Comment je notais
Qui dit école dit évaluation. Or, c’est un sujet très controversé. Entre les gens qui disent qu’il faut supprimer les notes et d’autres qui disent l’inverse.
J’ai fini par tomber sur un livre qui explique en détail comment trancher le paradoxe.
Ça mériterait un article à part entière et d’ailleurs j’avais rédigé un article interne uniquement à destination de mes collègues. Voici le début :
Il existe un secret dans l’évaluation : il y a deux types d’évaluation. D’un côté l’évaluation de certificat et de l’autre l’évaluation d’accompagnement et de diagnostic. Dans le jargon on appelle ça l’évaluation certificative et l’évaluation formative.
Un des grands drames est de confondre l’une avec l’autre. L’évaluation certificative se fait en additionnant des points jusqu’à avoir une note harmonisée. Elle a pour but d’attester du niveau d’un étudiant en fonction des autres. Le Bac est, par nature une évaluation certificative. Une des seules manières de le faire est d’utiliser une échelle numérique (une note).
L’évaluation a donc ce rôle certifiant le niveau de chaque étudiant. Mais ce n’est pas sa seule fonction. L’évaluation sert aussi à poser un diagnostic de formation. Afin de repérer les lacunes et guider étudiants et professeurs dans le parcours.
L’évaluation de diagnostic ne prend pas forcément la forme d’une note. La note est d’ailleurs probablement le pire instrument de diagnostic : un 16/20 ne vous dit pas quelles sont vos lacunes. Il s’agit ici d’accompagner l’étudiant en lui montrant où sont ses lacunes et les points à travailler.
Si ça intéresse des gens, je partagerais peut-être un jour la suite de cet article qui s’appelait : Les 10 commandements de l’évaluation.
Mais aujourd’hui je veux focaliser sur un élément que j’ai découvert “tout seul” (on ne découvre jamais rien vraiment tout seul).
Cet élément c’est la nécessité de donner des notes supérieures à 20.
Je ne l’avais pas prémédité, mais c’est venu assez naturellement.
Lutter contre la constante macabre
“La notion de la constante macabre désigne le fait qu'il existerait de manière répandue dans le système éducatif un pourcentage constant de mauvaises notes, quel que soit le niveau véritable des étudiants par rapport aux connaissances réellement requises.”
En d’autres termes, peu importe la classe, les profs vont mettre un petit “tiers” de mauvaises notes, un gros “tiers” de notes moyennes et un petit “tiers” de bonnes notes.
L’idée c’est que si on pouvait faire l’expérience de donner à un prof une classe constituée uniquement d’élèves qui étaient premiers de leur classe l’année d’avant et qu’on pouvait le cacher au prof en question… alors ces élèves auraient tous et toutes d’excellentes notes au début. Puis… au bout de quelques contrôles, on se retrouverait à nouveau avec un “tiers” de mauvais, moyens et bons.
Ce qui voudrait dire que l’école hiérarchise plus qu’elle n’évalue.
Comment éviter ça ?
La tension entre deux logiques contradictoires
Le système français est conçu de telle sorte que chaque élève puisse aller aussi loin que ses “capacités” (et depuis on Bourdieu on sait que c’est au moins en partie le revenu des parents) lui permet.
C’est un système élitiste.
Notons que ce n’est pas forcément péjoratif. On a une image péjorative de l’élitisme parce qu’on a pas trouvé de régime politique où cette élite se met au service de l’intérêt général.
Mais on peut penser un système où la priorité c’est que le groupe entier aille aussi loin que possible.
Je n’ai pas réussi à arbitrer. Je n’arrive pas à faire le deuil de l’idée d’encourager quelqu’un qui apprend vite. Mais il faudrait trouver un moyen qui ne décourage pas les autres.
La notation en prépa
Quand j’étais en prépa on nous entraînait pour un concours (mécanique élitiste par excellence). J’ai paradoxalement apprécié ce côté clair de l’expérience. Il n’y avait plus le truc du faux examen du bac. Je dis “faux” car le fait que le bac soit national mais pas le niveau de cours, créait une distortion : un·e élève qui a 18 de moyenne toute l’année dans un “mauvais” lycée peut se retrouver avec 12 au bac et vice-versa.
Au moins, en prépa c’était clair : on s’en fiche de la note, il faut être devant les autres.
