2 livres en français à lire sur l'autisme
Un des grands obstacles que je rencontre quand je veux recommander un livre sur l’autisme c’est que le niveau en français est extrêmement bas.
Vraiment, c’est catastrophique.
J’en ai quand même trouvé deux qui sortent du lot.
Sauf que… y’en a un qui est pour les personnes qui ont déjà des connaissances sur le sujet et un autre qui est un récit très personnel. Donc… je ne les recommande quand même pas en première lecture.
#1 | L’autisme autrement : rompre avec la vision médicale et embrasser la neurodiversité - Julie Dachez
Chaque fois que je vois Julie Dachez sur un média je me dis quelle Queen.
Julie milite sur le sujet de l’autisme depuis plus de dix ans. Avec un parcours que j’aurais voulu avoir dans une autre vie (ou pas… je sais pas) : elle était tellement frustrée du niveau d’information sur l’autisme qu’elle a décidé de devenir chercheuse sur l’autisme.
Je la comprends tellement. Déjà qu’en 2025 je suis extrêmement frustré alors j’imagine pas ce que ça devait être en 2015…
Pour rappel, la notion de masking notamment des femmes autistes est rentrée dans le DSM en 2022.
L’introduction donne le ton :
Me revoilà. Ou, pour le dire autrement, the bitch is back. Après “La différence invisible” et “Dans ta bulle”, ceci est mon troisième ouvrage sur l’autisme. Je me suis lancé ce pari un peu fou de condenser tout ce que j’ai appris ces dernières années sur l’autisme à l’âge adulte. J’ai lu - parce que mon travail de chercheuse l’exigeait mais aussi parce que c’est mon intérêt spécifique - un certain nombre de recherches sur l’emploi, l’intersection entre l’autisme et la transidentité et la santé mentale, entre autres.
Mais surtout elle rappelle à quel point c’est important de porter un regard critique sur la science quand elle fait fausse route, influencée par l’oppression structurelle :
C’est en partie ce que j’avais déjà essayé de transmettre dans mon essai “Dans ta bulle !”, mais je dois dire que j’ai été très frustrée par la façon dont la maison d’édition a choisi de le marketer.
Elle a notamment opté pour un titre consensuel et assez fadasse, qui selon moi ne traduisait pas du tout le propos (mais au cas où vous ne le sauriez pas, en tant qu’autrice nous n’avons pas forcément le dernier mot sur le titre de notre ouvrage). Et puis lorsque l’agence de presse chargée de le défendre l’a présenté auprès des journalistes comme un livre “psycho”, voire “développement personnel” sous prétexte qu’il parlait d’autisme, j’ai compris que la promo était foutue.
J’en parle ici car je trouve que cela témoigne de la difficulté pour les non autistes (éditeurs, journalistes, etc.) de percevoir l’autisme en dehors du prisme de la psychologie, ce qui – ironie de la chose – était justement ce que je dénonçais dans le bouquin. Au moment de la sortie de “Dans ta bulle !”, la société n’était pas prête à envisager l’autisme dans une perspective sociale et politique, et me l’a fait savoir très clairement.
Dire que cette mésaventure m’a démotivée est un euphémisme. Je me suis demandé si ça valait le coup de continuer, si je n’étais pas en train d’hurler dans le vide. Je tiens d’ailleurs à remercier les camarades autistes qui m’ont fait des retours très enthousiastes et chaleureux sur mon travail, en me disant qu’il leur avait été utile, qu’une telle parole était importante. Sans le savoir, vous m’avez redonné la force et l’envie de continuer. Et je crois pouvoir dire aujourd’hui que si cette mésaventure avec “Dans ta bulle !” m’a dans un premier temps démotivée, elle m’a aussi radicalisée. C’est le deuxième effet kiss cool.
Me voici donc huit ans plus tard en train d’enfoncer le clou. En m’auto-éditant cette fois-ci, histoire d’avoir la main sur l’intégralité du processus d’écriture, d’édition et de promotion.
