J’avais dit que cette semaine c’était encore la trêve. Mais avoir envoyé les lois de l’école du recrutement m’a donné envie de continuer à écrire dessus.
Du coup voici quelques découvertes que j’y ai faites.
On commence avec le système des maisons d’Harry Potter est-il viable ?
Genèse de l’idée
On est à l’été 2018. Je suis en boîte de nuit.
Comme je suis obsédé par l’idée de monter cette école, ça devient un sujet de discussion. Me voilà donc en train d’expliquer à côté du bar en train de raconter à une américaine que mon rêve ce serait d’avoir des maisons comme dans Harry Potter.
Elle me répond que ça serait génial et que, d’ailleurs, ce n’est absolument pas propre à Harry Potter : elle est en train de faire Harvard et ils ont des maisons aussi.
Je tombe des nues. Poudlard est inspiré de Harvard ?
Le lendemain je vais dans Wikipédia. Je cherche à la page Harvard. Aucune trace de cette histoire de maisons. Je vais directement dans la page sur les maisons de Poudlard et je découvre que
Le système de répartition d'élèves dans des « maisons » à l'intérieur d'un établissement scolaire n'est pas spécifique à Poudlard puisque de nombreuses écoles du Royaume-Uni et d'Amérique l'utilisent. Ce système était d'ailleurs utilisé dans d'autres universités européennes durant le Moyen Âge, par exemple l'université de Louvain avait jusqu'en 1797, quatre pédagogies : les pédagogies du Lys, du Porc, du Château et du Faucon
Je retombe des nues.
Du coup, j’en suis sûr, j’aurais des maisons dans mon école.
Même si en vrai, je pense que je l’aurais fait sans ça. Parce que j’avais une autre intuition qui me poussait à vouloir instaurer un système de maison :
Le problème des travaux de groupe
J’ai détesté presque tous les travaux de groupe à l’école. Surtout quand j’étais en école de commerce. Parce c’était toujours pareil :
Un ou deux élèves qui ne font rien. Mais rien au point que ça crée des disputes qui affectent les amitiés.
Un·e ou deux élèves qui font tout. Parfois c’était moi.
Un ventre mou qui en fait juste assez pour pas que ça énerve. Parfois j’étais dedans.
Comme j’aimais les études, je ne suis jamais tombé dans le piège de ne pester que sur les élèves qui ne font rien. Je trouve ça tout aussi chiant l’élève qui prend tout le travail et ne laisse pas la place aux autres.
Or, mon analyse c’était que le problème vient du côté temporaire du groupe. Car, les élèves passagers clandestins ne peuvent pas le faire deux fois dans le même groupe. Ça fonctionne uniquement quand on peut changer de groupe à chaque projet/matière.
Par conséquent, je me suis dit que le fait d’attribuer une maison allait largement prévenir le problème.
Ou alors créer rapidement des disputes si fortes que ça devrait forcément se régler au début de l’année (puisqu’on ne peut pas changer de maison et qu’on le sait depuis le début).
L’autre solution aurait été d’abolir les travaux de groupe. Mais c’est dommage. Au final, ça procède d’une bonne idée : dans le monde du travail on doit souvent faire des “travaux de groupe”.
Quels noms pour les maisons ?
Je ne voulais pas garder les noms Gryffondor, Serdaigle, Poufsouffle et Serpentard. Je voulais que les noms aient un sens.
On a donc fait un brainstorming avec mes collègues. On est arrivé sur les noms de pâtes : tortellini, spaghetti, etc.
J’étais grave emballé. Heureusement un autre collègue nous a ramené à la raison.
J’ai donc été chercher plutôt des personnages historiques.
Au début j’avais : Ada Lovelace, Stanislas Petrov, James Randi et Rosa Parks.
Mais ça ne correspondait pas aux 4 maisons originales avec un trait principal : courage, amour de la connaissance, loyauté et ambition. Je voulais aussi avoir des personnes connues mais quasiment pas, pour que ça serve de moyen d’apprendre un truc dès la rentrée et que ça singularise le nom.
Donc Rosa Parks n’allait pas.
J’ai réfléchi encore et ça a donné :
Petrov était un soviétique qui était en charge de la riposte nucléaire. Il a littéralement sauvé le monde. Un jour les systèmes ont détecté une attaque nucléaire américaine. Mais il s’est dit que y’avait pas assez de missiles et que ça devait donc être un bug. C’était bien un bug. Évidemment, sa hiérarchie l’a pris pour un espion et il a été viré. Vrai comportement de Gryffondor.
