On continue dans la lancée des sujets qui m’ont été demandés par des abonné·es premium.
Avec maintenant la notion de l’intersectionnalité :
Je me demandais si tu pouvais parler d'intersectionnalité ? Par exemple l'intersection entre les combats queer et antiracistes : ce sont des femmes trans et drag queens noires qui ont participé aux émeutes de Stonewall et ont ouvert la voie pour beaucoup de personnes queer.
Ma première réaction :
Sujet super intéressant. Mais comment aborder ça quand on est soi même sans intersection ?
Mais en y réfléchissant, je sais ce que je peux aborder : l’inverse de l’intersectionnalité. Ce qui permettra d’aborder le sujet en creux.
Qu’est-ce que c’est l’intersectionnalité ?
Quand je demande à ChatGPT c’est une citation ou pas ? À la fois je trouve ça bizarre de mettre entre guillemets mais à la fois ce n’est pas moi qui ai écrit le passage qui va suivre. Je n’ai fait que le remettre en forme :
L'intersectionnalité est une approche qui reconnaît que nos identités sont multiples et que différentes formes d'oppression interagissent entre elles. Elle a été développée par la chercheuse et militante Kimberlé Crenshaw dans les années 1980.
Prenons un exemple concret : imaginez une personne qui est à la fois une femme, une personne noire et une travailleuse immigrée. Ces différentes facettes de son identité ne s'additionnent pas simplement, mais elles interagissent et se chevauchent :
Racisme : En tant que femme noire, elle peut être confrontée à des discriminations dans divers domaines de sa vie, tels que l'emploi, le logement, l'éducation ou les interactions sociales.
Sexisme : En tant que femme, elle peut être confrontée à des inégalités salariales, à des stéréotypes sexistes ou à des obstacles spécifiques dans sa carrière ou sa vie quotidienne.
Xénophobie : En tant qu'immigrée, elle peut faire face à des barrières linguistiques, à des difficultés d'intégration, à des préjugés ou à des politiques discriminatoires.
Intersection des oppressions : Les oppressions liées à sa race, à son genre et à son statut d'immigration ne s'additionnent pas simplement, mais elles interagissent et se renforcent mutuellement. Par exemple, elle peut être confrontée à des stéréotypes racistes et sexistes spécifiques à sa condition de femme noire immigrée.
L'objectif de l'intersectionnalité est de reconnaître et de valoriser toutes les voix et expériences, en évitant l'invisibilisation et l'exclusion de certaines personnes ou groupes. Cela permet de créer une lutte sociale plus inclusive, solidaire et équitable, en prenant en compte la diversité des réalités vécues par les individus.
La disjonction
Je ne suis pas directement concerné par l’intersectionnalité des luttes. Puisque je suis du côté majoré partout à l’exception de ma race sociale. Je suis un homme hétéresexuel cisgenre et quand je rentre dans les magasins de vêtement je trouve toujours ma taille.
En revanche ce que je vis souvent c’est la disjonction. Ce concept n’existe pas, je viens de lui improviser un nom. Mais c’est l’idée que parfois les luttes vont s’opposer.
Prenons par exemple la relation entre les hommes noirs et les femmes blanches. C’est une interaction spéciale. Car les rôles de domination vont alterner.
Une des difficultés de l’expérience d’un homme Noir en France c’est ce truc de la peur. Je vois bien qu’en marchant dans la rue je fais peur à des femmes blanches. Surtout la nuit. Même si je fais des efforts pour ne pas frôler, avoir l’air sympa, etc.
Mais c’est une charge mentale permanente.
Et en même temps… cette peur ne leur vient pas que du racisme. Une partie vient de leur expérience du sexisme. C’est le surplus de peur qui relève du racisme.
Ça crée des interactions complexes et parfois explosives.
Les larmes des femmes blanches
Avec notamment la question des larmes.
Je veux aborder ici le sujet des larmes versées par les femmes blanches dans des situations interraciales. L’exemple suivant illustre à la fois la frustration des personnes non blanches devant ces larmes, et le fait que les Blanches estiment qu’elles ont parfaitement le droit de les verser.
(…)
Au cours d’interactions interraciales, les larmes des Blanches sont problématiques pour plusieurs raisons, liées à leur impact. Par le passé, la détresse de femmes blanches a bien souvent provoqué la torture et le meurtre d’hommes noirs, et nous, les Blanches, portons ces histoires en nous. Nos larmes ont un effet déclencheur : elles rappellent la terreur marquant cette histoire, tout particulièrement pour les Afro-Américains. Un exemple aussi pertinent qu’épouvantable est celui d’Emmett Till, un adolescent de 14 ans qui aurait flirté avec une femme blanche nommée Carolyn Bryant dans une épicerie du Mississippi en 1955.
