Cette semaine je vais te résumer le contenu d’un livre qui s’appelle :
Quit - La stratégie des leaders : l'art de renoncer au bon moment
Je t’en ai déjà parlé vite fait cet été. Mais sans rentrer en profondeur.
J’ai adoré ce livre car il met des mots sur un truc qui m’a toujours étonné : à quel point les gens sacralisent la persévérance et minimisent les bienfaits de l’abandon.
Les taxis font l’inverse de ce qu’il faut pour gagner de l’argent
Aux USA, les taxis sont des indépendants. Ils n’ont pas de salaire. Et, contrairement aux taxis français, ils ont un système de location de la licence.
Conséquence : ils louent le véhicule pour douze heures de la journée.
Bien entendu, ils ne travaillent pas tous les jours pendant douze heures. Mais c’est le maximum de ce qu’ils peuvent faire.
On pourrait donc s’attendre à ce que les chauffeurs de taxis essaient de choisir les heures où y’a beaucoup de demande.
Car… tourner pendant une heure sans client est le pire scénario : tu ne te reposes pas, et tu ne gagnes rien non plus.
Malheureusement, ce n’est pas ce qu’on observe :
Le scientifique Colin Camerer, professeur à Caltech et pionnier de la neuroéconomie, a étudié ce comportement avec un groupe exceptionnel de collaborateurs, parmi lesquels George Loewenstein, Linda Babcock et Richard Thaler.
Les chercheurs ont collationné les feuilles de route de près de deux mille chauffeurs de taxi new-yorkais. Ils ont découvert que ces derniers ne prennent pas spécialement de bonnes décisions en ce qui concerne les heures effectuées.
Ils commettent des erreurs dans les deux sens, soit en se retirant trop tôt quand les conditions du marché sont bonnes, soit en persévérant trop longtemps quand elles sont mauvaises.
En l’occurrence, au lieu de maximiser les heures effectuées pendant les périodes où il y avait le plus de courses à effectuer et de minimiser leur temps improductif, les chauffeurs étudiés avaient tendance à rentrer tôt alors que leurs services étaient très demandés.
Quand les courses étaient plus rares, ils travaillaient douze heures durant, s’épuisant à tourner au volant de leur taxi, pour un gain peu élevé.
Combien coûte ce comportement ?
Camerer a calculé qu’ils gagneraient 15 % de plus s’ils travaillaient exactement le même nombre d’heures, mais répartissaient celles-ci en fonction de la demande.
Et même s’ils choisissaient une heuristique aléatoire, en travaillant par exemple le même nombre d’heures chaque jour, quelles que soient les conditions, ils empocheraient 8 % de revenu en plus qu’avec la stratégie utilisée.
Si les chauffeurs de taxi étaient plus doués pour déterminer quand laisser tomber et quand persévérer, ils parviendraient plus rapidement à leur but – tirer le plus d’argent possible de leur taxi : 8 % à 15 % plus vite. De fait, les chauffeurs de l’étude prenaient des décisions qui leur causaient du tort dans les deux cas, raccrochant trop vite et s’accrochant trop longtemps.
En d’autres termes, les taxis gagneraient 8% de plus en fixant leurs heures de travail sans utiliser les informations qu’ils glanent en conduisant.
C’est dire à quel point nous sommes très mauvais·es en prise de décision !
Nous sommes moins doué·es qu'un tirage au sort.
Et… ils gagneraient 15% de plus en suivant cette règle : j’arrête de m’obstiner pendant les heures creuses et je ne m’arrête pas quand y’a une heure pleine.
Mais alors… quelle est la technique de décision des taxis ?
Comment arrivent-ils à prendre de si mauvaises décisions ? Quelle est leur logique ?
Et bien c’est simple : les chauffeurs se fixent un objectif de revenu quotidien.
C’est fou parce que c’est l’inverse de ce qu’il faut faire. On valorise beaucoup la pensée par objectifs alors que parfois :
Les objectifs vont diminuer ta performance
Je l’avais compris avec un livre qui s’appelle Go for No où il expliquait le danger de se fixer un objectif quand on vend quelque chose. Et bien là c’est à peu près le même cas de figure.
En effet… imagine que tu te fixes un objectif de 200€ par jour. Il va se passer quoi ?
Lundi… il y a personne… tu continues, tu continues, tu roules pendant 10 heures et tu finis par atteindre les 200€.
Mardi… c’est la folie, y’a des client·es de partout, tu fais tes 200€ en 5 heures ! Alors tu vas te reposer pour la journée.
Tu as travaillé 14 heures pour 400€.
Maintenant imagine que tu commences le lundi, tu vois que c’est galère, alors tu vas te reposer au bout de la troisième heure. Et donc tu fais 60€ le lundi.
Le lendemain c’est la folie, alors tu en profites pour faire 10 heures et donc tu fais 400€.
Au final tu as travaillé 13 heures pour 460€.
Le comportement du casino
Au final, notre problème c’est qu’on a tendance à faire comme au casino : quand on est sur une pente de gains on abandonne trop vite. Parfois parce qu’on a peur de perdre ce qu’on a gagné, parfois parce qu’on a mis un objectif fixe alors qu’on est sur un phénomène aléatoire.
Mais quand on est sur une pente de perte, on abandonne trop lentement. Parce qu’on se dit qu’abandonner ça sera officialiser la perte. Alors on s’enfonce encore et encore.
Tu sais c’est un peu cet effet du bus que tu attends encore et encore, et plus tu l’attends plus c’est dur d’accepter qu’en fait ça ne vaut plus le coup de l’attendre.
J’ai observé ce phénomène très régulièrement au poker. Quand ils se voyaient offrir un prétexte de quitter le jeu alors qu’ils gagnaient, la plupart des joueurs se dépêchaient de ramasser leurs jetons et d’aller encaisser leurs gains.
Et il est tout aussi vrai que lorsqu’ils perdaient, ils demeuraient collés sur leur siège. J’ai souvent vu des joueurs par ailleurs talentueux perdre de l’argent et refuser de quitter la partie lorsqu’ils étaient ivres, fatigués, énervés ou simplement incapables de bien jouer.
On persévère quand on devrait abandonner. On abandonne quand on devrait persévérer
Nous avons énormément d’oeuvres qui nous disent qu’il faut apprendre à persévérer et quasiment aucune qui nous disent qu’il faut apprendre à abandonner.
C’est dramatique. Parce qu’abandonner au bon moment permet de limiter les pertes. Or, limiter les pertes c’est aussi important (si ce n’est plus) que d’optimiser les gains.
Parce que… si tu perds trop… à un moment tu ne peux plus jouer la partie.
Mais, malheureusement…
Abandonner au bon moment donne l’impression d’abandonner trop tôt
Mais ça fait déjà beaucoup à digérer. On en parle demain.
La source
Comme je te le disais plus haut, tous les extraits proviennent du livre d’Annie Duke : Quit. Plus précisément du chapitre 3 : S’en aller ou rester ?