Hier vous avez voté d’une courte tête pour ce thème :
Alors commençons par le commencement.
Comment j’ai compris la dépression
La première étape dans ma vie a été de comprendre ce que c’était. J’ai vécu mon adolescence en Guadeloupe, un endroit où on ne parle pas trop de ce sujet.
Alors comment faire face à ce qu’on ne sait pas nommer, ni reconnaître ?
La différence entre tristesse et dépression
La dépression est un trouble psychique qui est souvent confondu avec la tristesse. Pourtant ça n’a rien à voir : je vis de la tristesse sans la moindre dépression et je vis des moments de joie dans la dépression.
De la même manière que stresser parce que j’ai un enjeu important n’est pas comparable à vivre un trouble anxieux.
Chez moi la différence est déjà dans l’absence de cause.
Certes la sensation ressemble à la tristesse, mais je n’ai aucune raison précise d’être triste.
La flamme disparaît
Mais surtout… j’ai en moi une sensation dure à décrire. Une sorte de flamme dans mon ventre. Quand je vais bien c’est allumé en permanence.
Ça n’a rien à voir avec les émotions de surface. Pour reprendre une analogie de je ne sais plus qui : c’est comme si mes émotions étaient des nuages ou du vent et mon bonheur/malheur c’est le ciel.
Les deux peuvent varier de manière indépendante. Bien sûr que s’il y a des nuages et de la pluie tout le temps, on finira par avoir un ciel gris durable. Mais il peut aussi y avoir des nuages sans ciel gris. De la même manière, mon ciel peut être bleu éclatant mais accueillir de la pluie.
C’est la différence entre le duo plaisir/souffrance et le duo bonheur/malheur.
Voici comment je l’exprimais dans mon livre Tu vas mourir et tant mieux :
Une des pires erreurs que vous puissiez faire serait de confondre plaisir et bonheur. Malheureusement, nous sommes confrontés en permanence à cette confusion. Cette confusion est récente : à certaines époques la différence était évidente. Le christianisme promet le bonheur, pas le plaisir.
Il propose même de proscrire une grande partie des plaisirs en échange du bonheur. Le stoïcisme antique met également en garde contre la recherche du plaisir et propose de cultiver plutôt le bonheur.
Au fond de vous, vous connaissez cette différence. Vous savez qu'on peut multiplier les plaisirs et être malheureux. Manger des bons plats, multiplier les rapports sexuels, consommer des drogues récréatives mais se sentir vide en soi. Ne pas se sentir épanoui. À l'inverse, quand on pense à un moine on imagine quelqu'un d'heureux et d'épanoui.
Alors qu'il s'interdit pourtant un bon nombre de plaisirs. Certains philosophes en avaient l'intuition des siècles avant que Robert Lustig aille chercher l'explication scientifique, la différence biologique entre le plaisir et le bonheur.
Et voici donc les 7 principales différences :
1) Le plaisir est éphémère, le bonheur est durable
2) Le plaisir est viscéral, le bonheur est aérien, impalpable
3) Le plaisir est dans ce qu'on prend, le bonheur est dans ce qu'on donne
4) Le plaisir peut être obtenu avec des substances, le bonheur ne peut pas être obtenu avec des substances
5) Le plaisir se ressent mieux seul, le bonheur se ressent mieux dans un groupe social
6) Les plaisirs extrêmes mènent tous à l'addiction, que ce soient des substances ou des comportements. Alors que le concept d'addiction au bonheur n'existe pas.
7) La différence la plus importante : le plaisir vient de la dopamine alors que le bonheur vient de la sérotonine. Il s'agit donc même chimiquement de deux choses distinctes.
Ce dernier point est fondamental car il explique pourquoi la recherche du plaisir et la recherche du bonheur sont contradictoires. La dopamine fait vibrer les neurones alors que la sérotonine calme les neurones. Les deux effets sont totalement inverses. Le plaisir est donc littéralement une excitation quand le bonheur est littéralement un apaisement.
