On continue notre thématique de la semaine où l’on résume le livre d’Annie Duke : Quit.
On a vu comment on avait tendance à abandonner trop tard. Maintenant on va fouiller le pourquoi :
Abandonner au bon moment donne l’impression d’abandonner trop tôt
Lorsque vous abandonnez la partie à temps, il semble toujours que rien de particulièrement redoutable ne se soit produit à ce moment particulier. Car cette décision dépend de votre capacité à entrevoir les diverses perspectives possibles et à constater que la probabilité d’une évolution défavorable est trop élevée pour qu’il vaille la peine de continuer.
Au moment où renoncer devient objectivement le meilleur choix, en pratique, la situation n’apparaît pas particulièrement sombre en général, même si vous pouvez déceler dans le présent des indices de ce que l’avenir pourrait être. Le problème est que, en raison peut-être de notre aversion à l’abandon, nous avons tendance à recourir à un raisonnement logique pour rejeter ces signes qui nous permettraient de voir combien les choses vont mal en réalité.
C’est tout le problème : le bon moment pour arrêter un job toxique c’est avant de faire un burn-out. Sauf que, quand on fait ça, techniquement… rien ne s’est produit. On peut se dire qu’on aurait pu attendre un peu plus.
À cet égard l’histoire de la docteure Olstyn Martinez risque de te rappeler une histoire que tu connais déjà. En gros… après s’être épanouie dans son hôpital, elle change de poste suite à une promotion. Sauf que ça dégrade totalement sa vie personnelle (elle travaille trop et elle ne voit plus ses filles) et qu’elle finit par être malheureuse au travail.
Remarque : ne pas voir tes filles si tu es une maman avec un travail exigeant est totalement ok. Les papas font ça depuis des siècles. Ici je le mentionne car c’est elle-même qui mentionne ce point comme une souffrance.
Pendant plus d’un an, elle caressa l’idée de démissionner, sans jamais agir en ce sens. Puis, en 2021, un ami proposa de la recommander pour un poste au sein d’une compagnie d’assurances.
Olstyn Martinez passa avec facilité les différents entretiens de recrutement et il fut bientôt clair qu’elle allait devoir prendre rapidement une décision.
Elle se découvrit incapable de décider si elle devait prendre ce nouveau poste et quitter l’ancien. C’est à ce moment-là qu’elle m’a contactée. J’ai répondu à son courriel, et bientôt nous avons échangé au téléphone.
Après avoir entendu son histoire, je lui ai posé cette simple question :
– Imaginez-vous dans un an, vous êtes restée au poste que vous occupez actuellement : quelle est la probabilité que vous soyez malheureuse à la fin de l’année ?
Elle a répondu :
– Je sais que je serai malheureuse, à 100 %.
J’ai poursuivi :
– Et si, toujours dans un an, vous occupez ce nouveau poste auquel vous réfléchissez, quelle est la probabilité que vous soyez malheureuse ?
Elle a dit :
– Eh bien, je n’en suis pas certaine.
– Est-ce que la probabilité est de 100 % ?
– Certainement pas, a-t-elle dit.
Alors, elle a compris :
– Oh, attendez une minute. Je serai constamment malheureuse si je reste. Si je change, parfois je serai malheureuse, parfois non. Parfois, je trouverai un véritable accomplissement dans ce travail que j’envisage, et c’est forcément mieux.
Je n’avais eu qu’à reformuler la décision qu’elle devait prendre sous la forme d’un problème de valeur attendue.
Elle examinait deux options : conserver son travail actuel ou le quitter pour un nouveau poste dans une société d’assurances. Laquelle des deux comportait la plus grande chance que son bonheur augmente et que sa relation avec ses deux filles soit plus satisfaisante ?
Elle a pris conscience qu’accepter ce nouveau travail avait une valeur attendue supérieure. L’histoire du Dr Olstyn Martinez nous rappelle que la valeur attendue ne se mesure pas uniquement en termes financiers. Elle peut se mesurer en termes de santé, de bien-être, de bonheur, de temps, d’accomplissement personnel, de satisfaction relationnelle, ou de tout autre aspect qui vous importe.
Je ne connais pas Olstyn Martinez, mais ce dialogue je l’ai eu des dizaines de fois. Parce que nous avons tendance à persévérer trop longtemps dans les situations qui nous font du mal.
Si bien que, souvent, si tu hésites entre abandonner et continuer c’est que ça fait déjà un moment qu’abandonner est le meilleur choix. Pas toujours, évidemment, mais plus souvent qu’on ne le réalise.
Et voilà une expérience pour l’illustrer.
Ce que nous apprend une pièce lancée au hasard
Steven Levitt a mis en ligne un site dont le seul objectif était de te faire lancer une pièce à pile ou face pour prendre une grande décision de vie.
Ça peut sembler farfelu mais c’est pourtant un des conseils les plus basiques dans les sciences de prise de décision : si tu hésites à 50-50 sur une décision alors prends là à pile ou face.
Soit c’est vraiment une décision à 50-50 et dans ce cas autant utiliser un mécanisme qui garantit que je vais vraiment pencher au hasard pour une option et non à cause d’un biais. Soit ça ne l’est pas et en voyant le résultat de la pièce on se dit oulah, ah non finalement cette décision ne me va pas du tout, je vais faire l’autre chose.
Mais ce qui est intéressant c’est que Levitt ne s’est pas arrêté là : il a mesuré la satisfaction des personnes participantes, à moyen terme :
En interrogeant les visiteurs deux et six mois plus tard, il a découvert qu’en matière de grandes décisions, les personnes qui avaient laissé tomber étaient en moyenne plus heureuses que celles qui s’étaient accrochées, qu’elles aient pris la décision de leur propre chef ou que la pièce ait tranché.
