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Bienvenue dans ce troisième jour avec un couplet de Booba.
La dernière fois on a parlé sensoriel. Cette fois-ci, je vais te paraphraser une analyse de mon amie prof de lettres.
On va se pencher, cette fois, sur la dynamique du texte. Notamment à travers les pronoms. Le “je” contre le “nous”.
Mais avant, revoici le texte brut :
Ils veulent tous percer, trop peu aiguisent leurs lames
Maitrisent leurs armes, trop déguisent leur âme
Au dessus des lois, violent à ma guise kho
Que Marianne me suce la bite qu'elle ne me fasse pas la bise kho
J'écris mes textes les doigts dans la prise
Petit, cherche pas à savoir si j'prie ou si j'tise
Trop frelon, 400 ans c'est trop long
C'est pas la mer qui prend l'Homme, c'est Christophe Colomb
Comme dans le cul à J-Lo, ces fils de putains nous l'ont mises kho
Quand la première galère a pris l'eau
J'atteste qu'il est unique, que ma race sert de crash-test
Déraciné, ma terre est sous mes baskets
Hein, le sujet me tient à cœur
Mets du coco dans la fusée, j'emmène mes frères et sœurs
Dépouillés en toute impunité, trop abusés kho
Alors on fait du fric sale essaie de s'amuser
J'ai la nuque du rap sous mon aisselle
Le biz est plié on l'étouffe allez tous vous rhabiller
Monte à bord du B-52, touche pas au klaxon
J'consomme, pose mon 16 avant que le me-se m'assomme
Mon son n'a rien de banal
Négro j'ai peur de venir à ta radio, glisser sur une peau d'banane
M'ouvrir le crâne sur le bitume, Timal
L'important c'est pas la chute, mais les thunes qu'il y a au final
Le “nous” est impuissant
Alors que tout le rap de Booba est une quête de puissance, on note à quel point il crie l’impuissance dès qu’il s’inscrit dans un collectif. Les Noirs. Les banlieusards.
Dès qu’il dit le mot “nous” ou “on”, le “nous” pue la défaite. Que ce soit face à la colonisation :
C’est pas la mer qui prend l'Homme, c'est Christophe Colomb
Comme dans le cul à J-Lo, ces fils de putains nous l'ont mise kho
Ma race sert de crash-test
Ou encore :
Dépouillés en toute impunité, trop abusés kho
Puis les descendants :
On fait du fric sale essaie de s'amuser
Le “je” est surpuissant
En revanche, là où le “nous” l’affaiblit, le “je” étale sa puissance. Comme s’il fallait gommer l’humiliation. Comme s’il fallait surcompenser.
Quand Booba utilise le “je” c’est pour se glorifier. Dire comment il est puissant.
Il est puissant dans l’espace, toujours surélevé, on l’a vu hier.
La fusée, le B-52, la nuque du rap sous l’aisselle, etc.
Il est également puissant dans le langage.
Il y a plusieurs formules qui sont des ordres :
Cherche pas à savoir / Mets du coco dans la fusée / Monte à bord du B-52 / Touche pas au klaxon
Mais plus crûment, une domination de son corps.
Par un acte sexuel : Que Marianne me suce la bite
Par le combat physique : J’ai la nuque du rap sous mon aisselle
Par une bêtise d’enfant : Mes doigts dans la prise
Mais malgré ça, il s’écrase…
On l’a vu : tout ça finit sur une chute. Pourquoi ? Quelle est cette chute ?
Si la chanson parle de racisme et qu’il insiste le sujet me tient à coeur… alors la chute ne peut pas uniquement parler d’intégrité artistique comme je l’ai analysé le premier jour.
Puisque les deux thèmes principaux sont le racisme et l’intégrité artistique, serait-il possible que la conclusion soit un savant mélange des deux thèmes ?
Je pense.
Mon son n'a rien de banal
Négro j'ai peur de venir à ta radio, glisser sur une peau d'banane
M'ouvrir le crâne sur le bitume, Timal
L'important c'est pas la chute, mais les thunes qu'il y a au final
D’un côté on peut comprendre qu’il a peur de dénaturer son art qui n’est pas banal. Aller à la radio c’est aller dans un piège, une peau de banane, qui risque de le mettre en porte-à-faux avec les siens, avec la rue, le bitume. Mais il se console en se disant que le plus important est de gagner de l’argent. C’était ma première analyse.
Mais on peut aussi comprendre qu’il conclut sur le racisme. Il faut donc rajouter une virgule et on a :
Négro, j'ai peur de venir à ta radio, glisser sur une peau d'banane
Le “négro” n’est plus une manière familière de désigner l’auditeur mais bien une manière de se désigner lui-même. C’est lui le négro qui a peur.
Il a peur de venir à ta radio qui va le traiter de haut, avec mépris, avec racisme. Ici la peau de banane fait penser à l’insulte raciste : le singe. Ironiquement, c’est exactement ce que Booba vivra après la sortie de cet album quand il sera invité par Ardisson qui le traitera précisément comme un singe savant.
La conclusion devient alors beaucoup plus puissante, beaucoup plus en accord avec le reste du son. Cette fois ci il faut comprendre que l’important ce n’est pas d’avoir été dépossédés en tant que Noirs. L’important, c’est de récupérer le capital. L’important c’est l’argent qu’il y aura à la fin, pas celui qui a été volé.
L'important c'est pas la chute, mais les thunes qu'il y a au final
Dans l’épisode suivant…
On va analyser les jeux de sonorité :