Bonne nouvelle : on ne peut donc pas avoir trop de bonheur. De la même manière qu'on ne peut pas être trop apaisé. De la même manière qu'il ne peut pas faire plus froid que -273,15 C°. Pourquoi ? Parce que la chaleur est l'agitation des molécules. Quand les molécules sont immobiles on atteint le froid absolu et on ne peut plus descendre. Le froid est donc limité. En revanche, le chaud est illimité. Le plaisir aussi.
Mais, malheureusement, le plaisir détruit nos neurones. Pour s'en protéger, le cerveau a développé un mécanisme de défense : l'accoutumance. Vous avez besoin d'une dose plus forte pour produire le même niveau de plaisir que la fois d'avant. Le plaisir nous emmène donc à en vouloir de plus en plus. Alors que le bonheur nous fait nous sentir satisfaits, repus.
Par définition, le plaisir est donc un gouffre infini. Alors que le bonheur est un état de plénitude délimité. Par conséquent, la confusion entre les deux est une erreur gigantesque. Beaucoup d'entre nous cherchent à multiplier les plaisirs dans le but d'être plus heureux. Alors que le bonheur est justement cet état dans lequel on est quand on se sent satisfait, rassasié.
Certaines personnes décrivent le bonheur comme une sensation d'être connectées, de faire un avec le monde. D'autres personnes l'appellent plutôt "l'épanouissement". Peu importe : identifiez cette sensation et différenciez la du plaisir, une fois pour toutes.
Et bien j’ai l’impression que, chez moi, la dépression chasse le bonheur. Mais pas les plaisirs. La dépression me plonge dans le malheur.
Ma voix interne devient négative
Je sais que la plupart des gens ont une voix interne négative. Je l’ai appris avec stupeur pendant un “sondage” en donnant cours à des élèves.
Mais j’ai la chance d’avoir une voix extrêmement positive. Ma voix interne est vraiment la meilleure des amies.
SAUF pendant une dépression. Elle disparaît.
Voire, à de rares occasions, elle se met à parler négativement.
C’est horrible quand on en a pas l’habitude.
Je pense d’ailleurs toujours la même chose ça doit être si dur de vivre en permanence avec une voix négative dans sa tête.
Tout devient gris
Je ne sais pas comment l’exprimer mais c’est un peu comme si le monde manquait de goût.
Les pensées suicidaires
C’est mon signe le plus certain. Quand ça arrive je sais que je suis dedans. Quand carrément la voix me suggère de mettre fin à mes jours. Que je commence à avoir des flashs m’imaginant passer à l’acte.
Au passage, si c’est ton cas en lisant ces lignes, n’oublie pas qu’il y a un numéro prévu exprès pour : le 3114. https://3114.fr
Pour résister j’ai une “technique” (c’est un grand mot) dont je te parlerai un autre jour de cette semaine.
Je peux remonter à une injustice
C’est très personnel mais j’ai fini par identifier la dépression comme de la colère qui se retourne contre moi. Chaque fois je peux retrouver un évènement où j’ai laissé tomber mon enfant.
Cet enfant qui se faisait harceler au collège et à qui j’ai promis que, maintenant que le jeu se joue sur la puissance verbale et non physique, je ne laisserai plus jamais quelqu’un nous marcher sur les pieds comme un bully.
Sauf que… c’est une promesse impossible à tenir. Quelques fois je me laisse faire.
Quand ma première psy m’a éjecté du jour au lendemain c’était un comportement de bully. Même si, sous emprise, il est dur de s’en rendre compte. Ça a été clair quelques semaines plus tard.
D’ailleurs j’ai commencé à aller mieux quand j’ai écrit :
Je peux me pardonner d’avoir perdu, je ne peux pas me pardonner de ne pas riposter.
Et que j’ai raconté l’histoire en public.
C’est vraiment la notion de ne pas se laisser faire face à l’injustice car c’est comme ça que les petit Nicolas se fait frapper par ses parents ou harceler au collège.
