En écrivant la série Le cri des enfants, je suis tombé sur des justifications des violences physiques sur les enfants. Voilà un florilège des 5 qui sont revenues le plus souvent.
#1 | La violence est une composante utile des rapports humains
Question très philosophique. Je vais essayer d’y répondre de manière succincte.
Je ne suis pas contre toutes les violences physiques. Bien au contraire. Je viens de regarder une vidéo d’un papy noir qui tabasse un jeune blanc raciste qui lui lance des insultes racistes en l’incitant à venir se battre. J’ai trouvé ça jouissif.
Je remarque d’ailleurs que la bourgeoisie nous invite à condamner la violence alors qu’elle a elle-même pris le pouvoir à l’aristocratie par la violence.
Je remarque également toutes les falsifications sur la place de la non-violence dans le mouvement d’émancipation des noirs américains. On en a déjà parlé ici :
Je suis donc pour la violence politique.
Ceci étant dit, il y a une grande différence entre utiliser la violence physique sur un militant fasciste et frapper un enfant ?
Je suis pour la violence physique quand il s’agit de s’opposer à des gens qui en exploitent d’autres, les plongeant dans la misère. Quand il s’agit d’empêcher d’autres violences physiques.
Mais un enfant ?
Alors oui, je suis pour frapper (pour le mettre KO) ou faire tomber un enfant de 8 ans qui aurait un revolver et serait en train de tirer sur ses camarades de classe. Pour que les tirs s’arrêtent. D’accord. Mais je ne serais même pas pour le frapper ensuite. D’ailleurs, les adultes c’est ce qu’il se passe : on les frappe dans le feu de l’action pour leur faire cesser la violence, mais ensuite, non. Les châtiments corporels sont vus comme des sanctions judiciaires médiévales et obscurantistes.
Fin 20167, les châtiments corporels sont totalement interdits en droit : dans 164 États en tant que condamnation pénale
Il y a donc plein de dictatures dans lesquelles le châtiment corporel est interdit, tellement on voit ça comme un truc du moyen-âge. Mais on le ferait aux enfants ?
Je ne comprends pas la logique.
On devrait traiter les enfants avec plus de douceur que les adultes, non ? Sachant leur vulnérabilité.
#2 | Le dernier recours
J’ai également beaucoup entendu la réthorique du dernier recours. Mais je ne la comprends pas. Dernier recours de quoi ? Ma partenaire est professeure de littérature. Elle a des classes dans le cadre de ce qu’on appelle la MLDS (Mission de Lutte contre le Décrochage Scolaire).
Ce sont des classes dont certains élèves (pas tous) ont commis des crimes. Par exemple avoir tué (ou essayé de) un prof.
Et bah elle m’a déjà raconté une scène où elle en trouve deux en train d’essayer d’introduire un cutter dans la salle. Et pourtant ça lui vient jamais à l’esprit de les punir en les frappant ?
On revient à l’exemple précédent. Le dernier recours ça suppose qu’il y a urgence. Oui, peut-être qu’elle tenterait la violence physique si un des élèves essayait d’en agresser un autre.
Quelle urgence on peut avoir avec un enfant ? Quelle urgence d’intégrité physique, j’entends ?
Ma partenaire a un chat. Et même quand il fait des trucs dangereux, personne ne se dit qu’il faut le frapper.
C’est quand même fou qu’on trouve ça inhumain de frapper un animal de compagnie, mais on frapperait un enfant ?
D’autant plus que plein de gens élèvent leurs enfants sans jamais lever la main dessus. C’est la preuve que ce n’est pas un besoin.
Encore une fois, pourquoi pourrait-on frapper un enfant mais pas un adulte ? Parce que l’enfant doit être dressé quand il est encore malléable ? Mais alors pourquoi on ne frappe pas les chats et les chiens ?
Je ne vois qu’une seule réponse : on le fait parce qu’on peut. On sait que l’enfant ne va pas répondre. Si les enfants avaient exactement les mêmes cerveaux, mais directement une taille adulte, on ne les taperait pas. On ne pourrait pas.
#3 | La peur d’avoir des enfants gâtés
C’est une croyance particulièrement ancrée dans les cultures non-blanches. Pour, le coup, j’y croyais totalement.
