Suite au débrief d’hier, j’ai reçu un email qui m’a fendu le coeur :
Bonjour Nicolas
Quelle curiosité à s'attarder sur les 15% qui s'en plaignent alors que la majorité est dans la joie de Noël ? Pourquoi ne regarder que depuis le bout de sa lucarne absolument. Je n’arrive pas à comprendre.
Belle journée
Avant de continuer, je remercie la personne qui m’a écrit cet email de sincère curiosité. Je vais expliquer pourquoi c’est une pensée dévastatrice. Mais ça ne veut pas dire que je pense que les gens sont cruels ou malveillants. Ils ne s’en rendent tout simplement pas compte.
Car j’ai aussi reçu cet email d’une autre personne :
Cette année j'avais un souhait situation covid oblige : ,e pas vivre cette période avec anxiété. J’ai même voulu dresser une table pour deux. Même si j'étais au lit à 20h00, au moins je n’ai pas pleuré à Noël, pour une fois. Effectivement, c'était plus facile de dire que l'on préfère rester chez soi à cause de la crise sanitaire... c’est ce que j’ai fait.
Noël accentue les dépressions
Ma première réponse à la question du premier email “pourquoi s’y attarder” réside donc dans le deuxième email “je pleure à chaque Noël”.
Je pense qu’on devrait toujours s’attarder sur ce qui crée des douleurs intenses. Même si on n’est pas concerné. C’est ce qui fait l’honneur d’une société.
Sinon, avec le même raisonnement on a qu’à dire : le covid tue principalement les plus de 65 ans. Pourquoi on devrait arrêter tout le reste de la société pour les protéger ?
Mais, Nicolas, le covid est potentiellement mortel.
Oui. La dépression aussi. On estime que 20% des français passent par une dépression au cours de leur vie. Parmi ces 20% on estime que 5% essaieront de se suicider.
Concrètement, il y a chaque année 0,3% des hommes et 0,7% des femmes qui font une tentative de suicide. C’est un petit chiffre et un gros chiffre à la fois. Ça veut dire que sur 200 personnes que tu connais, il y en a probablement une qui a essayé de se suicider cette année.
Ce n’est pas négligeable.
Malheureusement, les personnes dépressives sont particulièrement exposées à l’effet négatif de Noël. Premièrement à cause du manque de lumière (mais ça c’est l’hiver), ensuite à cause de l’injonction au bonheur mais aussi à cause de la consommation de sucre et d’alcool.
Lorsqu'une personne développe des symptômes de dépression en hiver, son envie de consommer du sucre augmente. "Une caractéristique commune de la dépression hivernale est l'envie de sucre", commente le chercheur dans des propos rapportés par Science Daily. "Nous avons jusqu'à 30% de la population qui souffre d'au moins certains symptômes de la dépression hivernale, ce qui les oblige à avoir des envies de glucides". Ces envies risquent même d'être démultipliées lors des fêtes de fin d'année, "puisqu'ils seront confrontés aux sucreries des fêtes".
Pourtant, la consommation de sucre aggraverait ces symptômes. Si, au départ, elle améliore l'humeur, ses effets à plus long terme seraient bel et bien nocifs pour la santé mentale. "Lorsque nous consommons des sucreries, ils agissent comme une drogue", explique Ilardi. "Ils ont un effet immédiat sur l'humeur, mais à fortes doses et à plus long terme, ils peuvent avoir la conséquence paradoxale d'aggraver l'humeur, de faire prendre du poids et de réduire le bien-être".
Enfin, dans la même idée, les privations de sommeil de Noël sont également néfastes. Le sommeil est un des facteurs les plus importants pour l’équilibre de l’humeur. La dernière fois que j’ai fait une dépression, c’est en retrouvant un rythme de sommeil que je m’en suis sorti.
Je me suis rendu compte que Noël me poussait à décaler mon sommeil (comme les autres vacances) et que ça m’emmenait dans une spirale dépressive.
On néglige l’impact du sommeil. Cette année, pour la première fois, j’ai fait le lien et j’ai immédiatement mis en place un plan pour me lever avant 11h du matin, tout en dormant huit heures. Ce qui impose donc de ne plus se coucher à 6h du matin.
Voilà comment, cette année, j’ai réussi à enrayer la chute brutale de mon humeur pendant les vacances de Noël. Pour la première fois en 18 ans.
La pression sociale est inouïe
Pourquoi se préoccuper des 15% qui n’aiment pas Noël ? Parce que la pression sur eux est dingue. Je dis eux mais la pression est encore plus forte sur elles. Mon amie m’a dit :
Tu peux passer Noël tout seul, profites-en. Moi je peux pas : je suis célibataire et sans enfant à 30 ans. Si en plus je dis que je ne fais pas Noël, on va me tomber dessus. Je ne veux pas le fêter. Je n’ai qu’une envie : c’est de ne pas y aller. Mais je n’ai pas l’impression d’avoir le choix.
Comment on en arrive à s’infliger ça en tant que société ?