Et donc pour nous mettre dans cet état d’esprit, certains profs nous notaient en relation de la meilleure performance.
Je m’explique : on va donner un devoir sur table trop long pour être fini dans le temps imparti, même par un prof.
Cyril, réussi à faire 50% du devoir et il a tout bon. Quelle note a-t-il ?
Au lycée, on lui aurait mis 10/20.
En prépa… ça dépendait de la performance des autres. Si Cyril avait fait la meilleure performance alors il avait 20/20, tout simplement.
Et, ensuite les autres étaient notés en fonction.
Par exemple si Nicolas était la deuxième performance avec 25% alors il avait 10/20. Et ainsi de suite…
Dans ma classe ça donnait des notes avec des écarts géants entre le premier et les autres, reflétant son écart de performance.
Ce système m’allait car j’ai vite pris l’habitude. Mais d’autres élèves n’ont jamais pris l’habitude. Le traumatisme de recevoir des 6/20 qui sont des bonnes notes, quand on avait jamais eu moins de 14/20 de toute sa scolarité précédente…
Mais je trouvais l’idée intéressante.
La solution qui conserve l’estime de soi
Voilà donc ma solution.
Je définis un objectif d’apprentissage réaliste. Cet objectif vaut 20/20.
Par exemple, en prenant un exemple absurde : les élèves doivent pouvoir écrire dans l’ordre les 20 premières lettres de l’alphabet en 5 minutes.
Toute personne le faisant aura 20/20. C’est l’objectif réaliste et exigeant.
Mais, je vais rajouter une question bonus.
Si tu as fini avant le temps, tu peux essayer d’écrire les lettres suivantes de l’alphabet.
Et, dans ce cas, les élèves pourront avoir jusqu’à 26/20.
Je peux m’arrêter là, mais pas forcément. Je peux encore rajouter une question bonus.
Quelles sont les lettres qui sont des voyelles ?
Et, ainsi de suite…
Première manière de faire.
La deuxième est similaire mais un brin différent. Par exemple sur leur mémoire, je les notais selon les critères suivants :
Structure
Qualité du raisonnement
Profondeur du sujet
Diversité et qualité des sources
Illustrations
Mise en page, aération, lisibilité
Régularité du travail
Pour chacun de ces critères je décide dès le début un barème bonus (car noter sans barème est dangereux, on a tendance à surnoter les élèves avec qui on a le plus d’affinités et ça reste vrai dans le cas d’un bonus)
Et donc ça laisse la possibilité de faire jusqu’à 26.
Même si tu remarques que j’ai enfreint ma règle du barème sur le critère lisibilité. Car je n’arrivais pas à imaginer qu’on pouvait faire mieux que parfaitement mis en page.
Des élèves ont eu 17/20 et ça reste un vrai 17/20. Ça veut dire qu’on était proche de l’objectif attendu.
Le surplus au-dessus de 20 décrit qu’une personne est allée au-delà des attentes.
Au début c’est incongru puis les élèves s’habituent
Je pense que le fait que ça s’inscrive dans le contexte plus global du système des points de la coupe des 4 maisons aidait. En effet, quand une personne me rendait un résumé d’oeuvre qui valait 200 points pour un 20/20, c’était facile de comprendre que ça valait 250 points pour un 25/20.
Mais il reste cette petite incongruité de d’écrire 25/20. D’ailleurs, je ne l’écrivais quasiment jamais. J’écrivais juste la note. Petit détail qui évitait de blasphémer mon prof de mathématiques de prépa.
En réalité, je pense que ça serait plus simple de comprendre le principe avec des pourcentages. Les gens comprennent ce que veut dire 150%. Mieux que 30/20. Alors que c’est exactement la même donnée (si tu as un doute multiplie 30 et 20 par 5).
Probablement que ça faciliterait la compréhension du surplus mais ça freinerait la compréhension de la note. Mine de rien, il faut tenir compte du fait que les élèves ont passé des années à savoir reconnaître ce que veut dire 16/20 par exemple.
Alors qu’en pourcentage iels passeraient leur temps à faire la conversion.
Pareil, je me rappelle qu’en école de commerce y’avait des profs qui adoraient le système américain avec les lettres. Mais du coup c’était insupportable pour nous. On devait convertir en permanence pour savoir ce que voulait dire C+.
Une dernière vidéo de propagande ?
Quoi de mieux pour conclure que la vidéo bilan de la première promo :