Bienvenue dans ce dernier jour avec un couplet de Booba.
Pour finir, on va essayer de faire le lien entre ce couplet et d’autres. Que ce soit au sein du même album ou bien dans des albums parus dix ans après. Pour garder un texte de taille raisonnable, je vais me concentrer uniquement sur son thème de prédilection : le racisme.
D’ailleurs il a façonné une bonne partie de ma pensée. Car c’est un propos rare, sans larmes. Déterminé. Puissant. Aujourd’hui on dirait “empouvoirant”.
J’aurais été une personne différente si je n’avais pas pu exorciser la haine et la douleur qui suintent quand on découvre la traite négrière.
La clé de lecture de la mort
Dans la chanson du couplet qu’on voit depuis une semaine on a :
Monsieur l’agent c’est qu’un malentendu, paraît que ça a tiré mais j’ai rien entendu
J’ai la voix grave car on m’a pendu
Perturbant. Tant qu’on a pas la clé. Clé que je vais découvrir 3 ou 4 ans après ma première écoute : en fait à chaque fois que Booba dit qu’il est mort, il fait référence au racisme.
Par exemple : aujourd’hui j’suis àl, hier j’suis mort de 41 balles
=> L’histoire d’Amadou Diallo abattu par la police new-yorkaise de 41 balles alors qu’il était désarmé.
Ou encore : on m’a déjà tué deux fois, une fois à Memphis, une fois à Harlem
=> Martin Luther King est mort à Memphis, Malcom X à Harlem
Ou bien : crucifié sur une caravelle sous l’œil éternel d'une étoile filante
=> Ici la référence est évidente : le commerce triangulaire.
Une fois qu’on comprend cette clé de lecture, on peut comprendre “j’ai la voix grave car on m’a pendu”.
Phrase qui me paraissait énigmatique à l’époque mais qui maintenant m’apparaît limpide. Surtout qu’il a eu le temps de la redire différemment plusieurs fois :
Sisi, ambiance pendu, ambiance Mississippi
Énervé dans le 92 izi car fouetté dans le Mississipi
Surtout que dans la même chanson il dit :
J'me présente, j'assure, B2O, mort à la suite de mes blessures
La blessure indélébile
C’est B2O, j’ai 423 ans
(23 ans au moment où il écrit + les 400 ans d’esclavages)
Cette blessure, c’est elle qui suinte, qui dégouline de pus au travers de toute son oeuvre. Il le rappelle tout au long de sa discographie.
Sa plume est trempée dans du sang d’esclave :
Avec du sang d’esclave j’écris cette missive, mon blase gravé sur le missile
Ses larmes ne peuvent plus s’arrêter :
À 10 ans, j'ai vu Gorée depuis mes larmes sont éternelles
Qui est d’ailleurs juste après le vers sur Malcom X et Martin Luther King (Memphis et Harlem). Pour rappel : Gorée est une île sénégalaise d’où partaient les bateaux d’esclaves et qui aujourd’hui a dressé un mémorial où on peut se recueillir.
Et d’ailleurs, en parlant de Gorée, voici une strophe qui va faire le lien avec la prochaine partie :
Et à l'école ils m'disaient d'lire, voulaient m'enseigner qu'j'étais libre
Va t'faire niquer toi et tes livres
On s'débrouille des négros des crouilles
Des couilles, des embrouilles et trop de numéros d'écrous, écoute
On m'a détruit, déporté de Gorée
Pendant que les truies font des portées de porcs
Ici, les porcs c’est la police. On a donc un lien entre l’esclavage, l’école et la police. Lien qui est omniprésent dans sa discographie.
Le rôle de l’école et de la police
On a souvent le lien entre République, racisme, école et police. Comme un carré gagnant.
Dans notre couplet on a la figure crue avec Marianne qui sous-entend que Booba est supérieur à la République. Mais pourquoi ? Parce que le racisme.
Il l’exprime de manière ultra-violente dans l’introduction de l’album Mauvais Oeil :
Y a bien longtemps, on était rois
Aujourd'hui c'est niqué
Mais on va pas leur servir de proie
Combattre on sait faire que ça
Et on repartira avec leur argent, leur sang et leurs pes-sa
Au-dessus de leurs lois
Puisqu'on nous a toujours reniés
Nous on y croit
Les derniers seront les premiers
On peut pas faire plus explicite. Ils nous voient comme des derniers, mais en vrai on est au-dessus de leur lois et à la fin on sera au-dessus tout court.
