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Quand on fait face à une oeuvre d’art qu’on aime pas… c’est dur de savoir si cette oeuvre est nulle ou si juste on l’aime pas.
J’ai moi-même lamentablement échoué plusieurs fois. La première fois que j’ai écouté la chanson Bando de Kalash, j’ai soutenu que c’était nul.
Je n’avais pas encore l’habitude d’une telle sonorité : de la trap mélangée au dancehall.
C’est d’ailleurs souvent le problème : pour apprécier une oeuvre il faut forcément avoir apprécié des oeuvres du même genre.
Le goût se développe à mesure qu’on se familiarise avec un genre
C’est un peu comme le vin. Personne ne boit du vin rouge et trouve ça délicieux la première fois. On a besoin de rôder son goût.
Le problème c’est qu’il y a souvent des innovations en art.
D’ailleurs… les gens qui défendent la culture française contre des genre comme le rap, ne se rendent pas compte que quelqu’un comme La Fontaine a subi les mêmes critiques que le rap.
C’est une histoire vieille comme le monde.
Comment faire alors pour savoir ?
Premièrement il faut accepter que tu ne pourras jamais entièrement différencier ce que tu n’aimes pas de ce qui est artistiquement nul.
Ensuite, voilà ma méthode…
Ma méthode en 6 points
Comme je te l’ai dit, tu ne pourras jamais savoir avec certitude. Ce n’est donc pas une science mais bien un art. On va donc chercher des indices. Mais ce n’est pas parce qu’une oeuvre remplit tous les critères qu’elle n’est pas nulle. Inversement ce n’est pas parce qu’une oeuvre n’en remplit aucun qu’elle est nulle.
Un peu nulle ta méthode, non ?
Oui…car…ce n’est pas une science exacte.
Voici donc une série de questions à te poser face à une oeuvre que tu trouves nulles. Plus tu vas obtenir des “oui” et plus il y a des chances que ce soit toi qui n’aimes pas.
Question #1 : l’artiste a-t-il déjà fait une oeuvre classique ?
Souvent… tu as du mal parce que tu n’as pas encore fait ton goût. Il existe une manière d’y remédier : il est rare qu’un artiste commence par innover. Bien souvent, il aura essayer de faire la version classique de son art.
PNL, Damso, aujourd’hui font des propositions artistiques très éloignées du rap classique. Ils chantent très lentement, et les paroles sont beaucoup moins densens. Mais on peut trouver des vidéos où ils rappent de manière classique.
C’est donc un premier indice : ils savent rapper comme on faisait dans les années 90. Ils ont choisi sciemment de ne pas le faire.
Vald est arrivé avec Bonjour et qu’il a fallu savoir si c’était une blague ou pas…
Il a pas dit bonjour. Du coup il s’est fait niquer sa mère. C’est-à-dire que le mec arrivait, tout le monde a dit bonjour. Mais lui…il a pas dit bonjour. Il s’est fait niquer sa mère.
Ça avait tout d’une blague, ça avait tout du nul.
Pour autant…il suffisait de chercher des anciens sons pour constater qu’il savait rapper comme dans les années 90.
C’est même caricatural comment il rappe vraiment comme dans les années 90. Tu sais…avec une instrumentale au violon et le flow d’IAM. Et il le fait très bien.
Là encore…il a donc choisit de proposer autre chose.
Question #2 : est-il respecté par les artistes de son art ?
On cultive le mythe de l’artiste incompris. Tu sais… comme Van Gogh qui serait mort sans reconnaissance.
Alors…premièrement les cas à la Van Gogh sont super rares. C’est l’exception plus que la règle.
Ensuite… même un Van Gogh était reconnu par les autres artistes. Il n’avait pas la reconnaissance du public, certes. Mais il avait bien des amis artistes qui le reconnaissaient.
“En 1886, l’artiste rejoint son frère Théo à Paris. Ce dernier l’introduit dans le monde de la bohème artistique montmartroise. Vincent Van Gogh y noue des amitiés, notamment avec Henri de Toulouse-Lautrec”
Il était également ami avec Paul Gauguin.
Tout ça alors qu’il est mort jeune (37 ans).
Un artiste qui est suffisamment exposé, va forcément être jugé par ses pairs. Et surtout, il s’inscrira souvent dans une famille artistique.