Celle-ci s’en plaignit à son mari, Roy Bryant, et quelques jours plus tard, Roy et son demi-frère, J. W. Milam, kidnappèrent Till, qui se trouvait chez son grand-oncle, et le lynchèrent. Ils le battirent à mort, mutilèrent son cadavre et le jetèrent dans la rivière Tallahatchie. Un jury entièrement blanc acquitta les deux hommes, qui, plus tard, avouèrent le meurtre. En 2017, sur son lit de mort, Carolyn Bryant se rétracta et avoua avoir menti.
L’histoire du meurtre d’Emmett Till est l’illustration d’un dicton servant d’avertissement, souvent répété par mes collègues afro-américains : « Quand une femme blanche pleure, un homme noir souffre. » Ignorer cette histoire ou ne pas y être sensible est un nouvel exemple de l’autocentrisme, de l’individualisme et du manque d’humilité raciale des Blancs.
Je n’ai heureusement jamais vécu de situation où j’ai peur pour mon intégrité physique. Mais dans des proportions moindres j’ai vécu ça en tant que prof. Des élèves noirs expliquant à une élève blanche que c’est déplacé de leur demander tu viens d’où. L’élève se mettant à pleurer.
Et je vais la voir à la récréation pour lui expliquer le problème, et que ce n’est pas à elle de pleurer, ce n’est pas elle qui a subi l’injustice ici.
Bien sûr qu’en pleurant devant un prof blanc (ce n’était pas mon cours au moment des faits, j’étais dans la salle en spectateur) elle peut déclencher un réflexe de surréaction qui retomberait sur les élèves noirs.
De manière plus récente, une thérapeute blanche m’a dit que mes émotions étaient peut-être moins fortes qu’une personne blanche. Alors que j’étais venu en lui disant je vous consulte car j’ai l’impression que les personnes blanches n’arrivent pas à croire à ma tristesse. Problème que je n’ai pas avec les personnes racisées.
Et sa théorie c’était que peut-être, en effet, j’ai moins d’émotions. LOGIQUE.
J’ai eu quelques secondes de choc avant de passer à la colère. Je lui ai dit le plus calmement possible que c’était du racisme ordinaire.
Mais, en même temps, j’avais totalement conscience que les personnes blanches ne croient pas en ma tristesse mais croient sans aucun problème à ma colère. Et que donc qu’il fallait que je la retienne pour qu’elle n’ait pas peur.
Par un enchaînement de hasard, j’ai fini par faire une thérapie avec une collègue à elle. Et… ça n’a pas manqué… ce moment m’a été reproché frontalement par cette nouvelle thérapeute : vous êtes agressif, la preuve avec ma collègue. (…) Je pense que vous avez un trouble de la personnalité borderline.
Terrible.
Attention à ne pas utiliser la disjonction pour se cacher
À l’inverse, parfois, mon sexisme est en jeu. Et une partie de moi va être révoltée : non mais attends, juste avant elle a fait un truc limite niveau racisme et j’ai rien dit.
C’est le cas le plus dur. Surtout avec les émotions en jeu.
Mais il faut essayer de s’interdire de répondre comme ça.
Du coup, j’essaie (je dis bien j’essaie car c’est dur) avec mes proches d’instaurer un système de priorité : si je te parle de ton racisme ordinaire on va au fond du sujet et on verra après pour mon sexisme ordinaire. Et vice-versa.
J’insiste sur j’essaie. En vrai ça relève de la mission impossible. Mais il faut essayer.
Comment traiter l’homophobie des personnes racisées
Ce sujet de la disjonction m’amène à répondre à une autre question que vous m’avez posée.
Attention, la personne va admettre son racisme ordinaire. Ça peut être violent. Si tu ne veux pas lire ça, tu peux arrêter de lire.
J'aurais une question sur un sujet qui me fait pas mal réfléchir car j'ai l'impression que je me retrouve face à une contradiction. En tant qu'homosexuel blanc, j'entend beaucoup de critiques racistes sur les musulmans, notamment venus de LGBT, qui s'appuient sur les discriminations anti-LGBT pour valider les critiques des musulmans, et de façon plus large le racisme associé (qui va amalgamer tous les musulmans et les arabes, en gros).
