Blague raciste : est-ce ok ?
Ce weekend j’ai demandé aux abonnés premium de me dire quel axe de l’antiracisme ils aimeraient qu’on aborde. L’un d’entre eux m’a répondu ceci :
Expliquer pourquoi selon toi « l’humour raciste » n’est pas acceptable. Pourquoi est-ce que l’on ne peut pas rire de ça si c’est bien fait ? Et est-ce valable pour d’autres type d’humour ? Blague sexistes, sur les religions, sur le physique etc…?
Qu’est-ce qui est le plus drôle ?
Je vais à chaque fois te décrire deux blagues et tu vas te demander laquelle est la plus drôle, a priori.
Rire d’un grand patron ou de la personne qu’il a licenciée ?
Rire d’une remarque qu’on a jamais entendue ou d’une remarque qu’on a entendu 100 fois ?
Rire d’une personne qui tombe en se blessant gravement ou d’une personne qui tombe sans se blesser ?
Tu as probablement répondu rire d’un grand patron, d’une remarque qu’on a jamais entendue ou d’une personne qui tombe sans se blesser.
Mais pourquoi ?
C’est ce qu’on va essayer de creuser ensemble.
L’effet des blagues racistes
En voulant écrire cet email je suis tombé sur l’intervention radio d’un doctorant qui a étudié ce qu’il appelle l’humour de dénigrement. Je te mets le lien à la fin.
J’aime bien cette formulation. Car c’est bien de ça dont il s’agit : de l’humour de dénigrement.
Beaucoup de personnes visées par les blagues racistes se sentent rabaissées avant de se sentir amusées.
En vrai… je devrais m’arrêter à là, non ?
Pourquoi on s’obstine ? À partir du moment où on a une quantité non négligeable d’individus qui se sentent rabaissés parce ce qui est censé être de l’humour… pourquoi s’acharner ?
Mais admettons. Continuons à creuser.
Le doctorant nous résume les résultats de ce qui s’appelle the prejudice norm theory.
Une des conclusions : la présence d’humour raciste au sein d’un groupe augmente les chances que du racisme tout court soit exprimé dans le groupe ensuite.
Et, en effet, c’est une des alertes personnelles que j’utilise. Quand j’arrive dans un endroit que je ne connais pas, je sais que plus il y a des blagues racistes, plus il y a des chances que quelque chose tourne mal à un moment.
Là encore, ne serait-ce pour ça on devrait faire attention à ces blagues.
Pire encore, la prejudice norm theory nous apprend que le fait que ça soit tourné sous forme de blague va baisser la garde du public. Nous sommes moins critiques face à un énoncé raciste s’il est mis sous forme d’humour.
C’est donc une stratégie fréquemment utilisé par les personnes qui veulent normaliser les idées racistes.
De quoi peut-on rire ?
Pourquoi on a du mal à rire de quelqu’un qui tombe devant nous et se blesse gravement ? Parce que le rire définit ce qui est ok.
Mais également parce qu’il y a une notion de talent. Plus le sujet est compliqué plus ça va nécessiter du talent et du contexte.
Par exemple, si je perds mes parents dans un accident de voiture, on comprend très bien que me faire une blague à ce sujet pendant l’enterrement risque d’être compliqué. En tout cas… venant d’un inconnu. Peut-être que ma soeur réussirait à me faire rire.
Ça m’amène à un modèle que je viens d’inventer et qui mérite d’être affiné. Un modèle en 4 variables.
Quel est mon degré de proximité avec la personne que je veux faire rire ?
Quel est le niveau d’intimité du sujet ?
Quel est le timing ?
Est-ce mon métier de faire rire les gens ?
Par exemple, quand on ne connait pas les gens, que ce n’est pas notre métier et que le sujet est récent alors on va viser des sujets peu intimes.
Les blagues méta-racistes
Pourquoi les humoristes (une partie) arrive à faire l’unanimité avec des blagues racistes ? C’est parce qu’ils pratiquent ce qu’on peut appeler de l’humour de méta-dénigrement. C’est-à-dire qu’au lieu de s’attaquer à la victime de racisme on s’attaque à la personne qui fait subir le racisme.
On se moque des personnes racistes et non pas des personnes qui subissent le racisme. Ça change tout. Par exemple Fary qui fait tout un sketch pour se demander si les gens qui disent black à la place de noir ont peur que leur double raciste prenne le dessus.
Bon… je raconte mal. Mais quand c’est lui c’est drôle. Et il n’y a pas d’ambigüité : on rit bien des personnes qui ont des préjugés et non pas des personnes qui les reçoivent.
La bonne nouvelle c’est que. l’humour de méta-dénigrement semble contribuer à diminuer le racisme. Je dis “semble” car on a pas assez de recul encore sur les données.
“On ne peut plus rire comme avant”
Parfois les gens disent ça et j’ai tendance à contredire. Alors qu’en réalité, quand on y réfléchit : c’est vrai.
Mais c’est normal.
La société devient de moins en moins raciste alors on peut faire de moins en moins de blagues de dénigrement raciste. Tout simplement.
Mieux encore, les idées racistes frontales étant de moins en moins acceptées, les gens qui les ont sont obligés de faire passer leur pensée pour une blague.
S’ils font autrement le groupe va leur tomber dessus.
L’humour devient alors pour eux la seule voie d’expression de leurs idées.
Comment enrayer la machine ?
Simple : en ne riant pas.
Ne pas rire va inhiber les autres membres du groupe qui assistent à la scène.
Car, si on rit, on envoie le message que l’idée raciste est acceptable. En ne riant pas on met un stop.
La source
Si tu veux écouter le passage radio du doctorant sur l’humour de dénigrement, c’est par ici : https://exploreur.univ-toulouse.fr/est-ce-bien-juste-une-blague-lhumour-de-denigrement-avec-leo-facca