Le plus marrant avec les gens qui détestent Booba et disent que c’est pas du vrai rap … c’est qu’ils citent toujours des rappeurs qui font du vrai rap … mais qui adulent Booba (ou lui ont a minima rendu hommage en interview).
Question #3 : est-il respecté par les artistes d’un autre art ?
Cette question est à réserver aux artistes qui ont déjà un minimum de parcours, qui ont eu le temps de toucher en dehors de leur art.
Booba, par exemple, a été repris par Benjamin Biolay, mot pour mot. En hommage. Virginie Despentes, l’écrivaine dit de lui :
“Booba n’est pas assez pris au sérieux comme auteur”
Ses textes ont été étudiés dans un article de la nouvelle revue française par Thomas Ravier, un autre romancier.
Un jour on m’a expliqué comment PNL a révolutionné l’utilisation de l’autotune et qu’ils avaient réalisés des prouesses techniques qui inspirent désormais partout dans le monde, dans tous les genres musicaux. Mais je serais bien incapable de détailler.
Question #4 : a-t-il influencé son art ?
Quand tout le mouvement auquel l’artiste appartient est influencé par sa proposition … il est dur de dire que c’est nul.
Booba est l’exemple caricatural : tout le rap a été tiré par sa proposition artistique. Depuis son émergence, une vague de rappeurs se sont mis à faire du sous-Booba avec plus ou moins de succès.
C’est d’ailleurs en partie à cause de ça que la décennie 2005-2015 a été aussi pauvre artistiquement dans le mouvement rap.
Booba fascinait comme une lampe, les moucherons.
Question #5 : est-ce que je peux identifier une raison qui fait que je n’accroche pas à un niveau personnel ?
Souvent, en musique, il s’agit de la voix. Je n’aime pas la voix de Bob Dylan. C’est comme ça. Sa voix m’exaspère. J’ai l’impression que c’est un chat qui parle.
J’ai une de mes élèves pour qui c’est “la vulgarité”. Elle ne supporte pas les paroles vulgaires et donc ne peut pas écouter certains artistes.
Question #6 : est-ce que je suis capable de comprendre pourquoi les gens achètent ?
Il y a une raison pour laquelle les gens achètent. Et ce n’est pas “ce sont des moutons imbéciles”.
Si tu n’es pas capable d’expliquer le succès d’un artiste alors tu es juste en train de rager.
Par exemple, JUL, je pense que ses premiers albums sont artistiquement très pauvres. Mais je comprends pourquoi il vend autant : il est ultra-productif (20 albums en 6 ans), il entretien un lien viscéral avec sa communauté et il est toujours très simple, très authentique.
Question subsidiaire : est-ce qu’il y a une mode de dire que l’artiste est nul.
Un exemple flagrant est Maître Gims. Je suis toujours étonné de voir à quel point on aime dire qu’il est nul quand on ne connaît pas ses morceaux. Il faut être de très mauvaise foi pour ne pas reconnaître qu’il a une voix.
Mais…y’a une mode pour dire que c’est nul. Ça fait bien dans les dîners de dire que Gims c’est nul. Personne n’argumente en plus (je l’ai vu encore ce weekend de mes yeux). Juste “ouais c’est trop nul Gims, mdr”.
Pourquoi Gims ? Je n’en ai aucune idée.
Aya Nakamura est un peu victime du même phénomène.
Conclusion : réfléchis avant de dire qu’une oeuvre est nulle
D’ailleurs…j’ai oublié la question #0 : est-ce que j’aime ce genre musical ?
Je trouve ça incroyable le nombre de personnes qui veulent expliquer ce qu’est le vrai rap alors qu’elles n’en écoutent pas …
Pourquoi faire ça ?
Arrêtez. Vraiment.
Si tu n’aimes pas le rock, ne viens pas expliquer que tel ou telle artiste de rock est nul…
Si tu n’aimes pas la pop, ne viens pas expliquer que tel ou telle artiste de pop est nul…
Admets juste que tu n’aimes pas le genre ou que tu ne le connais pas.
Un genre ne peut pas être entièrement nul.
Sauf les tableaux monochromes. Je suis désolé mais j’y arrive pas. Je mourrai con là-dessus. Les tableaux monochromes c’est nul !
Comment savoir si tu n'aimes pas où si c'est nul ?
Bravo.
Perso c'est "Art" de Yasmina Reza qui m'a fait changer d'avis sur les tableaux monochromes. (Faut dire aussi que je l'ai pioché à l'oral du bac)