Avant toutes choses évacuons l’évidence : si tu es allergique aux arachides alors il est important de dire que tu ne PEUX pas en manger. Et ainsi de suite pour toutes les conditions médicales (voire religieuse).
Ici je vais te parler d’une subtilité de langage qui m’a toujours marqué. Je dis aux gens que je suis végétarien et ensuite ils vont me dire des phrases comme :
Ah oui j’oubliais que tu PEUX pas manger ça
Le pire c’est que comme j’ai une tendance naturelle très littérale, j’ai vraiment réagi naïvement :
- Hein ? Mais comment ça ? Je suis allergique à rien !
- Non mais c’est de la viande !
- Bah ? Je PEUX manger de la viande. J’adore ça, même. Simplement je CHOISIS de ne pas en manger.
Je peux manger de la viande
Je me suis toujours demandé si c’était uniquement un détail sémantique. J’avais l’impression que ça trahissait quand même une posture subie du régime alimentaire.
Une forme de sentiment d’impuissance que les gens projettent.
Le fait de voir tout régime (au sens large) comme une contrainte.
Or, la contrainte est la pire manière de provoquer un changement.
C’est ce qui est martelé dans le livre la méthode pour arrêter de fumer : que si tu arrêtes par contrainte/menace tu vas passer ta vie à avoir envie de fumer même si tu as arrêté. Alors que si d’un coup tu embrasses totalement le choix comme étant le meilleur pour toi… ce sera beaucoup plus facile à vivre.
Je peux manger du sucre
C’est aussi l’axe que j’avais pris pour ma formation pour apprendre à consommer moins de sucre : il ne faut diminuer le sucre que si tu le fais pour toi-même.
Sinon ça ne tiendra pas, tu le vivras mal, etc.
Parfois une de mes collègues va dire ah non Nicolas ne peut pas manger le gâteau, c’est du sucre.
Et je corrige toujours : je peux tout à fait, mais je ne veux pas.
La question c’est : est-ce que c’est juste moi qui ait une personnalité trop littérale ou est-ce que ça un vrai impact ?
On a fait le test avec des cookies
J’ai appris par hasard que la science s’était penchée sur le sujet ! On a donc pris des personnes à qui ont proposait des cookies. Dans un groupe elles devaient essayer de refuser en disant je ne peux pas manger de cookies et dans l’autre elles devaient essayer en répondant je ne mange pas de cookies.
Tu remarques que cette formulation est encore plus forte que je ne veux pas manger de cookies. Le président de vérité générale induit une notion d’identité. Presque de fierté.
On leur a ensuite présenté un bool avec d’un côté des cookies et de l’autre un produit
Résultat des courses ?
L'analyse a révélé que 64 % des participants dans la condition « je ne mange pas de cookies » ont choisi le snack heaklthy, comparativement à 39 % dans la condition « je ne peux pas manger de cookies ». (…) Cette découverte soutient notre théorie selon laquelle l'utilisation du cadre de refus « je ne mange pas de cookies » est plus stimulante et est plus susceptible de conduire à une résistance à la tentation que le cadre de refus « je ne peux pas manger de cookies ».
Encore plus éclairant, on a ensuite utilisé une expérience similaire sauf qu’on la mesurait dans le temps (dix jours) pour voir les effets de persistance.
Et voilà les résultats :
On voit que 8 participants sur 10 “je ne mange pas…” ont tenu leur objectifs pendant 10 jours. Et 2 participants ont tenu 6 jours.
Alors que parmi les participants “je ne peux pas…” on a une seule personne sur dix qui tient les dix jours et 6 personnes sur 10 qui tiennent 2 jours ou moins.
Il y a donc peut-être bien un effet
Je dis “peut-être” car une seule étude ne suffit jamais. Mais on observe bien des résultats probants sur cette différence sémantique qui change la manière de voir la motivation : motivation interne ou externe.
Et c’est cohérent avec des résultats de recherche beaucoup plus connus et établis : le fait que la motivation intrinsèque est beaucoup plus puissante que la motivation extrinsèque.
Pour aller plus loin
Si tu veux aller regarder par toi-même l’étude, elle a été menée par Vanessa M. Patrick et Henrik Hagtvedt, c’est par ici :
“I Don’t” versus “I Can’t”: When Empowered Refusal Motivates Goal-Directed Behavior