Si les décisions leur avaient paru serrées, elles ne l’étaient pas en réalité. À en juger par le niveau de bonheur des participants, l’option de l’abandon était clairement gagnante. Le fait que ceux qui avaient choisi de tourner les talons étaient en définitive plus heureux, alors que la décision leur semblait a priori si ardue, atteste qu’en général, on renonce trop tardivement.
C’est exactement ce qu’il s’est passé pour Sarah Olstyn Martinez. Elle pensait que la décision à prendre était serrée, mais une fois que je l’ai eu formulée en termes de valeur attendue, elle a réalisé que ce n’était pas le cas.
Après avoir souligné ce point, Levitt conclut ainsi son article : « Les résultats de cette étude laissent penser que les gens sont peut-être excessivement prudents lorsqu’ils sont confrontés à un choix de nature à changer leur vie. »
Le corollaire est également vrai. Lorsque les gens abandonnent à temps, ils ont l’impression de renoncer trop tôt, car il s’écoulerait encore beaucoup de temps avant qu’ils aient le sentiment d’être face à une décision serrée.
Ces conclusions sont cohérentes avec l’idée que la balance penche injustement en défaveur de l’abandon. Il se trouve que notre état d’esprit met son pouce sur la balance, de sorte que lorsque nous en venons à considérer que les deux options, persévérer ou abandonner, sont à égalité, le point d’équilibre est en réalité déjà loin.
Ne rien faire est moins effrayant que faire quelque chose
On l’a vu nous avons du mal à abandonner parce que notre culture valorise la persévérance. Mais pas que.
Y’a aussi un phénomène psychologique qui est que ne rien faire donne l’impression de ne rien choisir.
Mais c’est faux : ne rien faire c’est choisir le statu quo.
Par exemple, si j’hésite à quitter un job qui me rend malheureux, et que pendant 2 mois je ne fais rien… en me disant que je prendrais une décision plus tard…
Bah en fait j’ai pris une décision : j’ai décidé de continuer à faire ce job et j’ai retardé de deux mois ma découverte d’un nouveau job.
C’est un peu comme le dilemme du tramway.
Imagine qu’un tramway soit hors de contrôle et qu’il s’apprête à écraser 5 personnes. Tu es à l’aiguillage. Tu es la seule personne à pouvoir actionner un levier qui déviera le tramway pour qu'il écrase une seule personne…
Le fais-tu ?
Il y a beaucoup de gens qui répondent qu’ils ne le feraient pas. Alors que sur le papier ça semble absurde : dans un cas 5 personnes vont mourir et dans un autre une seule.
Je te vois faire un rictus parce que tu te dis non mais moi j’actionne le levier, je vois même pas le dilemme. Okay alors on va corser le truc.
Maintenant imagine la même situation, sauf que le tramway est encore loin. Tu es sur un pont. Tu as une expertise dans le modèle du tramway qui te permet de savoir que si tu pousses l’homme très obèse qui est à côté de toi sur le pont et qui s’est penché pour regarder, ça arrêtera le tramway et ça sauvera la vie des 5 personnes.
Est-ce que tu pousses cet homme obèse ?
Cette variation tordue n’est évidemment pas de moi mais bien celle de la philosophe Judith Jarvis Thomson qui a également inventé une expérience de similaire un peu farfelue comme celle-ci pour défendre le droit à l’avortement. Un truc encore plus dérangeant que je te mets à la fin.
Probablement que vous n’êtes plus beaucoup à dire je sacrifie une personne pour en sauver 5, dans ce cas. Et je pense qu’en corsant encore davantage le dilemme on finit par avoir tout le monde qui refuse l’action.
Toutes ces forces qui interfèrent avec les décisions de renoncement sont liées au fait que nous ne considérons pas le maintien dans le statu quo comme une décision active, au contraire du changement.
Nous nous préoccupons bien davantage des erreurs proactives que des erreurs d’omission (défaut d’action).
Nous redoutons de « provoquer » une issue négative par l’action plutôt que de « laisser faire » par l’inaction. Ce phénomène est connu sous le nom de biais d’omission-commission.
Passer à autre chose – un nouvel emploi, de nouvelles études, une nouvelle relation sentimentale, une nouvelle stratégie commerciale... – est perçu comme une nouvelle décision, et une décision active.
En revanche, nous ne considérons pas vraiment le choix de s’en tenir au statu quo comme une décision. Vous avez déjà probablement entendu des gens (y compris vous), qui envisagent de changer de voie, dire : « Je ne veux pas prendre de décision tout de suite. »
Vous jugez cette attitude raisonnable, mais en y réfléchissant, vous comprenez que décider de ne rien changer est une décision en soi. Lorsque vous poursuivez un objectif, vous choisissez à chaque instant de rester sur le chemin ou de changer de direction. Ne pas changer de voie est tout autant une décision que choisir de renoncer.
Et c’est souvent ça qu’on rate : on voit la persévérance comme l’inverse de l’abandon. Alors que c’est la même chose : abandonner quelque chose c’est persévérer dans autre chose. Persévérer dans quelque chose c’est en abandonner d’autres.
On en parle demain.
La source
On est toujours dans le livre d’Annie Duke : Quit. Plus précisément dans le Chapitre 2 : Quand on se retire à temps, cela paraît toujours trop tôt
Ainsi que le Chapitre 7 :
Ceci m’appartient : effet de dotation et biais de statu quo
Bonus
Comme promis voici un lien vers l’expérience de pensée du violoniste de Judith Jarvis Thomson pour défendre le droit à l’avortement.
Ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Une_défense_de_l%27avortement
Question : est-ce que l'homme obèse est Donald Trump ? Ça faciliterait grandement la décision.