Semmelweis était un docteur qui s’est rendu compte que quand on se lavait les mains après avoir touché des cadavres et avant de procéder à un accouchement, les femmes mourraient beaucoup moins pendant l’opération. Le problème c’est qu’on est avant la découverte des microbes. Donc il est incapable d’expliquer le rapport. Personne le croit. Il meurt dans un asile psychiatrique. On appelle désormais effet Semmelweis le mécanisme psychologique consistant à refuser des nouvelles preuves quand elles vont à l’encontre de ce qu’on a toujours cru avant. Typique Poufsouffle puisque même dans le livre cette maison n’a pas le crédit qu’elle mérite.
Lovelace était une mathématicienne. Elle a inventé le premier programme informatique, sur l’ancêtre de l’ordinateur. À une époque où les femmes n’avaient normalement pas accès aux connaissances mathématiques. Peut-on faire plus typique de Serdaigle ?
Corday était une révolutionnaire. Elle a poignardé Marat dans sa baignoire. Parce qu’elle voyait ce dernier comme le principal responsable de la Terreur et du bain de sang qui allait avec. Elle pense donc que tuer Marat permettra de sauver des vies. Elle a été arrêtée pour ce meurtre puis guillotinée 4 jours après. À son procès il y avait déjà un clivage. Entre les gens qui condamnaient sans réserve et ceux qui, comme elle, pensait qu’elle avait abattu un tyran. Tu comprends pourquoi elle représente les Serpentard.
La raison d’être profonde des maisons
Comme tu l’as compris, ce qui avait commencé comme une blague a fini par une conception poussée.
Ce qui m’a amené au point le plus important dans les maisons : ce qu’elles impliquent en terme de compétition.
J’ai fait deux ans de classe prépa. C’était trop compétitif à mon goût. J’ai fait trois ans d’école de commerce : ça ne l’était pas assez, on s’ennuyait, pour la première fois de ma vie je séchais des cours.
Alors je voulais trouver l’équilibre.
Et, quoi de mieux que le système des maisons ?
Oui, parce que dans Harry Potter, les maisons sont associées à des points. Chaque fois qu’un·e élève fait quelque chose de bien il gagne des points pour sa maison. Chaque fois qu’il ou elle fait une bêtise il ou elle perd des points pour sa maison.
J’ai immédiatement décidé que je n’enlèverai pas de points. Je trouve ça trop violent, limite humiliant.
En revanche, j’adore l’idée d’avoir des points en commun pour gagner le championnat annuel et être la meilleure maison.
Car, ça veut dire que les 4 maisons sont en compétition les unes contre les autres MAIS que les élèves d’une maison sont en collaboration les un·es avec les autres.
Voilà. L’équilibre.
La distribution des points
On l’a dit, chaque élève gagne des points pour sa maison. Le plus souvent par le biais d’un exercice noté.
Ce qui veut dire que je notais tous les exercices pour en déduire un nombre de points par maison.
Comment ça marche ?
J’attribuais par avance le nombre de points maximum en jeu. Par exemple admettons qu’un exercice vaille 300 points (évidemment plus l’exercice est dur ou long et plus il a de points).
Maintenons disons que chaque maison soit composée de 5 élèves. Chaque élève a eu une note sur 20 à l’exercice. J’ai donc une moyenne. Par exemple :
Corday : 18,6/20
Lovelace : 15/20
Semmelweis : 14,8/20
Petrov : 11,2/20
J’attribue 300 points à Corday. Puis, je fais 300 divisé par 18,6 pour avoir le coefficient. Ici ça fait 16,13. Ensuite je multiplie toutes les autres notes par ce coefficient. Ici ça donne :
Corday : 300
Lovelace : 242
Semmelweis : 239
Petrov : 181
Et c’est ici qu’intervient une dose d’arbitraire puisque je me sers de ça pour faire des ajouts ronds. Avec généralement une prime au premier. Donc ici ça serait :
Corday : +300
Lovelace : +200
Semmelweis : +200
Petrov : +100
Pourquoi pas 150 pour Petrov ? Parce qu’ils ont 3 points de moins que les deux du milieu. Or, les deux du milieu ont 3 points de moins que Corday et ça leur fait 100 points en moins. Donc je garde l’écart.
Mais bref. L’idée c’est que les points reflètent à peu près les écarts de notes.
Mais, Nicolas, ça n’a aucun sens de donner des points à tout le monde, ce serait plus simple de retirer 100 à tout le monde pour faire :
Corday : +200
Lovelace : +100
Semmelweis : +100
Petrov : +0
Oui. Tu as raison. Ça revient strictement au même. Ce qui compte c’est l’écart. Au début je faisais ça. Mais j’ai vite arrêté car les élèves de la maison la moins performante le vivait comme un ZÉRO.