Si j’ai choisi de baser ce livre sur les recherches scientifiques, c’est parce que nos savoirs sur l’autisme proviennent de là. Nos connaissances actuelles sont façonnées par plusieurs décennies de recherches sur l’autisme, quasiment toutes sous-tendues par une vision déficitaire, ce qui est loin d’être neutre.
Or, pour envisager l’autisme autrement et l’inscrire dans une vision sociale plutôt que médicale ou psychologique, il me semble important de remonter à la source, de là où tout prend forme : la recherche scientifique. Cela permet d’une part de critiquer les recherches ayant contribué à présenter l’autisme comme une tare et d’autre part de valoriser celles menées par des scientifiques autistes comme Monique Botha et Damian Milton qui participent à ce processus de redéfinition et dont les voix, pourtant si précieuses, restent absentes des discours dominants sur l’autisme. Je ne sais pas si je peux réussir à exprimer à quel point le travail de ces chercheurs·euses autistes est important, à quel point leur parcours et leur propos est radical et novateur. Imaginez déjà tout ce qu’ils et elles ont dû endurer pour pouvoir exercer en tant que scientifique ouvertement autiste, toutes les barrières qu’il leur a fallu faire voler en éclats lors de leurs études, puis au sein d’une communauté de scientifiques qui regarde avec suspicion – voire condescendance – leurs travaux.
Je suis bien placée pour savoir qu’en tant que chercheur·euse autiste, nos travaux sont souvent balayés d’un revers de la main. Nous sommes considéré·es comme étant trop proches de notre objet d’étude, dénués d’objectivité, et donc beaucoup moins légitimes à produire du savoir sur l’autisme, alors que nous le sommes d’autant plus, précisément parce que nous vivons dans nos chairs ces réalités que la science tente de décrire.
J’ajoute que toutes les recherches sur l’autisme ne sont évidemment pas à jeter à la poubelle. Lorsqu’elles sont menées en collaboration avec des personnes autistes, lorsqu’elles étudient des sujets qui nous sont utiles, tels que le camouflage ou le burn-out autistique, cela permet de mieux comprendre les défis auxquels nous sommes confrontés, de mettre en lumière nos vécus à travers des données objectives, et d’alimenter la réflexion sur la nécessité de réformer l’environnement et les normes sociales.
Le monde de la recherche n’est malheureusement pas accessible à tous et toutes, il est largement réservé à un entre-soi de scientifiques. Les articles scientifiques sont souvent rédigés en anglais, et dans un langage spécialisé et technique. Il était donc important pour moi de rendre ces travaux les plus compréhensibles possibles auprès d’un large public, afin que chacun·e, quel que soit son bagage, puisse en tirer des connaissances utiles. J’espère y être parvenue.
Quand Julie dit qu’elle est bien placée pour savoir qu’une chercheuse autiste est moins légitime à produire du savoir sur l’autisme c’est parce qu’elle a failli être recalée lors de sa thèse quand le jury a appris qu’elle était autiste.
Oui, oui… pas à cause du contenu de son travail, hein ? Juste le fait de savoir que c’est une autiste qui parlait d’autisme a failli lui valoir de ne jamais valider sa thèse et donc de ne pas pouvoir devenir chercheuse.
Tu imagines ?
Il ne faut jamais oublier que même si la science est le meilleur moyen de validation des connaissances que l’on ait… ça reste une institution humaine remplie des mêmes biais que dans la société.
Pendant longtemps, par validisme, la science a débité des âneries sur les autistes, notamment le fait qu’iels n’auraient pas d’empathie.
Et bah ce livre de Julie Dachez permet de faire une photographie de l’état de la science. C’est ce qu’on appelle une revue de littérature. C’est fait de manière ultra-acessible, le livre est court, c’est vraiment un banger.
