Comment faire une formation 5 fois plus efficace que la moyenne ?
Avant j’envisageais mon rôle de formateur comme celui d’une étincelle. Je faisais tout mon possible pour donner l’amour de la matière que j’enseigne. Ou, mieux encore, je redonnais le goût à l’apprentissage en général.
Rien ne me faisait plus plaisir qu’un·e élève qui me disait, au bout d’un an en alternance avec moi : j’ai trop envie d’apprendre d’autres trucs, maintenant.
Or, pour faire cette étincelle il fallait éviter l’écueil principal : l’ennui.
J’ai une amie qui suit une formation en ce moment même et qui m’a envoyé ça ce matin :
Par contre là, la meuf elle lit son power point
Je comprends pas le concept
Regarde la tête du diapo
[Elle m’envoie la photo d’un slide qui est un grand bloc de texte]
Quel est l’intérêt ?
Dans ce cas là file moi le livre
Et ça me fait de la peine hein car l’intervenante est toute mimi
Si tu ennuies les apprenant·es, que le temps est long avec toi alors l’apprentissage sera un échec.
Alors j’ai appris toutes les techniques pour ne pas ennuyer. Ma devise principale était :
L’enseignement doit être un divertissement.
Je voulais créer des moments où les gens sont aussi enthousiastes après la formation que s’ils avaient regardé leur saga de films préférée.
Je voyais mon rôle comme l’étincelle qui ouvre le chemin d’apprentissage. La première brique nécessaire. Et ensuite… c’est aux gens de se débrouiller pour faire le reste du chemin.
En moyenne, 15% des gens appliquent avec succès ce qu’ils ont vu en formation.
Mais ça m’allait !
Les 4 niveaux d’efficacité
On l’a vu, si les personnes s’ennuient alors la formation sera un échec. Mais une formation où on fait que kiffer n’est pas une formation c’est uniquement un divertissement.
Il y a 4 niveaux ensuite pour l’efficacité.
Les connaissances
Les savoir-faire en contexte académique
La capacité à faire dans les conditions réelles
L’habitude ancrée qui amène des résultats.
Le problème c’est qu’il existe un énorme fossé. Ce fossé il est entre le niveau 2 et le niveau 3, c’est-à-dire entre les connaissances et les savoir-faire académiques d’un côté et les comportements en conditions réelles de l’autre. C’est le grand fossé de l’apprentissage.
Ce fossé est si violent qu’il explique pourquoi seulement 15% des gens appliquent une formation avec succès. Avant je pensais que c’était parce qu’ils n’essayaient même pas.
Mais non : il n’y a que 15% des gens qui n’essaient pas. Ça nous laisse 70% des gens qui essaient d’appliquer et échouent.
70% des gens se cassent les dents sur le grand fossé de l’apprentissage.
Comment les aider à traverser le grand fossé ?
Ne sous-estimons pas l’importance d’aider les gens à avoir les bases. Sans les bases de connaissances ils ne pourront même pas franchir le grand fossé.
Mais il n’empêche que c’est frustrant.
Peut-on aider les gens qu’on forme à appliquer?
Avant je disais que non. Que ce n’était pas mon rôle, que c’était leur rôle. Chaque personne s’auto-discipline.
Puis j’ai découvert les travaux de Kirkpatrick et Brinkerhoff qui expliquent comment le formateur ou la formatrice peut aider.
Je dis bien aider. Car l’application de l’apprentissage, in fine, est toujours de la responsabilité de l’apprenant·e et surtout de son manager si y’en a un.
Savoir à l’entraînement versus savoir sur le terrain
Pendant longtemps j’ai eu les connaissances sur la gestion des finances persos. J’étais capable de faire les exercices dans les livres et formation. Mais je n’arrivais pas à appliquer. Et ce grand fossé chez moi n’avait rien à voir avec une erreur au niveau de l’assimilation des connaissances.
De la même manière que savoir que fumer tue ne suffit jamais à arrêter de fumer. Y’a une question émotionnelle.
Solution #1 : Passer moins de temps sur les connaissances
On a tendance à surestimer le niveau de connaissances qu’il faut à nos élèves pour commencer à progresser depuis leur niveau 0.
Bien souvent, on les arrose de choses qu’ils n’ont jamais eu l’occasion d’appliquer et qu’ils n’appliqueront pas avant des mois. Par exemple, si je te donne un cours sur les finances persos, j’aurais la tentation de te parler des ETF pour investir. Alors, qu’en réalité, avant d’investir il faut se construire un fond de secours. Ce fond de secours peut prendre plusieurs mois à construire. Donc à quoi sert de passer trop de temps à te parler d’investissement ?
En revanche… on a aussi tendance à sous-estimer l’importance cruciale de certaines connaissances. J’appelle ça le secret de ta discipline. Le secret c’est un truc qui résume le truc principal que les débutant·es croient dur comme fer mais qui est faux.
Par exemple, en entretien de recrutement c’est : il faut recruter une personne avec qui je sens que je pourrais aller boire un café.
La réalité c’est que c’est le pire moyen de se faire escroquer par une personne douée en intelligence émotionnelle mais pas dans son métier.
Solution #2 : Passer plus de temps sur les exos
Tout est dit, non ?
Solution #3 : Proposer des exos qui ressemblent le plus possible au contexte réel
Puisque y’a un fossé entre l’entraînement en contexte académique et la pratique sur le terrain, il faut faire en sorte que l’entraînement ressemble le plus possible au terrain. Ce n’est pas toujours possible de simuler le terrain, mais il faut s’en rapprocher.
L’exercice doit être un projet.
Solution #4 : Il faut du temps entre chaque session
Le format le plus répandu dans le monde de la formation (la journée en présentiel) est aussi le pire format pour apprendre.
Parce que ça ne laisse aucun temps pour digérer entre les concepts.
Mais surtout ça ne laisse aucun temps pour aller essayer de franchir le grand fossé de l’apprentissage est revenir.
Imagine que j’explique à des élèves qu’en finances persos il faut avoir deux cartes bleues différentes. Une pour les loisirs, une pour les charges fixes.
Si y’a une semaine de battement entre ce cours et le suivant, j’aurais des personnes qui auront eu le temps d’essayer et qui me diront : en fait je n’arrive pas à me décider sur quelle banque choisir ?
Ou alors qui vont avoir une motivation à le faire pour le prochain cours afin de venir fièrement me dire c’est bon Nicolas, j’ai une deuxième carte bleue ! Regarde, je l’ai amenée !
Je pourrais également demander (avec douceur) pourquoi les personnes qui ne l’ont pas fait, ne l’ont pas fait.
Solution #5 : N’accepter que des personnes qui ont le souci MAINTENANT
Les personnes qui viennent pour leur culture générale ou pour au cas où un jour elles auront besoin de la connaissance, risque de se heurter au grand fossé de l’apprentissage.
On dit qu’il faut appliquer ce qu’on apprend moins de 5 semaines après la formation si on veut que ça s’ancre. Après, on risque d’avoir trop oublié.
Donc si tu as des élèves qui n’ont pas encore le problème… ils et elles risquent fort de ne pas appliquer. Car quand le besoin arrivera, ce sera trop longtemps après.
C’est ok de ne pas passer le grand fossé
Attention, je ne dis pas que les formations qui ne donnent que la connaissances sont inutiles. Loin de là. Sinon il faudrait dire que les livres sont inutiles aussi.
Je dis qu’on peut aller plus loin que ça. Mais du coup… ça dépend du budget et du temps d’investissement que tu as de ton côté ET du côté des élèves.
On en reparle demain.