Donc même si c’est mathématiquement pareil, ce n’est pas émotionnellement pareil. Les élèves avaient l’impression d’avoir fait l’exercice pour rien.
Et individuellement ?
Si tu es doué·e en mathématiques tu auras tout de suite remarqué que j’étais bien obligé de construire une note individuelle dans les cas où les exercices sont individuels, avant de pouvoir construire la moyenne.
Bien vu.
Je ne donnais pas spontanément la note à l’élève. Ce que je communiquais c’était les points de la maison.
Mais n’importe quel élève pouvait venir me demander sa note individuelle.
Bon… j’ai fini par systématiquement leur envoyer dans un tableau parce que TOUS les élèves me demandaient leurs notes, TOUT LE TEMPS.
Mais, n’empêche, le fait que le classement soit collectif faisait disparaître la notion de classement individuel. Un·e élève ne pouvait pas vraiment savoir qui était premier ou premiere de la classe. À moins de se faire chier à reprendre tous les tableaux de l’année un par un.
Il y a d’ailleurs un autre grand intérêt à ce système mais on en parlera plus en détail cette semaine quand on parlera de la notation.
La coupe des 4 maisons
Au début je voulais acheter une coupe Harry Potter mais il n’existe pas de coupe des 4 maisons, ce qui existe c’est la coupe du tournoi des 3 sorciers. Et c’est cher pour un truc pas super beau. J’ai donc décidé de faire faire la coupe par un artisan parisien (maison JP Leconte si un jour tu as le besoin, c’est un artisan super pro et qui s’adapte au budget que tu lui donnes).
La suite tu la devines… la maison qui a le plus de points à la fin de l’année remporte la coupe des 4 maisons.
Par exemple pour la promo 2019-2020 (qui s’est auto nommée la promo de l’indignité) c’est la maison Semmelweis qui a gagné d’une courte tête devant Corday :
Le bilan de l’expérience des maisons
Commençons parce qui a été une réussite selon moi :
Les élèves sont vraiment rentrés dans le jeu de la compétition
La plupart des groupes avaient une répartition équilibrée de la charge de travail
Quand ce n’était pas le cas, une grosse dispute avait lieu au début de l’année puis ça se réglait
Les élèves ont vraiment développé un fort sens d’appartenance à leur maison. Et ça marche même après leur passage : les élèves de Corday 2019 ont continué à aider les élèves de Corday 2020 par exemple.
Le côté ludique est resté presque toute l’année, ce qui fait que des élèves qui auraient été indifférents à des notes étaient en mode jeu pour les points
Et maintenant ce qui reste à améliorer :
Sur la fin, le côté ludique se perd un peu. La dernière semaine, la compétition devient trop intense, des élèves le prenait à coeur au point de pleurer ou d’avoir des comportements purement compétitifs (faire un exo uniquement pour les points et non plus pour apprendre). J’ai dû fermer la “cagnotte” les 3 derniers jours pour qu’on puisse savourer la semaine.
Chaque année j’ai eu 1 élève qui n’accrochait pas à l’école. Et, du coup, sabotait sa maison. Ça fait monter énormément la conflictualité au sein de la maison de l’élève qui se retrouve avec le côté élève fardeau que je détestais quand j’étais en école. Je n’ai pas trouvé de solution à ça pour le moment.
Je me suis rendu compte que le niveau de compétition dépendait de l’animateur. En effet, j’ai animé les deux premières promos, puis mon collègue en a animé deux. Et j’ai vu la différence : comme lui-même est moins fan de compétition et bien ça se répercute sur les élèves qui vont moins se prendre au jeu.
Chaque année, une maison abandonne au milieu. C’est d’ailleurs souvent la maison qui était premier au début, puis qui se repose sur ses lauriers si bien qu’elle finie par être larguée et donc démotivée. Cette maison c’est souvent Lovelace.
Le fait d’utiliser un test d’Harry Potter pour les répartir globalement selon des traits de personnalité crée des maisons homogènes. Alors, c’est marrant : on a des Lovelace toujours plein d’idées mais qui ont du mal à exécuter. Mais du coup ça fait une maison qui a toujours du mal à mener des projets concrets à bien. D’ailleurs, les deux premières années la maison qui a gagné était hétérogène. Parce que, comme je veux des maisons de même taille, je suis bien obligé d’avoir une maison qui mélange des “gryffondor”, des “serdaigle”, des “poufsouffle” et des “serpentard”. Et, cette maison fonctionne généralement mieux que les maisons “pures”.
Hahaha tellement pas étonnée par les tendances des Lovelace, j'aurais tellement rajouté une couche 😂