas non plus que c’est que ça.
Les électeurs du RN sont des personnes de droite. Elles pensent donc que le politique ne peut pas changer grand chose au monde. Elles pense également que y’a un ordre naturel des choses et que donc on ne bouleversera pas le système économique. En revanche, elles se disent qu’elles devraient être mieux traitées que les personnes non-blanches.
D’ailleurs, voilà ce que donne le sondage Ifop le jour de l’élection européenne de la semaine dernière sur les motivations du vote :
Voilà.
Donc vous pouvez dire 100 fois à ces gens que le RN va pas augmenter le pouvoir d’achat : ce n’est pas dans leur top 5 des préoccupations.
Attention, chaque personne étant différente ça ne veut pas dire que tu ne peux pas convaincre tes parents racistes en leur montrant que LFI leur permettra d’arriver plus vite à l’âge de retraite. Ce que je dis c’est que ce n’est pas ce qui motive la plupart.
Tu n’es pas moins hypocrite ou inconséquent·e que les gens qui votent RN
Récemment j’ai eu cette discussion avec une personne de gauche qui me disaient mais ils sont trop bêtes, ils votent pour un parti qui est contre leurs intérêts économiques !
Alors déjà… c’est cette phrase qui est bête en vrai, puisqu’il y a toujours eu une énorme part des pauvres qui votent à droite. Et y’a toujours eu des personnes riches qui votaient à gauche. On ne vote pas que pour soi.
Et ensuite… c’est une forme d’hypocrisie. J’ai répondu à la personne :
- Bah pour eux la question raciale est au moins aussi importante que la question économique, si ce n’est davantage. Ils sont prêts à se sacrifier économiquement à condition d’arriver au monde racial auquel ils aspirent
- Mais c’est fou d’être comme ça ?
- Ah bon ? Parce que toi t’es pas comme ça ? Tu fais pas passer la question raciale avant la question économique ?
- Bah non !
- Donc si je te propose d’appuyer sur un bouton qui permet d’obtenir immédiatement un monde avec un salaire universel… une retraite à 55 ans… un salaire maximal… mais en échange on expulse tous les Noirs et tous les Arabes, tu le fais
- Hein ? Bah non !
- Voilà. Pour toi aussi la question raciale ne peut pas être sacrifiée à la question économique.
Pourquoi on s’attend à ce que les électeurs RN fassent différemment de nous ? Ils font comme nous, mais avec les valeurs opposées.
Oh mais j’ai vu dans le bureau de vote des personne avec des têtes normales qui votaient RN
Bah oui ? Puisque 33% des votants ont fait ce choix, ils sont forcément normaux. Ça allait pas être des gens au crâne rasé et avec des croix gammées.
Ce sont des gens normaux, mais plus racistes que toi.
Il n’y a pas de lien entre valeur et intelligence
Les personnes qui travaillent sur l’Intelligence Artificielle essaient de résoudre ce qu’on appelle le problème de l’alignement.
Je trouve que ça illustre à merveille la déconnexion totale entre valeurs et intelligence.
Après si tu veux t’épargner de parler d’IA, j’ai une version plus courte. Quand on me dit que les gens racistes sont bêtes je réponds toujours que les Nazis avaient de grands artistes, des grands philosophes, et plein d’autres personnes très intelligentes.
L’histoire qui va suivre est une paraphrase de celle racontée par Tim Urban sur son blog Wait But Why :
Imaginons une IA, Céline, qui écrit des notes manuscrites. Elle a une faculté d’auto-apprentissage qui fait qu’elle est meilleure de jour en jour. Un beau jour, quand les ingénieurs lui demandent ce dont elle a besoin pour s’améliorer, Céline répond un inventaire vraiment complet du langage familier pour que je comprenne comment écrire de manière vraiment humaine.
Les ingénieur·es sont embêté·es… ils et elles savent que la seule manière de le faire serait de connecter Céline à Internet. Sauf qu’une des grandes règles de l’entreprise c’est de ne jamais connecter une IA auto-apprenante à Internet.
Bon… le problème c’est que l’entreprise est sous pression, y’a les concurrents derrière qui font des grands pas et s’apprêtent à disputer le leadership. Alors ils le font.
Un mois plus tard, tous les humains et 99% des formes de vies s’effondre. Empoisonné par Céline qui a comploté pendant un mois pour mener une attaque bactériologique éclair.
Parce que Céline s’est rendue compte que les formes de vies organiques étaient un obstacle à son objectif. Les humains étaient en compétition avec elle pour le papier et l’encre, et même l’espace. Maintenant elle peut générer un maximum de notes manuscrites, sans gêne.
Cette parabole sert à montrer comment une entité intelligente mais dépourvue de sens moral peut conduire à une catastrophe.
Je le répète : il n’y a pas de lien strict entre l’intelligence et les valeurs.
Il y a des personnes très intelligentes et racistes. L’intelligence c’est justement ce qui te permet de maximiser l’atteinte de tes objectifs. Les valeurs c’est ce qui te permet de définir ce que sont ces objectifs.