Ou encore :
Je reçois très fréquemment des remarques de ma famille disant "Tu vas en faire une fille pourrie si tu ne la frappe pas", "laisse la pleurer se sont des caprices", si je n'avais pas autant souffert de ma propre enfance, peut-être les aurais-je cru.
Deux choses. La première c’est que si on admet que frapper les enfants leur donne davantage de résilience (ce qui est effectivement fondé), il faut se demander si le prix à payer nous va ? Parce que sinon, à ce rythme là, aller en prison à 17 ans aussi. Est-ce que pour autant on voudrait y envoyer son enfant systématiquement ?
La deuxième c’est qu’il ne faut pas confondre la discipline et la violence physique. Il est possible d’instaurer une discipline sans violence physique. C’est ce que je fais avec mes élèves d’ailleurs.
La seule violence physique que je me suis autorisé c’est d’avoir jeté un feutre de tableau en cloche sur un élève turbulent qui ne m’écoutait pas. Manque de pot… j’ai raté ma cible et il a atterri sur une élève modèle. Qui… m’a détesté pendant plusieurs semaines.
Que quelqu’un redise à Louise à quel point je suis désolé.
J’avais volontairement jeté le feutre en cloche super doucement. Et puis ça me faisait rire puisque j’étais sûr qu’il allait l’attraper au vol et s’offusquer.
Mais je ne me vois pas en venir aux mains ? Au premier degré.
L’ONU le formule bien :
« En rejetant toute justification de la violence et des humiliations en tant que formes de châtiment à l’encontre des enfants, le Comité ne rejette en rien le concept positif de discipline. Le développement sain des enfants suppose que les parents et les autres adultes concernés fournissent les orientations et les indications nécessaires, en fonction du développement des capacités de l’enfant, afin de contribuer à une croissance les conduisant à une vie responsable dans la société »
#4 | J’en ai pris et ça va, j’en suis pas mort
J’ai beaucoup dit ça. Je le dis encore d’ailleurs en séance de psy. Une partie de moi n’arrive pas à effacer ce propos. Alors qu’il est stupide. Je ne sais même pas quoi répondre tellement c’est stupide.
Le racisme non plus j’en meurs pas, c’est pas pour autant que je veux que ça perdure. Y’a plein de trucs qui ne me tuent pas et qui me révoltent.
Probablement que ce qu’on veut dire c’est ça ne m’a pas traumatisé·e. Mais ça c’est faux. La violence physique sur un enfant et par essence traumatisante. Après, chaque personne gère le traumatisme à sa manière. Le déni est une stratégie de survie classique.
Le problème c’est que c’est aussi la stratégie qui expose le plus à l’éventualité de faire pareil à son tour.
C’est la logique du bizutage.
#5 | C’est un truc de blancs de s’offusquer pour ça
Pareil, c’était aussi ce que je pensais. Et d’ailleurs c’est vrai. Des personnes comme Dolto sont venues dynamiter la pratique.
Mais… et alors ? Oui c’est un mouvement qui a d’abord émergé dans des sociétés blanches. Mais c’est un bon mouvement.
Une chose qui peut t’aider si tu es racisé·e et que tu as un fond de toi qui pense ça c’est de faire le parallèle avec le racisme. En effet, l’adultisme, ressemble au racisme. L’adultisme c’est l’idée selon laquelle un adulte a des droits fondamentalement supérieurs en soi. Parce que c’est un adulte.
C’est pour ça qu’on peut frapper les enfants. L’adultisme. De la même manière que le racisme a amené à fouetter des esclaves Noirs.
Un traitement différent doit être justifié. Il ne suffit pas de dire “c’est un enfant donc on le traite mal”.
La grosse différence entre le racisme et l’adultisme c’est évidemment que l’enfant deviendra un adulte à son tour. Il sort donc mécaniquement de son état d’oppression.
On dit souvent quand on a subit une oppression « ça va j’en suis pas mort-e » C’est oublier (pour se protéger psychologiquement bien entendu) que d’autres meurent de cela. Le racisme, le sexisme, la transphobie, l’homophobie et l’adultisme aussi (beaucoup) tuent. Il n’y a que voir les chiffres. Ça peut tuer sur le coup, mais ça peut aussi tuer à petit feu, générer des dépressions, des traumas, des maladies chroniques...