Est-ce qu’en lisant ce témoignage on peut vraiment penser “tant pis pour elle, on va pas s’embêter pour la minorité qui aime pas ça” ?
J’ai la chance d’être très indépendant. J’ai l’habitude d’aller à contre-courant des injonctions : je ne veux pas d’enfant, je ne suis pas monogame, je suis végétarien, je me suis libéré de la religion chrétienne, etc.
Pourtant, même moi j’ai eu du mal à briser le cercle de Noël. On m’a bombardé de la même question (bienveillante) : tu vas faire quoi à Noël ?
Je me suis appuyé sur le covid pour abréger cette discussion à chaque fois. J’avais enfin une excuse valable pour les autres. Un peu comme un mot sur le carnet de correspondance, à l’école. “Je peux pas, j’ai confinement, j’ai peur du covid”.
Ce n’est d’ailleurs pas un mensonge : je n’ai vu quasiment personne depuis le 29 octobre.
Pourtant je me suis senti obligé de rajouter “j’irai chez ma petite soeur”. Alors que je n’en avais pas envie.
Ce n’est que le jour même que j’ai répondu “non mais ma soeur finalement ça peut pas se faire”. Alors qu’elle m’avait proposé à nouveau. Il m’aurait suffi de lui dire oui.
La famille peut être un endroit dangereux et toxique
On ne veut pas l’admettre. On tient trop au mythe de la structure familiale. Je crois que c’est pourtant une des révélations les plus importantes à avoir : la famille est un des endroits sociaux les plus dangereux. Ce n’est pas forcément un endroit positif.
Ça peut l’être. D’ailleurs ma famille à moi est composée de personnes que je trouve incroyables. Mon père, ma mère, mes deux soeurs sont géniales.
Je sais, on doit écrire “géniaux”, mais c’est vraiment chelou.
Je ne peux pas en dire autant de ma famille étendue. Mais quand même : c’est une chance. Souvent quand je dis que la famille est dangereuse on croit que j’ai un souci avec mes parents. Mais pas du tout. Une fois on m’a écrit un commentaire qui finissait par :
Bien à vous, en espérant que vous pourrez vous réconcilier avec vos parents.
Ce à quoi j’ai répondu :
Je suis en très bons termes avec mes parents. Ils m’ont baigné d’amour.
Ma propre famille n’est pas le souci. En revanche, depuis que je suis jeune j’ai l’intuition du danger de la famille. Notamment parce que je voyais la mère de ma mère. Mais pas que. J’ai toujours senti qu’il y avait un danger à considérer comme acquis qu’une relation due au hasard était nécessairement épanouissante.
Pourquoi je dis “hasard” ? Parce qu’on choisit ses amis mais on ne choisit pas sa famille. On peut donc se retrouver frère d’un pervers narcissique, enfant d’un tyran ou petit-fils d’un pédophile.
C’est ce hasard qui fait que la famille étendue est souvent le seul endroit où on fréquentes des gens à ce point loin de nos valeurs. Tu sais ? Le fameux oncle raciste. Mais ça c’est la caricature. Demande à un végétarien ce qu’il pense de Noël en famille. Il te racontera la pression exercée qui gâche le repas.
Ou simplement, demande à une meuf de 30 ans, sans enfant… la pression qui s’exerce sur elle.
J’ai schématisé, mais souvent c’est entre les deux : on a un rapport complexe à sa famille. Des choses qu’on adore, des choses qu’on déteste.
Aidons-nous les uns les autres
On raconte que l’esprit de Noël est l’entraide. D’ailleurs j’ai beaucoup aimé ce commentaire :
Cependant, il y a une dimension que tu ne mentionnes pas et qui pour moi fait pencher la balance du bon côté : l'esprit de Noël (je sens que certains vont crier). Noël est encore pour beaucoup le moment de l'année où l'on fait des dons (d'argent, de son temps), ou l'on laisse passer plus de choses que d'habitude, où l'on fait preuve de plus de tolérance ou de solidarité.
J'aimerais bien avoir le résultat du sondage : "êtes vous plus tolérant/altruiste/faites vous preuve d'un comportement différent envers les autres pendant la période de Noël ?"
Au début j’ai pensé : encore le déni des fans de Noël. Mais la seconde d’après j’ai dû me rendre à l’évidence : je suis effectivement plus altruiste à Noël. J’ai beau être réfractaire, je donne plus spontanément de l’argent à des clochards (et j’en donne plus que d’habitude). Je fais un sourire de plus aux livreurs, aux chauffeurs Uber.
Donc il est probable que l’entraide augmente durant cette période. Il faudrait faire le sondage.
Ceci étant dit… comment aider tes proches qui vivent la détresse de Noël ? Je dis bien “tes proches”. J’ai conscience que tu ne vas pas t’embarrasser d’un protocole aussi lourd pour des simples connaissances.