D’ailleurs c’est parfaitement illustré dans un livre de Damasio L’erreur de Descartes. Il y décrit un homme qui, suite à un accident, a perdu la capacité d’éprouver des émotions. Et bien cet homme se met à prendre des décisions catastrophiques comme aller acheter une nouvelle agrafeuse pour le bureau au lieu d’assister à LA réunion avec les investisseurs sur laquelle repose l’avenir de l’entreprise.
Sans émotion, il n’arrivait plus à décider, à prioriser. Alors même que ses capacités de raisonnement n’étaient PAS altérées.
Des sources pour comprendre le vote RN
Je me rappelle l’époque où je lisais du Zemmour, regardais le raptor Dissident. Pour comprendre. Heureusement, tu n’as plus besoin de ça. Tu as désormais des chaînes YouTube dont la spécialité est de réagir aux dingueries de l’extrême-droite.
Quelques exemples :
Mais tu as aussi des ouvrages sur la question. Je ne l’ai pas encore lu mais celui de Félicien Faury a l’air vraiment passionnant.
Il y explique notamment quelque chose d’assez cinglant. Pourquoi les électeurs RN viennent généralement des classes moyennes ou populaires ? Parce qu’ils n’ont pas les moyens financiers pour déménager dans des endroits à l’abri de l’immigration.
D’un point de vue ethno-racial, les personnes que j’ai rencontrées sont en effet du « bon côté » des frontières raciales qui traversent la société française. Mais si elles font partie du groupe majoritaire, elles perçoivent leur position de pouvoir comme fragile et menacée. Elles ont l’impression d’être de moins en moins majoritaires, d’être de moins en moins « chez elles », et craignent que leurs privilèges soient fragilisés.
Pour le dire un peu brutalement, ce sont des personnes qui n’ont pas les ressources sociales à la hauteur de leur désir ségrégatif, de leur volonté de partager un « entre-soi blanc ». D’où le conditionnel de beaucoup de propos que j’ai recueillis, par exemple : « J’aimerais bien déménager mais je n’ai pas les moyens. » De ce point de vue, ces électeurs sont dans une position de « dominants dominés », qui va leur rendre d’autant plus séduisants les discours qui promettent de durcir les frontières de l’ordre racial.
Ce sont aussi généralement des gens qui ne bénéficient pas autant du privilège blanc que les autres.
“Comme ce ne sont pas des personnes qui se sentent en danger sur le terrain de l’emploi, la figure menaçante ne va pas être celle de l’immigré qui travaille et qui vient prendre leur travail. Ça va plutôt être l’immigré qui est au chômage et bénéficierait indûment des allocations sociales « payées par nos impôts », pour reprendre une formule souvent entendue.”
Il y a aussi l’idée que l’état privilégie les personnes non-blanches :
Il y aurait également une clémence étatique, en termes de répression policière et pénitentiaire, vis-à-vis de ces minorités : l’État préférerait contrôler la personne qui fait un petit excès de vitesse ou qui ne va pas mettre sa ceinture, plutôt que le jeune garçon arabe qui va faire des rodéos.
Et la négation de leur contribution à l’économie :
Il y a de fait une invisibilisation, parfois une dénégation, des discriminations vécues par les personnes racisées. Il y a aussi une fixation sur certaines situations, par exemple les immigrés au chômage, au détriment d’autres. Dans les entretiens menés, je retrouve constamment une mise en équivalence entre immigrés et chômeurs, ce qui contribue à invisibiliser tout un ensemble d’activités réalisées en grande partie par une main-d’œuvre étrangère,notamment en région Sud-Paca : le travail agricole saisonnier, le BTP, les métiers de l’aide à la personne...
Peut-on les convertir ?
Il faut aussi rappeler que les classes populaires et les classes moyennes blanches ne sont pas disposées par nature à voter pour le RN. Cela n’a donc aucun sens de dire qu’il est trop tard et qu’il ne faut plus se tourner vers elles parce qu’elles seraient condamnées à voter pour le Rassemblement national.
C’est un travail de long terme, qui consiste à s’adresser à ces classes populaires blanches, en proposant des mesures sociales et politiques ambitieuses, qui vont faire contrecoup et démonétiser la force politique du racisme. Il faut aussi rendre le coût moral et social du vote RN supérieur. Il faut arriver, sans stigmatiser les individus, à dire que, si, le vote RN fait appel à des affects racistes qui sont critiquables politiquement. C’est quelque chose qu’il faut réussir à dire sans condescendance.
Mais surtout, il faut garder ça en tête si tu parles avec une personne qui vote RN :
La gauche est très souvent détestée, car vue comme le camp des « beaux parleurs », des « donneurs de leçons ». J’y vois une défiance vis-à-vis du pouvoir culturel, et derrière de l’ordre scolaire. Il ne faut pas oublier que le faible niveau de diplôme est une des variables explicatives la plus forte du vote RN. Derrière ce constat statistique, on retrouve des trajectoires scolaires courtes mais surtout heurtées, qui ont rendu ces personnes très sensibles au mépris de classe qu’elles ressentent de la part d’élites médiatiques et artistiques.
L’article original : https://basta.media/Vote-RN-Le-Pen-Bardella-Le-racisme-force-attraction-politique-qui-ne-doit-pas-etre-prise-a-la-legere-Felicien-Maury
Voilà, ça donne déjà des pistes pour améliorer sa compréhension. Car c’est de la compréhension que découle la désintoxication.