Il faut que quelqu’un fasse rempart pour moi-même et j’ai juré que ça serait moi.
La définition “officielle”
Chaque personne étant différente, c’est important de ne pas m’arrêter à mon expérience personnelle pour te partager ce qui semble être les points communs les plus courants de l’expérience d’une dépression. Voici comment se définit le Trouble Dépressif Caractérisé dans le DSM :
On parle de trouble dépressif caractérisé quand on a au moins 1 symptôme A et 4 symptômes B, pendant au moins deux semaines :
Symptômes A :
une humeur dépressive
perte de plaisir pour les activités appréciées habituellement
Symptômes B :
perte de l’estime de soi ou culpabilité injustifiée
idées suicidaires ou nombreuses pensées morbides
difficulté à se concentrer ou à prendre des décisions
ralentissement des mouvements ou, à l’inverse, agitation et incapacité à se poser
trouble du sommeil (diminution ou augmentation)
trouble de l’appétit (perte ou excès)
Bien entendu, cette liste est un guide sur une notion qui est un continuum. Ce n’est pas parce qu’une personne n’a que 3 symptômes B au lieu de 4 qu’on va dire “elle n’est pas dans un état dépressif”.
Sachant également qu’il y a des stades plus ou moins avancés de la dépression.
Que faire si tu coches les cases ?
Déjà, beaucoup de personnes éprouvent un soulagement quand elles cochent ces cases. Ça paraîtra bizarre aux personnes qui ne l’ont jamais vécu mais c’est un peu comme si je me sentais très mal pendant une semaine, que je commençais à m’inquiéter et qu’un docteur m’annonce que j’ai une angine.
Certes, ça va être très désagréable. Mais au moins je sais ce que c’est et je sais que je dois m’en occuper.
C’est un peu pareil ici. Mettre le doigt dessus peut permettre de rebondir.
Ceci tu as plein d’options à ta disposition. Je trouve qu’on en parle pas assez.
Bien sûr que tu peux aller voir un·e psy.
Mais tu peux aussi faire une visio avec un·e psy. On oublie cette alternative alors que parfois on n’a pas la force d’autre chose. Tu as plusieurs plateformes que tu peux trouver sur Google.
Ensuite tu peux aussi aller consulter ton médecin généraliste. Car oui, les médecins sont censés savoir diagnostiquer un trouble dépressif caractérisé. Il ou elle pourra également te “rassurer” sur le fait que ce n’est pas autre chose, car la dépression peut être confondue avec une maladie physique.
Tu as également des groupes de parole de personnes qui l’ont vécu. Tu connais forcément cette méthode car tu connais forcément Les Alcooliques Anonymes. Sauf que ce que l’on sait moins c’est que y’a l’équivalent pour tous les troubles psychiques.
Tu as donc Les dépressifs anonymes. Mais également plein de groupes de paroles autres. Tape juste dans google “dépression groupe de parole”.
https://depressifsanonymes.org/groupe-depressifs-anonymes/
Enfin… tu peux en parler à une personne proche de toi.
Et/ou (car tu peux cumuler) recourir à une stratégie d’auto aide. Par exemple avec un audio comme celui ci : https://d3mh72llnfrpe6.cloudfront.net/wp-content/uploads/2018/02/07234905/antidepressantskillsworkbook-french.mp3
Et si tu préfères un guide écrit plus complet tu as la même chose ici : https://d3mh72llnfrpe6.cloudfront.net/wp-content/uploads/2018/02/09210226/asw-french.pdf
Le fait d'obtenir un diagnostic, peu importe le trouble / la maladie (physique ou mentale), c'est juste TELLEMENT soulageant. Tu sais enfin que 1/ tu n'affabules pas, t'es pas "juste nul•le", tu "n'exagères" pas et 2/ il y a des moyens d'(essayer d')aller mieux, de compenser, d'aménager, d'apprendre à vivre avec...
Cf Crazy Ex-Girlfriend : https://www.youtube.com/watch?v=uic_3vlI5BE