Le seul bémol (mais c’est le concept même du livre) c’est que ça ne te donne pas une description de l’autisme. C’est mieux de le lire en sachant déjà grosso modo.
#2 | L’année suspendue - Mélanie Fazi
Je t’en ai déjà parlé. C’est un livre qui se démarque parce qu’il ne se démarque pas : c’est une biographique d’une personne autiste.
J’en ai lu tellement que j’ai vu à quel point c’est devenu un genre littéraire en soi.
Sauf que, généralement, les bios d’autistes sont écrites par des autistes qui ne sont pas des écrivain·es.
Ça les rend pas moins intéressantes pour autant, un de mes livres préférés est un livre témoignage : What I mean When I say I’m autistic.
Ici, Mélanie Fazi est une romancière reconnue qui découvre à 40 ans qu’elle est autiste. Elle décide de le raconter.
J’ai adoré.
Parce qu’elle a le talent de mettre les bons mots sur les sensations, les doutes.
En échange, il faut accepter de lire un truc bourré d’imprécisions scientifiques quand ce n’est pas carrément des erreurs MAIS on ne lit pas ce livre pour ça.
On ne le lit même pas pour avoir une description de l’expérience autistique. Non, on le lit pour avoir une description de ce que l’on ressent quand on doute du fait qu’on est autiste.
J’avais entendu parler du syndrome d’Asperger, symbolisé pour moi à l’écran par la caricature de Sheldon Cooper dans The Big Bang Theory (qui me parlait par son côté geek, mais pas du tout par ses diverses manies agaçantes), et plus récemment le jeune Sam de la série Atypical.
Ironiquement, j’avais lu et adoré La Différence invisible, la très belle BD de Julie Dachez et Mademoiselle Caroline, histoire d’une jeune femme paumée qui s’épanouit à vingt-sept ans après un diagnostic d’autisme - la BD m’avait profondément émue, mais elle m’avait surtout parlé à l’époque par rapport à ma quête d’identité autour des questions de genre et de l’asexualité.
J’étais loin de me douter que cette histoire était la mienne et que, deux ou trois ans plus tard, je me retrouverais à parcourir tous les articles et les vidéos de la scénariste pour y traquer des échos de ma propre vie.
À cette question obsédante, « Comment ai-je pu ne pas savoir? », succédait peu à peu une certitude: le problème tenait effectivement. à une question de représentation. Celle que proposait la fiction, bien sûr, mais aussi celle que je plaquais sur les idées générales associées à l’autisme. Je ne compte plus, ces derniers mois, ces moments infimes de révélation où j’ai soudain compris que oui, bien sûr, je possédais tel ou tel trait autistique, simplement il ne ressemblait pas du tout à l’idée que je m’en étais faite auparavant.
Alors j’ai cherché à mieux comprendre. Patiemment, j’ai décortiqué chaque élément de ma personne, de mon fonctionnement, de mon caractère, revisité mes souvenirs d’enfance et d’adolescence, comparé ce que j’avais lu avec ce que je découvrais en moi. C’est devenu une forme d’obsession: ma façon à moi d’apprivoiser les choses,reprendre une forme de contrôle sur une situation qui m’échappait.
Une manière d’essayer de mettre des noms sur les zones d’ombre et de découvrir ce qu’il était possible de maîtriser ou non. Au fil des semaines, c’est devenu une sorte d’expérience scientifique que je regardais parfois avec un recul fasciné, comme si elle s’appliquait à quelqu’un d’autre: me dissocier moi-même en centaines de fragments minuscules pour les observer au microscope, les comparer à mes lectures et tenter de comprendre de quelle manière ils s’agençaient pour former le tout cohérent qui était ma personne, ici, maintenant.
Progressivement, je passais de « Alors c’est ça, l’autisme?» à une autre impression mi-troublée mi-fascinée: « Alors ça ressemble à ça, de l’intérieur? »
Si tu veux d’autres passages de ce livre, je t’en lis deux autres dans ma vidéo YouTube :