Voilà ma proposition :
1) Commence par demander si la personne aime Noël. C’est simple. Tu le fais une fois dans vos vies et ensuite c’est bon. Si tu tiens vraiment à tes proches, essaie d’identifier ceux et celles qui vivent cette détresse de Noël. J’ai deux types de proches : ceux qui m’ont souhaité Joyeux Noël et celles qui m’ont demandé, inquiètes, comment j’allais.
Parfois on me demande pourquoi j’utilise souvent le féminin en parlant de mes proches. La réponse est aussi simple que la question : la majorité de mes proches sont des femmes. Et, ici en l’occurrence c’est une observation : les gens qui m’ont souhaité Joyeux Noël sont tous des hommes.
2) Ne lui mets pas la pression pour faire un truc mais laisse une porte ouverte. J’ai eu la chance d’avoir des personnes qui m’ont tendu la main quand j’avais peur d’être seul à Noël. J’avais beau voir l’injonction : ma peur était plus grande que mon envie de m’y échapper. Quatre amies m’ont spontanément invité dans leur famille durant les 12 dernières années. Ma gratitude pour elles est infinie. Car elles ne m’ont pas juste invité, elles ont fait en sorte que tout soit aménagé pour que j’y sois bien.
3) Mais ne lui mets pas la pression. J’insiste. Quand on m’a tendu la main j’étais hésitant. Elles ont rajouté que ça leur faisait plaisir et que ça devait pas me gêner. C’est ce qu’il faut faire. C’est très différent de dire “non mais c’est Noël, tu dois faire un truc”.
4) Si vous êtes assez proches, explore délicatement la raison. Il y a souvent une raison principale de détester Noël. Moi par exemple, je l’ai probablement hérité de ma mère. J’ai compris vers 18 ans que je rendais ma mère malheureuse par égoïsme de fêter Noël.
D’ailleurs, je crois qu’elle ne me l’avait jamais dit explicitement (ou plutôt pas à un moment où je pouvais écouter), avant cette année :
J'ai jamais aimé les fêtes de Noël, maic cette année je refuse les angoisses que génère cette période de l'année. Alors j'ai fait un semblant....
Parfois, la réponse est “ça me rappelle la mort de quelqu’un durant cette période”. Donc prépare-toi à avoir une conversation difficile.
5) Attention aux simulations. Stratégie de survie mentale : beaucoup d’entre nous vont faire semblant. Pour ne pas se prendre de remarque dans la tronche. À toi d’essayer de voir au-delà de ça.
6) Ne nie pas l’histoire religieuse de Noël. Pour plein de raisons, le fait que Noël soit une injonction chrétienne peut indisposer tes proches. Que ce soit parce qu’ils sont d’une autre religion ou qu’ils soient justement d’anciens chrétiens devenus athées. Peu de gens m’écoutent quand je leur dis que je souhaite arrêter Noël parce que ça me rappelle quand j’étais chrétien. Pourtant c’est un fait non négligeable. Ça se sent à la violence de l’injonction. Seules les religions créent des impératifs aussi puissants.
7) Écoute vraiment. Je me rends compte en l’écrivant que ma mère m’a dit plein de fois qu’elle n’aimait pas Noël. Entre mes 14 et mes 17 ans. Mais ça me paraissait tellement invraisemblable que je n’ai pas écouté. Ne fais pas cette erreur : si quelqu’un ose te confier ça, il faut l’accepter. Ce n’est pas facile à dire sachant toute la pression sociale. Ne te bouche pas les oreilles parce que tu as peur que ça gâche ta fête. Après tout… je croyais que l’esprit de Noël c’était l’altruisme ?
8) Accepte les émotions négatives. Les émotions négatives ne sont pas un drame. Elles nous rendent vivants. C’est une folie de vouloir les nier, même le temps d’une soirée. Deviens cette oreille sur laquelle on peut compter, même quand on a besoin de “gâcher l’ambiance”.
Voilà. J’espère que ce guide pourra t’aider à rendre le Noël vraiment plus “joyeux” pour une partie de tes proches.
Joyeux Noël à vous qui l’aimez. Bon courage à vous qui le subissez.
D’ailleurs, si tu le subis, c’est peut-être l’occasion de le partager à quelqu’un à qui tu n’a jamais osé dire que tu n’aimais pas Noël. Ou qui ne l’a jamais entendu :
Merci d'avoir choisi d'écrire cet article. Très juste.
1/ Je confirme, la galère du repas de Noël quand t'es végétarien... J'ai même finalement mangé du poisson pour échapper au classique débat. C'est pas la première fois, du coup je suis fléxitarien en fait, principalement à cause de la pression sociale.
2/Ma compagne, c'est le réveillon du 31 décembre qu'elle déteste elle. Elle a souvent fait Noël et 31 seule avec ses parents, car bordel familiale, mais le 31 c'est le pire. L'apogée de l'angoisse arrive au décompte. Elle sait pas pourquoi, ça devrait s'analyser qu'elle dit ^^ Elle voit pas tant la célébration de la nouvelle année que l'obligation, l'injonction de faire "le deuil" de celle passée.