Souvent, il y a aussi des personnes LGBT qui répondent quelque chose comme "n'utilisez pas les LGBT pour justifier votre racisme", c'est aussi ma réponse. Mais je me rends compte qu'un des freins à ma déconstruction anti-raciste se retrouve souvent là : je n'arrive pas à le faire sans avoir le sentiment de juste ignorer des trucs par principe, et du coup ça tiendra pas sur la durée.
Un exemple concret : si je réserve un AirBNB avec mon copain, si le proprio a un nom à connotation arabe, ça va me bloquer. Une part de moi repense à tout ce que j'ai appris notamment dans tes formations et je me dis "ok, tu as une réaction raciste, ne valide pas". Ouais, mais si je passe outre et que ça se passe mal... Donc j'ai pas envie de céder à ce racisme, mais j'ai pas envie de lutter contre en ayant l'impression de simplement me voiler la face, j'ai besoin de quelque chose de plus fiable..
Déjà, merci de cette honnêteté. Identifier et reconnaître le problème c’est la première étape. Spoiler : oui, une partie de toi a une réaction raciste. Deuxième spoiler : il existe bien une homophobie spécifique aux religions.
Alors… on fait quoi ?
Je n’ai pas la réponse parfaite. Par exemple, on a les chiffres de l’homophobie aux Antilles. Et, effectivement, elle est bien plus élevée que dans l’hexagone.
Voilà ce que ça m’inspire.
Premièrement, il faut se rappeler que l’homophobie a été inculquée par les colons. Notamment via la religion chrétienne. C’est quelque chose qui peut aider quand tu discutes avec une personne noire homophobe. Y’a un cliché qui veut que l’homosexualité c’est un truc de blanc, qu’ils ont importé chez nous. Alors que c’est totalement l’inverse : c’est bien l’homophobie le truc de blanc qui a été importé.
Deuxièmement, ça ne peut pas être une excuse pour laisser libre cours à son racisme. Une homophobie plus élevée ne veut pas dire que TOUTES les personnes vont être homophobes.
Au final, ce qui est raciste c’est d’utiliser la race sociale comme critère indirect. Alors que le vrai critère c’est je ne veux pas réserver un AirBnb auprès d’une personne homophobe.
Il y a aussi énormément d’homophobie chez les autres populations. Donc c’est un peu bizarre de se dire ok j’exclus la population où y’a le plus d’homophobie. Pourquoi ?
Pourquoi ne pas plutôt essayer d’évaluer directement le critère ?
Il n’y aura jamais de manière totalement fiable de l’évaluer.
Et c’est là que je vais arrêter de donner des conseils car je ne suis pas concerné. Mais par exemple moi je sais que dans le contexte des applications de rencontre, je n’acceptais plus de prendre un verre avec une personne sans avoir vérifié avant les red flags.
Mais j’accordais la chance de la discussion à tout le monde (je veux dire indépendamment de ce critère)
Peut-être que ça se transpose dans ta situation ?
Enfin…
Que faire en cas d’altercation ?
J’ouvre le sujet et je reviens à une situation qui m’arrive, notamment avec des femmes blanches. Que faire quand on est pris dans une altercation sur le sujet ? Par exemple une femme banche me fait subir du racisme ordinaire ?
Le seul conseil que je peux donner c’est de s’interdire totalement de se servir de sa position dominante.
Si tu es homosexuel blanc et qu’une personne noire te fait vivre de l’homophobie, il faut par exemple résister à la tentation de te servir du racisme pour riposter.
Ça arrive plus vite qu’on ne pense.
Il faut réussir à se demander, même sous le coup de notre émotion légitime : est-ce que je suis en train de me servir de mon privilège dans la réponse ?
Un exemple caricatural mais malheureusement fréquent : il faut éviter de répondre à l’homophobie par une insulte raciste.
Ce qui est d’ailleurs encore plus fréquent quand c’est une altercation homme noir-femme blanche… où les insultes qui viennent spontanément en tête sont des insultes sexistes.
Voilà…
Je n’ai pas mieux, malheureusement…
La source
Le passage sur les larmes des femmes blanches vient du livre : Fragilité Blanche : ce racisme que les blancs ne voient pas
Ah ah, c'est chaud. Problèmes qui prend aux tripes mais pas de solution facile. Que des discussions difficiles mais qui permettent de grandir.
Ça me rappelle sur un autre thème mes efforts incessants depuis 10 ans avec ma femme née en amérique du sud pour arriver à se comprendre par delà les différences énormes de personnalité, de culture et d'éducation. Souvent c'est décourageant mais quand je repense aux progrès qu'on a fait, je suis assez fier.
Merci pour cet e-mail ça fait réfléchir