Idée qu’on retrouvera encore dans Ouest Side :
Crucifié sur une caravelle sous l’œil éternel d'une étoile filante
Dans ce capharnaüm, derniers seront les vainqueurs
Ou même dans l’album suivant :
On se croit au dessus des lois, eux, se croient au-dessus des nôtres
En ce qui concerne le rôle de l’école :
Nos réalités sont leurs cauchemars
Ils veulent éduquer nos fils, applaudissent les colons dans leurs poèmes
Flingue dans la bouche du prof, poing levé à la Jessie Owens
J’suis allergique au shmits, pas au pollen
Les shmits, c’est la police. On retrouve donc la juxtaposition école, police qui revient super souvent. Par exemple avec un jeu de mot sur le diplôme du bac et la division policière du même nom :
Tous plus intelligents que le plus haut-gradé de la BAC
Ou encore :
Je suis Chaka Zulu contre les colons
Trop tôt contre l'école l'atterrissage forcé
Ou, enfin, une de mes préférées :
On a le blues des esclaves, 1m92 sans qu'on me cultive.
En clair : on a grandi sans avoir besoin des références de l’école. Il s’est cultivé lui-même.
Le parallèle avec le nazisme
Booba est régulièrement la cible d’antisémitisme. Parce qu’il s’appelle en réalité Elie Yaffa. Un prénom et un nom juifs. Il reçoit régulièrement des attaques aussi bien de la part de personnes lambdas, mais aussi de la part de rappeurs.
En tout cas, il est certain que Booba met souvent l’antisémitisme et le racisme en parallèle, sans jamais en faire une obsession comme un Dieudonné :
Pour qu’on nous parle du colon comme on nous a parlé du SS
Les millions d’coups de fouet, du champ de coton à la tess’
Ou encore :
J’voulais savoir pourquoi l’Afrique vit malement
Du CP à la seconde ils m’parlent d’la Joconde et des Allemands
Ou bien :
Moteur noir sur chevaux allemands, ma rage est coloniale
Et même si parfois il se laisse aller à un :
J'arrête pas de pleurer mon peuple, la haine ça se cultive
J'ai pas le choix, tu veux que je te dise : l'esclavage, pire que la Shoah
Il met le point final à cette opposition dans l’album Futur :
On se vengera comme victime de l'esclavage et de la Shoah
Tout est dit.
Que retenir de tout ça ?
Déjà que je détestais le commentaire de texte quand j’étais à l’école, mais que là c’était amusant à faire. J’ai moi-même découvert des choses. Parce qu’être obligé de vous livrer une analyse m’a obligé à explorer des énigmes que je n’avais jamais réussi à résoudre en dix ans. Par exemple, j’étais intrigué par le kho, le timal… mais je n’avais pas fait le lien final du commerce triangulaire.
Ou alors je voyais bien qu’on citait le film La Haine, mais ça s’arrêtait là. D’ailleurs c’est en écoutant cette chanson que quelqu’un m’a dit “c’est marrant la référence à La Haine” et j’ai répondu “c’est quoi ?”. Cette personne m’a alors immédiatement montré le film.
J’espère avoir pu te montrer pourquoi les amoureux de rap sont à ce point gagas devant Booba. Pourquoi il est dans tous les classements, tous les tops sérieux.
C’est parce qu’il livre une écriture cryptique, dense et qui passionne. Quand tu mets 10 ans à comprendre un texte, tu t’y attaches forcément un peu.
N’hésite pas à me dire ce que tu en as pensé ?
Notamment est-ce que tu aurais préféré une semaine sur un album entier plutôt que sur une seule chanson. Rétrospectivement, je me dis que ça aurait été plus efficace dans un seul article plutôt qu’une série.
Sur ce, je te dis à Lundi… pour reprendre le cours normal de l’Atelier.
Index de la semaine
Épisode 1 : Mon couplet préféré de tous les temps
Épisode 2 : Une écriture cinématographique
Épisode 3 : Un je puissant mais un faible nous
Épisode 4 : L’obsession de la sonorité
PS : si tu as aimé ce format…
Tu apprécieras forcément cette analyse de la poésie de Booba, à travers le morceau ma définition.
Merci pour cette semaine spéciale Booba !
Ravie d’avoir pu découvrir ces explications de texte😊👌🏻